« Tant qu’il y aura à donner… » - L'Infirmière Magazine n° 284 du 01/09/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 284 du 01/09/2011

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

À Toulon, dans un établissement privé, Martine Alaméda veille, seule, sur plus de mille élèves. Face aux petites et grandes difficultés des enfants, elle conjugue écoute et travail de prévention.

Une jeune fille de quatrième frappe à la porte : « J’ai mal au ventre, j’ai des vertiges et j’ai vomi ce matin… » « Mais il faut rester à la maison dans ces cas-là ! », gronde gentiment Martine. « Ça, c’est les lundis ! », lance-t-elle, habituée à l’affluence de cette journée. Martine Alaméda est infirmière scolaire au Cours Fénelon, à Toulon, dans le Var. Un établissement privé sous contrat avec l’Éducation nationale qui accueille 1 260 élèves de la primaire au lycée, 31 classes rien que pour le collège et le lycée… et une seule infirmière. Pas de médecin fixe. Dans le public, autour de l’infirmière, il y a généralement un médecin, une psychologue et une secrétaire. Mais dans le privé, avoir du personnel de santé n’est pas une obligation, c’est à chaque établissement de choisir. Martine Alaméda s’appuie sur son réseau et sur son monitorat de premiers secours pour gérer les urgences. Ce lundi de retour de vacances de Noël promet d’être chargé. Après plusieurs passages dans l’infirmerie, elle se rend à l’évidence : « Je pense que je vais avoir une bonne semaine de gastro-entérites ! » Un jeune garçon entre à son tour, visiblement touché lui aussi. Il voudrait pouvoir rester en cours pour un contrôle qui lui importe beaucoup. « Mais ton interro, ce n’est pas vital, tu peux demander à la faire de chez toi. » Le Cours Fénelon n’est pas ce qu’on appelle un établissement difficile, mais, justement, sa réputation génère du stress : « C’est un cliché de dire que dans le privé, il n’y a pas de problèmes ! Les parents mettent beaucoup de pression sur leurs enfants, parfois même en primaire. »

L’infirmière scolaire est une petite femme vive et souriante à qui on ne donne pas ses 58 ans. Voilà huit ans qu’elle travaille à Fénelon, après avoir passé un an et demi dans le public. Son bureau, petit mais coquet, s’épanouit dans des tons de bleu, coloré de quelques stickers fleuris aux murs. D’origine belge, cette maman de deux grands enfants a fait ses études à Bruxelles. Après un premier temps partiel dans le service des urgences d’un hôpital français, direction le Luxem­bourg. Elle y passe huit ans, toujours aux urgences, où elle est « surveillante », selon la dénomination locale, c’est-à-dire cadre. La jeune femme décide ensuite de faire une pause professionnelle pour élever ses enfants. Martine Alaméda interrompt son récit pour décrocher le téléphone, tout en lançant, avec un regard complice : « Il faut que je m’occupe un peu de mes ouailles. » Elle appelle des mamans, une grand-mère… puis ouvre la porte de son bureau pour rassurer les enfants malades, qui patientaient en salle d’attente, et réconforte chacun : « Alors, dit-elle en pointant son index vers les uns ou les autres, maman vient, papa arrive, maman rappelle. »

Vigilance et confidences

Dans son bureau, on imagine aisément que les enfants se sentent bien. On comprend aussi que l’infirmière a son métier dans la peau. Des messages préventifs sont affichés sur les panneaux, ainsi que des poèmes sur l’éducation et une réjouissante Lettre aux parents méchants. Travailler avec des enfants et des jeunes adolescents pas toujours faciles à comprendre implique une forte mise en confiance. « Il faut être très vigilant. Je me souviens d’une jeune fille qui venait me voir tous les jours en se plaignant de maux de ventre. Un jour, elle s’est décidée à me parler. Les filles viennent beaucoup pour leurs douleurs de règles, c’est nouveau pour elles et, parfois, il n’y a qu’ici qu’elles en parlent. Je leur donne un calendrier, c’est l’occasion d’évoquer le cycle… » Avant l’arrivée de Martine Alaméda, c’est « Sœur Banane » qui faisait fonction d’infirmière, tout en s’occupant de l’éducation religieuse. Les enfants l’avaient surnommée ainsi car elle distribuait des bananes en guise de médicaments. Avec l’infirmière, les élèves sont plus enclins à se confier. « Je travaille à restaurer du lien. Je discute parfois trente minutes avec des petits qui sont dans des périodes difficiles, par exemple lors d’un divorce, confie-t-elle. Je peux vous parler de ce petit garçon qui venait presque tous les jours, il voulait juste s’installer ici et lire pendant une demi-heure. Ou de cet autre, dont les parents étaient aussi en train de divorcer. Pendant deux ans, il venait tous les jours à la récréation, juste pour prendre une biscotte. Il ne disait rien mais, pour lui, c’était un moment nourricier, un repère. »

