VIH/SIDA
SUR LE TERRAIN
ENQUÊTE
Les grands enjeux de la prise en charge des personnes vivant avec le VIH se sont déplacés vers le terrain psychosocial. La dimension psychologique de la maladie est fondamentale, notamment pour favoriser une bonne observance des traitements. Les questions sociales à prendre en compte concernent avant tout le logement et les difficultés administratives.
Actuellement, environ 100 000 personnes sont prises en charge en France, essentiellement à l’hôpital, pour une infection par le virus de l’immunodéficience humaine. Si les nouveaux traitements ont permis de ramener le risque de décès à un niveau proche de celui des personnes non contaminées par le virus et de réduire à long terme le risque de complications liées à l’infection, le VIH reste une affection de longue durée différente des autres. Les personnes vivant avec ce virus se trouvent dans une situation d’isolement et de précarité qui est à prendre en compte dans leur prise en charge. Parmi elles, 65 % sont inactives et 45 % n’ont pas de logement personnel.
La fragilité sociale et psychologique d’une part importante des patients vivant avec le VIH compromet le succès de leur thérapie. La non-observance du traitement peut être à l’origine d’hospitalisations en soins aigüs qui auraient pu être évitées. La stabilisation de leur situation générale lors de séjours en soins de suite est un moment capital de la prise en charge. « À leur entrée, nous disons à nos patients qu’ils resteront ici le temps nécessaire, explique Olivier Zac Dit Zbar, médecin au service d’infectiologie de l’hôpital de soins de suite et de réadaptation Cognacq-Jay à Paris. La durée moyenne de séjour est d’une quarantaine de jours. Cela nous laisse le temps de mettre en place une prise en charge globale, favorisée par l’unité de lieu. Nous avons également le temps, ici, de parler avec eux, de travailler ensemble sur leur rapport à la maladie, de préparer l’après. »
Un mot revient régulièrement pour décrire les parcours des personnes vivant avec le VIH, celui de « rupture » : rupture sociale, rupture professionnelle, rupture affective, ou rupture de traitement. La sociologue Janine Pierret insiste sur la « césure biographique » qu’impose la maladie. La perspective de devoir suivre un traitement jusqu’à la fin de sa vie crée une différence marquée entre l’avant et l’après-diagnostic. Dans son ouvrage Vivre avec le VIH-Enquête de longue durée auprès des personnes infectées (voir À lire p. 21), la sociologue décrit les trois types d’attitudes qui se dégagent parmi les personnes atteintes par la pathologie. Il y a d’abord celles qui souhaitent que l’avant et l’après coïncident, quitte à cacher leur maladie à leurs proches. Un deuxième profil va, au contraire, surinvestir sa maladie et en faire une nouvelle identité. Pour une troisième catégorie, le VIH est une épreuve supplémentaire, dans un parcours de vie marqué par les difficultés.
Le diagnostic, même plusieurs années après son annonce, reste un événement fondateur. Audrey Fressart, psychologue au service d’infectiologie de l’hôpital Cognacq-Jay, évoque l’état de « sidération » que peut provoquer la découverte de la maladie : « Les patients évoquent tous un état de choc à l’annonce du diagnostic. Les personnes se projettent alors dans une possible mort. Il est préférable que cet état de choc débouche sur une acceptation de la maladie, favorisée par la réassurance médicale et l’explication des traitements. Deux réactions s’observent souvent : la “déprime”, ou, au contraire, une volonté de se reprendre, de continuer. Certains patients atteints par le VIH ne se remettent pas du diagnostic et restent comme en suspens, leur enveloppe psychique a perdu son intégrité, ce qui les empêche de réagir. » Malgré les progrès considérables qu’a connus le traitement, le VIH est, dans les esprits, la menace, l’épidémie qui a défié la médecine et décimé une population jeune dans les années 1980 et 1990. Le virus reste associé à une image de mort. Du fait qu’il se transmette à l’occasion de relations sexuelles ou de pratiques addictives, le regard que porte la société sur la maladie demeure très stigmatisant.
