DOSSIER
L’ESSENTIEL
Si de grandes avancées ont été réalisées, au cours des quinze dernières années, concernant les traitements antirétroviraux, une prise en charge thérapeutique globale des patients n’en demeure pas moins essentielle pour qu’ils puissent combattre la maladie dans les meilleures conditions possibles. Le suivi des personnes vivant avec le VIH doit être effectué par des équipes expérimentées, prenant en compte les difficultés psychologiques et professionnelles surgissant dès l’annonce du diagnostic. Ces difficultés influent fortement sur l’observance des traitements, aux effets secondaires pénibles et à l’origine de complications, notamment cardio-vasculaires et osseuses. La réussite de la prise en charge repose bien sûr sur l’adhésion du patient, que les soignants doivent accompagner dans la compréhension de sa pathologie et des troubles associés.
En bloquant la multiplication (ou réplication) du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), les traitements antirétroviraux limitent fortement les conséquences de cette infection chronique, avec, en particulier, la possibilité d’une reconstitution immunitaire au moins partielle. Avec la possibilité, depuis 1996, d’associer trois molécules antirétrovirales (trithérapies), l’objectif est d’obtenir une quasi–suppression de la réplication, avec comme témoin un ARN VIH plasmatique inférieur à la limite de quantification des tests de charge virale ( < 40 ou < 20 copies/ml). Cette inhibition, repérable dans le sang, existe également au niveau du système nerveux et de l’appareil génital. Pour le système nerveux, il s’agit de lutter contre les troubles neurocognitifs liés au VIH ; pour l’appareil génital, les objectifs sont la non-transmission du VIH de la mère à l’enfant ou par voie sexuelle. Il est aujourd’hui démontré, chez les couples hétérosexuels sérodifférents pour l’infection VIH, qu’un traitement antirétroviral actif du partenaire infecté est un outil efficace de prévention de la transmission du virus au partenaire non infecté.
Nous n’envisagerons pas ici les traitements anti-rétroviraux utilisés dans un but de prévention chez des personnes non infectées, que ce soit après une exposition accidentelle (traitement postexposition) ou avant exposition (PrEP, pour « Pre-Exposure Prophylaxis »).
Les antirétroviraux se répartissent en six classes (voir tableau p. 35), chacune étant définie par le mécanisme d’action au niveau d’une étape du cycle de réplication du VIH dans la cellule humaine infectée. L’inhibition peut intervenir sur l’entrée du VIH dans la cellule (inhibiteur du corécepteur CCR5, inhibiteur de fusion) ou au niveau d’une enzyme (inhibiteurs nucléosidiques et non nucléosidiques de la transcriptase inverse : INTI et INNTI ; inhibiteurs d’intégrase : II ; inhibiteurs de protéase : IP). Les premières trithérapies ont associé 2 INTI et 1 IP ou 2 INTI et 1 INNTI. Ce type d’associations « classiques » reste le pilier des traitements antirétroviraux, notamment initiaux.
Mais de grand progrès ont été réalisés en quinze ans. En premier lieu, dans les classes les plus anciennes, des molécules plus puissantes, beaucoup mieux tolérées et moins sujettes au risque de perte d’efficacité par mutations de résistance ont été développées. En deuxième lieu, des améliorations galéniques ont permis de réduire le nombre de comprimés et de prises, avec, dans certains cas, deux ou trois molécules dans le même comprimé. Les nouvelles classes d’anti-rétroviraux ont permis de faire face aux résistances acquises avec, cependant, la nécessité d’associer au moins deux molécules pleinement actives. Enfin, de nouveaux types de combinaisons de deux ou trois antirétroviraux différents des trithérapies classiques sont susceptibles de ne pas faire appel aux INTI ou à un troisième agent qui n’est pas un IP ou un INNTI.
La prise en charge thérapeutique initiale est déterminante pour le devenir du patient et doit être réalisée par une équipe expérimentée.
Il s’agit :
– d’établir avec le patient, et éventuellement son entourage, une relation de confiance facilitant son éducation thérapeutique ;
– de prendre en compte les problèmes socio-professionnels et psychologiques qui influent fortement sur l’observance ;
– d’apprécier le statut immunovirologique par la quantification des populations lymphocytaires CD4 et CD8 sanguines et la mesure de la charge virale plasmatique ;
– de rechercher les complications infectieuses et tumorales avec mise en place, si nécessaire, d’un traitement ou d’une prévention (en particulier, la prophylaxie primaire par cotrimoxazole de la pneumonie à Pneumocystis et de la toxoplasmose cérébrale si les CD4 sont inférieurs à 200/mm3). Le bilan infectieux initial comporte notamment les sérologies pour les hépatites virales A, B et C, pour la syphilis (TPHA, VDRL), pour la toxoplasmose et le CMV ;
– débuter un traitement antirétroviral si nécessaire.