« Il faut tout aborder »

Une toute jeune fille interrompt notre entretien. Elle a très mal à la gorge… mais c’est plutôt des problèmes entre ses parents qu’elle est venue parler. Martine Alaméda passe un peu de temps avec elle dans la pièce fermée consacrée aux soins, attenante au bureau. L’écoute, toujours. Parfois, la situation est très grave. L’infirmière se souvient d’un enfant psychotique à propos duquel elle suspectait une maltraitance : « On se demande toujours si la marche à suivre est la bonne. On a un outil essentiel, qui est le signalement auprès de l’ARS(1) , en cas de manque éducatif avéré. Pour un cas de maltraitance avérée, je fais le signalement(2) avec la directrice de l’école. On a eu un cas de violence sexuelle, et là, c’est directement signalé au substitut du procureur. Lors des visites de dépistage, il faut être vigilant, mais pas à l’excès, parler aux parents… »

Hors des murs de l’infirmerie, une partie du travail de Martine Alaméda est focalisé sur l’éducation à la santé : tabac et conduites addictives, violence scolaire, prostitution… Les ateliers d’éducation affective et sexuelle (de la sixième à la seconde) sont particulièrement formateurs : « Je fais travailler les élèves sur le champ social (l’image qu’ils ont de la femme), le champ biologique et le champ affectif. » L’infirmière a choisi de traiter la contraception et les MST (maladies sexuellement transmissibles) à part : « Je ne veux pas qu’ils vivent leur sexualité dans la peur… » Surtout, établissement catholique oblige, certaines questions peuvent faire bondir les enfants de familles très religieuses, comme l’IVG ou l’homosexualité, voire générer des courriers de parents en colère. « Je pars du principe qu’il faut tout aborder, même si ma réponse les déroute. Parler de la position de l’Église sur ces sujets, ce n’est pas mon rôle », précise celle qui se dit « athée, mais avec une grande philosophie de tolérance, d’humanisme ».

Exigence d’innovation

On la croit volontiers quand elle déclare ne pas « aimer la routine ». Ce poste, elle l’a créé avec sa personnalité, son dynamisme, son ouverture. Martine Alaméda est très investie dans la prise en charge des difficultés scolaires, notamment l’intégration d’enfants handicapés. Comme ce garçon présentant une malformation au cerveau, normalement intelligent mais dyspraxique : « Il sera vraisemblablement orienté vers un cursus professionnel, mais en attendant, il fallait lui permettre de s’intégrer dans une classe “normale”, avec l’aide de son AVS (auxiliaire de vie scolaire) et de son ergothérapeute. » L’infirmière a parfois du mal à faire comprendre sa démarche à certains parents : « Je me suis occupée d’un enfant sous Ritaline, avec une grosse déficience visuelle ; cela a été une énorme bataille pour faire admettre aux parents le handicap de leur enfant ! Nous avons tous dans la tête notre enfant mythique, mais il faut savoir en faire le deuil… »

C’est la récréation. Les cris fusent, les rires et les chamailleries éclatent. Un jeune garçon pénètre dans l’infirmerie : un pétard a explosé tout près de son oreille. Par acquit de conscience, l’infirmière appelle le médecin régulateur du Samu et lui explique le cas. L’élève semble inquiet… puis rassuré quand Martine Alaméda réussit à parler avec sa mère au téléphone. Celle-ci a décidé de venir le chercher pour l’emmener aux urgences. « On ne sait jamais… » Depuis son bureau au rez-de-chaussée, dont la fenêtre donne directement sur la cour, l’infirmière est un peu la vigie. « Maître à bord » de son vaisseau, elle continue « tant qu’il y a à donner » : « On peut se lasser au bout de quelques années si l’on n’innove pas. Mais je suis fière de la façon dont j’ai fait évoluer ce poste ! » Aujourd’hui, Martine Alaméda est portée par un nouveau défi : elle a rejoint le service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de la Seyne-sur-Mer. Une nouvelle aventure… toujours près des enfants.

MOMENTS CLÉS

1975 Diplôme d’infirmière de l’Université libre de Bruxelles-Hôpital Saint-Pierre.

1975 Premier poste aux urgences de l’Hôpital français de Bruxelles.

1978 Cadre infirmière aux urgences de l’hôpital de Luxembourg.

2001 Premier poste comme infirmière scolaire dans le public.

2003 Infirmière scolaire au Cours Fénelon de Toulon (Var).

2011 Rejoint le service gynécologie-obstétrique de l’hôpital de la Seyne-sur-Mer (Var).

1– Agence régionale de santé, qui intègre désormais la Ddass.

2– Sur le signalement de la maltraitance, sur mineur, lire notre page juridique du n° 275, 15 mars 2011.

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