Le déni de la maladie ou le rejet du traitement sont des réalités avec lesquelles les soignants doivent composer quotidiennement. La dimension culturelle peut renforcer ce mouvement de rejet. « Face à une personne qui considère qu’elle est malade parce qu’elle est ensorcelée, on peut se sentir très impuissant, remarque Charlotte Point-Wong, infirmière au service d’infectiologie de l’hôpital Cognac-Jay. Un anthropologue intervient régulièrement à l’hôpital et s’entretient avec le patient. Cela lui fait beaucoup de bien de se trouver face à quelqu’un qui connaît ses références, et de se sentir compris. De notre côté, cela nous aide ensuite à mieux saisir ce qui se passe chez la personne. » L’écoute est fondamentale dans l’accompagnement des patients.
Un travail psychologique permet d’améliorer la prise en charge thérapeutique en cas de déni de la maladie. « Il est fondamental de ne pas aller contre les défenses du patient, souligne Audrey Fressart. S’il a mis des défenses en place, c’est qu’il en avait besoin. Ce sont sur ses raisons qu’il faut travailler. Si le patient est en état de déni, il faut savoir pourquoi et non vouloir lui montrer en quoi il se trompe. Avec le temps, les défenses peuvent tomber. Le travail psychologique permet d’aider le patient à élaborer, à lui faire se représenter ce qu’il est en train de vivre au quotidien. Il faut l’aider à avoir accès à des images, ne pas hésiter à utiliser toutes les références à sa disposition. C’est également un travail d’équipe. Le rôle des infirmières, notamment, est essentiel pour le rassurer au quotidien. » L’écoute et le dialogue quotidiens des équipes soignantes sont complétés par la tenue régulière de groupes de parole et l’accompagnement des bénévoles associatifs.
Dans le service d’infectiologie de l’hôpital Cognacq-Jay, les infirmières donnent des consultations d’observance. « Nous reprenons tout à zéro, car nous n’avons pas connaissance de ce qu’ils savent exactement, précise Charlotte Point-Wong. Nous leur expliquons leur maladie et établissons avec eux un programme thérapeutique. Nous leur apprenons à reconnaître les traitements. Savoir, c’est déjà accepter. Nous les aidons à prendre de la distance par rapport à la maladie. » Toute la difficulté de l’exercice consiste à trouver le bon moment pour entamer cette familiarisation avec la pathologie. « Nous essayons de faire le point au début de l’hospitalisation, si le patient est réceptif, explique Delphine Dobé, infirmière dans le même service. Il faut parfois attendre que les personnes aillent mieux psychologiquement, ou qu’une situation sociale difficile soit dénouée. Il ne s’agit pas de les surveiller de trop près, sinon elles se braquent. Elles se retrouvent dans un milieu protégé pendant une période qui peut aller jusqu’à trois mois, cela leur laisse le temps pour avoir le déclic nécessaire. »
La perspective d’une sortie peut être l’occasion de bousculer des comportements qui freinent parfois le processus de guérison ou provoquent des ruptures de traitement. Le placement en appartement de coordination thérapeutique (voir encadré ci-dessous) permet aux personnes vivant avec le VIH d’opérer une transition en douceur vers une plus grande autonomie, dans un environnement encadré.
Les équipes hospitalières veillent à entretenir la motivation des patients disposant du profil pour être acceptés en appartement de coordination thérapeutique (ACT). Ce mode d’hébergement demande un projet d’insertion de leur part, et ils s’engagent, lors de leur entrée dans l’établissement, à suivre leur traitement.
