INFIRMIÈRES D’UN AUTRE MONDE - L'Infirmière Magazine n° 285 du 15/09/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 285 du 15/09/2011

 

HAÏTI

ACTUALITÉ

Manque d’eau, d’électricité, de matériel… En Haïti, les conditions d’exercice des infirmières sont pénibles. En formation à Amiens, quelques professionnelles témoignent.

Comparer les systèmes de santé d’un pays à l’autre est souvent hasardeux. Surtout s’il s’agit, à l’image des établissements français et haïtiens, de « deux mondes différents », note Marie-Culène Gonel, directrice des soins à l’hôpital universitaire Justinien (HUJ) de Cap-Haïtien, deuxième hôpital d’Haïti. L’une des trente-trois infirmières haïtiennes formées cette année au CHU d’Amiens-Picardie.

Ces professionnelles ont toutefois été marquées par des aspects du système de soins français qu’elles ont découvert et auquel elles ont participé. Exemple : « En France, nous suivons le patient jusqu’à son retour chez lui, s’enthousiasme Jessica Morisset, infirmière. A-t-il une maison ? Est-ce que quelqu’un va l’accueillir ? »

Matériel sophistiqué

Cela témoigne, selon Marie-Culène Gonel, d’une « prise en charge globale » du malade. « Ce n’est pas que nous manquions de connaissances, ajoute la directrice des soins. Notre formation est à peu près la même qu’en France. Mais il y a tellement de difficultés en Haïti… Faute de tout avoir sous la main, il faut d’abord aller dans un service ou dans un autre. Réfléchir avant de commencer un soin… » Résultat : « De petits gestes d’attention au patient se perdent. » Haïti, endetté très jeune (1), est aujourd’hui le pays le plus pauvre du continent américain. L’HUJ déplore, ainsi, un manque récurrent d’eau et d’électricité qui ne favorise pas l’hygiène. Et rend compliqué, voire impossible, le recours à certains équipements. D’autres matériels sont disponibles, mais fournis par des partenaires internationaux : leur maniement n’est pas toujours connu. Une lacune qu’entend corriger la formation à Amiens. « En Haïti, c’est beaucoup plus manuel. Nous n’avons pas non plus de sets de pansements tout prêts », souffle Jessica Morisset. Autre difficulté imputée à l’insuffisance des budgets : le non-recrutement d’infirmières par le ministère. Et les hôpitaux sont peu nombreux. Des soignantes travaillent en ONG, vivent de petits boulots, tentent leur chance aux États-Unis.

Moins de spécialisations

Interrogée, à l’inverse, sur les tracas de ses homologues françaises, Jes­sica Morisset observe : « Elles sont toujours en train de courir. Il faut faire les soins, sans traîner, et ne pas négliger l’administratif ! » Mais c’est un gage de traçabilité.

En Haïti, les spécialisations sont, en outre, moins développées : manque d’aides-soignantes (les familles s’occupant du nursing et de l’alimentation des patients) ; absence de formation spécifique pour les personnels de soutien (nos agents de service hospitalier) ou les Ibode. Victoire Évenou, infirmière de bloc opératoire, se félicite donc de ses apprentissages à Amiens. Dans son pays, les infirmières se spécialisent, en quelque sorte, sur le terrain. En nombre insuffisant, les médecins doivent leur transmettre des savoirs. Des savoirs qui peuvent dépasser le cadre des compétences des infirmières françaises.

L’accueil sur les quatre sites du CHU d’Amiens, en 2011, et pour des durées variables, d’une soixantaine d’Haïtiens de divers métiers (infirmières, médecins, techniciens de laboratoire…) devra donc, entre autres, contribuer à harmoniser et à uniformiser les soins en Haïti. Financée par la Mission interministérielle pour la reconstruction d’Haïti, cette formation, complétée par du télé-enseignement, fait suite au jumelage lancé en 2006 entre l’HUJ et le CHU. Ou encore à l’envoi de professionnels de santé amiénois en Haïti après le séisme de janvier 2010. L’hôpital universitaire Justinien, épargné par le tremblement de terre, avait accueilli de nombreuses victimes. Un autre projet vise à reconstruire cet hôpital. Aux normes antisismiques…

1– En 1825, la France a imposé à Haïti un tribut monumental en contrepartie de son indépendance, obtenue en 1804. Le jeune état versa jusqu’en 1883 l’équivalent de 17 milliards d’euros d’aujourd’hui, et dut s’endetter durablement.