Les indications et le contenu d’un traitement antirétroviral ont évolué dans le temps et donnent lieu à des recommandations actualisées nationales et internationales. En France, ces recommandations reposent sur l’analyse d’un groupe d’experts qui a été dirigé en 2008 et en 2010 par le Pr Yéni. En pratique, les patients symptomatiques, ou les patients sans symptôme de maladie mais avec des CD4 déjà abaissés en dessous de 350/mm3, doivent bénéficier sans délai d’un traitement antirétroviral. Au-dessus de 350 CD4/mm3, le moment de l’initiation du traitement doit tenir compte de plusieurs éléments, dont la volonté du patient et le risque de transmission. La réduction du risque de transmission concerne, notamment, les femmes enceintes et les relations sexuelles dans les couples sérodifférents.
Avant de débuter la trithérapie antirétrovirale, un test génotypique de résistance doit être réalisé pour s’assurer de l’absence de mutations de résistance de la souche virale du patient vis-à-vis des antirétroviraux que l’on souhaite débuter.
Le patient doit être revu dans un délai de deux et/ou quatre semaines après l’initiation du traitement dans le but de vérifier sa tolérance clinique et biologique, de s’assurer de l’observance. Un bilan immunovirologique est réalisé à un mois et à trois mois, puis tous les trois mois lors de la première année.
Un critère d’efficacité est l’obtention d’une charge virale inférieure à 50 copies/ml après six mois de traitement ; ce délai pouvant être de neuf à douze mois en cas de charge virale initiale très élevée. La reconstitution immunitaire est progressive, avec un gain de CD4 lors de la première année de traitement se situant habituellement entre 100 et 250/mm3.
Pour les patients ayant, en début de traitement, un nombre de CD4 très bas et une infection, notamment à mycobactérie, on peut observer un syndrome inflammatoire de reconstitution immunitaire (IRIS).
Au-delà de la première année de traitement, une fois assurée l’obtention d’une charge virale inférieure au seuil de détection (40 ou 20 copies/ml), le bilan est réalisé tous les trois ou quatre mois, voire tous les six mois si les CD4 sont > 500/mm3. Ce bilan doit comporter : taux de CD4 et charge virale, hémogramme, glycémie à jeun, transaminases, gamma GT, CPK, créatininémie et débit de filtration glomérulaire estimé, protéinurie. Selon les cas, d’autres examens tenant compte des co-infections et des comorbidités seront réalisés.
Les anomalies de répartition des graisses sont regroupées sous le terme de lipodystrophies. On distingue la lipoatrophie avec perte de la graisse au niveau du visage, des membres et des fesses, et la lipohypertrophie avec dépôt de graisse au niveau du tronc, notamment autour des viscères abdominaux. Ces lipodystrophies ont été observées un à trois ans après le début des premières trithérapies, touchant alors près de la moitié des patients traités. Ces anomalies sont liées tant aux INTI (en particulier la stavudine, et, dans une moindre mesure, la zidovudine, responsables, surtout, de la lipoatrophie) qu’aux IP, responsables plutôt de la lipohypertrophie. Les INTI plus récents (abacavir et ténofovir) ainsi que certains IP (lopinavir, darunavir) semblent être nettement moins générateurs de lipodystrophies.
Le risque cardio-vasculaire, en particulier coronarien, est plus élevé chez les patients infectés par le VIH. Plusieurs éléments ont été identifiés :
– des facteurs de risque classiques comme le tabagisme sont plus fréquents ;
– le VIH lui-même est responsable de phénomènes d’activation, d’inflammation athérogènes ;
– des antirétroviraux peuvent augmenter le risque, en particulier certains IP boostés par du ritonavir, partiellement par le biais d’une dyslidémie aggravée.
Ce surrisque cardio-vasculaire souligne l’importance des mesures préventives : sevrage tabagique, activités physiques, diététique et statine, modification du traitement antirétroviral.
Les risques rénaux (insuffisance rénale et tubulopathie) et osseux (ostéoporose), mis en évidence plus récemment, peuvent mettre en cause le ténofovir, mais pas uniquement.
Un changement de traitement sera envisagé dans, notamment, deux types de circonstances :
– la gestion d’un traitement virologiquement efficace : il est possible de substituer tout ou partie d’un traitement pour améliorer la tolérance ou simplifier les prises. Dans certains cas, peuvent être envisagées une monothérapie par IP boosté ou de nouvelles combinaisons. Ces changements supposent une évaluation précise du rapport bénéfice/risque et un suivi attentif ;
– la prise en charge d’une situation d’échec virologique : en cas de réplication persistante ou de rebond de la charge virale, un changement de traitement s’impose. Il doit tenir compte de l’historique thérapeutique, de l’observance, des intolérances connues, des dosages pharmacologiques et des résultats du test génotypique de résistance. Afin d’obtenir à nouveau un contrôle virologique (charge virale < 50 c/ml), il faut construire une nouvelle association comportant au moins deux et, si possible, trois antirétroviraux pleinement actifs.