L’hébergement des patients reste un problème crucial. Il peut être nécessaire, pour des personnes ne souhaitant pas informer leurs proches de leur maladie, de leur trouver un logement indépendant afin qu’elles puissent suivre leur traitement en toute quiétude. D’autres ne disposent pas du degré d’autonomie nécessaire pour vivre seules et doivent se tourner vers des structures adaptées. Malgré des avancées comme l’ouverture, en 2010, en Seine-Saint-Denis, d’une maison d’accueil spécialisée (MAS) dans l’accueil de personnes vivant avec le VIH, les structures d’aval restent en nombre insuffisant. « Certains de nos patients sont hospitalisés non pour des raisons médicales, mais parce qu’il n’y pas de solution de logement pour eux », déplore Olivier Zac Dit Zbar. D’où l’intérêt, pour les services, de développer des liens avec des structures d’hébergement et des associations qui les gèrent, ce que facilite la mise en réseau opérée par les Corevih (voir Savoir plus p. 23).
Rosalie Emoungué, assistante sociale à l’hôpital Cognacq-Jay, veille à ce que cet aspect de sa vie soit pris en compte par le patient lui-même : « Beaucoup de nos patients sont dans leur maladie. Ici, ils se réveillent, et prennent conscience des problèmes qu’ils ont à régler. » L’assistante sociale les aide à trouver la solution qui conviendra le mieux à leur situation. Pour une personne disposant d’un logement et ayant suspendu le versement de son loyer suite à des hospitalisations successives, il peut s’agir de prendre contact avec le bailleur afin de mettre en place avec lui un échéancier de paiement. Pour une personne étrangère hébergée par des proches, la sollicitation de ces derniers peut s’avérer délicate : « Certains proches, qui ont signé un certificat d’hébergement pour permettre à la personne de venir en France, ne veulent pas, par la suite, l’accueillir, explique Rosalie Emoungué. Or, ils ont signé ce certificat d’hébergement. C’est un acte grave qui les engage à titre personnel. Je tiens à responsabiliser les gens et à leur tenir un langage de vérité. Certains malades, si aucune solution adéquate de logement n’est trouvée pour eux, seront dirigés vers le Samu social. Cela permet régulièrement de dénouer la situation, quand la sortie du patient est imminente. »
Ces démarches sont menées avec discrétion quant à la nature de la maladie. La discrimination envers les personnes atteintes par le VIH reste une réalité quotidienne. Le rapport rédigé sous la direction du professeur Patrick Yéni sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH (voir À lire p. 21) souligne qu’« après plus de vingt-cinq ans de lutte contre les discriminations, le fait d’avoir été victime de discrimination est rapporté avec une fréquence élevée, sans différence marquée en fonction des caractéristiques de sexe, de parcours migratoire ou de mode de transmission ». Cette difficulté renforce les autres, par effet d’entraînement. « Le sida reste une maladie à part, analyse Sylvie Benabla, assistante sociale au service d’immunologie clinique de l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP). Quand les patients apprennent leur diagnostic, se pose rapidement la question de ce qu’ils vont dire sur leur maladie dans le cadre professionnel, pour expliquer des absences répétées. La réponse n’est pas naturelle, contrairement à ce qui est le cas, désormais, pour le cancer. Si certains n’ont aucune volonté de cacher la nature de leur pathologie, d’autres ont peur du regard des autres. Nous élaborons alors ensemble des scénarios pour qu’ils sachent quoi dire sans évoquer le VIH. »
Une partie importante du suivi social se rapporte à la couverture sociale et à la situation administrative des patients. Actuellement, 41 % des découvertes de séropositivité concernent des personnes de nationalité étrangère. Les personnes touchées par le VIH peuvent obtenir un titre de séjour pour soins. Celles qui ne sont pas en situation régulière, sans emploi et avec des revenus limités, peuvent bénéficier de l’AME (voir encadré p. 22). Sylvie Benabla observe : « L’application des textes qui étaient favorables aux patients vivant avec le VIH évolue actuellement dans un sens qui nous fait craindre un durcissement administratif. En ce qui concerne la demande d’AME, des difficultés supplémentaires sont apparues pour prouver la stabilité du séjour. Nous nous inquiétons également de l’annonce d’ententes préalables pour les soins hospitaliers coûteux. Quant au titre de séjour vie privée et familiale pour soins, sa condition d’attribution a évolué : il ne s’agit plus d’une “inaccessibilité du traitement”, mais d’une “absence de traitement approprié” dans le pays d’origine. La nuance est d’importance et ouvre la porte à des interprétations restrictives de la part de l’administration. »
Les assistantes sociales accompagnent fréquemment les patients dans leurs démarches administratives afin que celles-ci ne se soldent pas par un échec. Les associations de patients et de défense des droits des migrants relèvent le fait qu’un climat de suspicion règne dans certains services administratifs. Cette pression est ressentie par les personnes malades, comme le souligne Sylvie Benabla : « Les patients sentent un resserrement de la part de l’administration et sont très angoissés. Ils se projettent dans l’avenir et s’inquiètent à l’avance de l’éventualité du rejet de leur demande de titre de séjour pour soins ou de son renouvellement. Mais nous sommes habitués à nous battre. Même s’il y a un durcissement, les dispositions sont là. Cela peut être laborieux et compliqué, mais nous parvenons à nos fins. »
→ Rapport du groupe d’experts rédigé sous la direction du professeur Patrick Yéni, remis en 2010 à la ministre de la Santé et des Sports, « La prise en charge des personnes infectées par le VIH ».
→ Vivre avec le VIH, Janine Pierret. Enquête de longue durée auprès des personnes infectées, Presses universitaires de France, 2006. Cet ouvrage exhaustif s’appuie sur trois enquêtes successives menées auprès des patients de 1990 à 2000.
→ « Santé et droit des étrangers : réalités et enjeux », Hommes et migrations, novembre-décembre 2009.
Le droit au séjour pour soins
En 1998, la loi Chevènement reconnaît le droit à une carte de séjour à l’« étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ». Il s’agit du titre de séjour vie privée et familiale pour soins.
La CMU et l’AME
En 2000, est mise en place la CMU, couverture maladie universelle. Les étrangers aux revenus limités disposant d’un titre de séjour peuvent en bénéficier. Les étrangers aux revenus limités et sans titre de séjour n’ont pas accès au régime général de la Sécurité sociale (suite à l’amendement du Code de la Sécurité sociale de 1993) mais peuvent faire une demande d’AME : aide médicale de l’État.
Pour bénéficier de l’AME, il faut justifier d’une résidence ininterrompue en France de trois mois, et, depuis mars 2011, payer 30 euros par an et par bénéficiaire.
L’aide médicale d’urgence
Ceux qui ne remplissent pas ces conditions peuvent bénéficier des soins urgents. Le VIH est expressément cité dans la circulaire interministérielle de 2005 relative à l’aide médicale d’urgence.
Les hébergements adaptés
Ils s’échelonnent en fonction du degré de dépendance des patients.
→ Les lits halte soin santé (LHSS) : ces structures d’accueil temporaire hébergent des personnes sans domicile, dont l’état général, somatique ou psychique, ne nécessite pas de prise en charge spécialisée.
→ Les appartements de coordination thérapeutique (ACT) : ces établissements médico-sociaux hébergent à titre temporaire des personnes en situation de fragilité psychologique et sociale nécessitant des soins et un suivi médical. Elles bénéficient d’une prise en charge multidisciplinaire.
→ Les foyers d’accueil médicalisés (FAM) : ils accueillent pour une longue période des personnes nécessitant une surveillance médicale et des soins constants et ayant besoin de l’assistance au moins partielle d’une tierce personne pour la plupart des actes essentiels de la vie.
→ Les maisons d’accueil spécialisées (MAS) : il s’agit de lieux de vie adaptés à des personnes en situation de dépendance pour les actes de la vie quotidienne et nécessitant une surveillance médicale et des soins constants.
Instaurés par un décret du 15/11/05, les Corevih remplacent les Cisih (centres d’information et de soins de l’immunodéficience humaine), mis en place en 1998. Les comités de coordination de la lutte contre l’infection par le VIH ont pour mission de favoriser la qualité, la continuité et l’équité des soins, et pour vocation d’améliorer le lien entre les secteurs hospitalier et extra-hospitalier et de favoriser l’implication des associations de patients et d’usagers.