PSYCHIATRIE
ACTUALITÉ
La réforme des soins sans consentement a bousculé les hôpitaux au cœur de l’été. Les audiences avec le juge, notamment, sont complexes à organiser. Témoignages sur un mois de rodage.
Cette loi « très compliquée, qui change beaucoup de choses et qui doit être expliquée à beaucoup de monde »
Dès fin juillet, les réunions d’information se sont multipliées dans les hôpitaux pour préparer l’échéance. « Un comité de pilotage pluriprofessionnel a été mis en place par la direction pour essayer de comprendre la loi », témoigne ainsi Christine Abad, cadre supérieure de santé au CHS Montperrin d’Aix-en-Provence. Médecins, soignants, direction, secrétariat : la réforme a de fortes répercussions sur tous les professionnels des établissements de soins psychiatriques. Sa partie la plus visible, au cœur de l’été, a sans nul doute été l’obligation légale, désormais, d’organiser, au plus tard dans les quinze jours puis les six mois après la décision de privation de liberté, une entrevue entre les personnes hospitalisées sans leur consentement et le juge des libertés et de la détention (JLD). Des trois options prévues par la loi (audience au tribunal, déplacement du JLD à l’hôpital ou visioconférence), il semble que la visioconférence, « solution kafkaïenne, dont nous savons qu’elle va faire délirer les patients », selon le Dr Vidon, ait été largement boudée. Même dans des établissements où tout a été prévu pour adopter ce système, comme au CHS de Caen, les JLD ont préféré, pour les premières audiences d’août, se déplacer et voir les patients.
Malgré une pétition signée fin juillet par quelque 3 500 psychiatres et soignants en santé mentale pour demander que les juges privilégient les audiences à l’hôpital, de nombreux établissements ont dû se résoudre à envoyer leurs patients au tribunal. Ainsi du CHS Montperrin dont le tribunal d’Aix entend les patients deux demi-journées par semaine. « Parce que nous sommes assez proches du tribunal, précise Christine Abad, ce qui n’est pas forcément le cas de nos collègues de Martigues ou Arles. »
Or, le ministère de l’Intérieur a pris soin de préciser cet été qu’« à titre exceptionnel », des escortes policières ou de gendarmerie pourraient être mobilisées sur demande du directeur d’établissement, mais que le transport des patients devait être, sinon, assuré par l’hôpital. À moyens humains constants, ces déplacements sont source de tension dans les services, les deux infirmiers mobilisés par malade à comparaître n’étant pas auprès des autres patients pendant ce temps-là. Mais, pour la personne qui rencontre le juge, cette présence soignante est indispensable. « Pour rassurer, expliquer, faire tout un étayage pour l’aider à affronter une situation anxiogène », explique Christine Abad, qui déplore dans le même temps que ce soit d’autant « moins de soignants dans les unités de soins pour faire tous les autres accompagnements nécessaires en vue de la réinsertion de nos patients ».
Le temps soignant mobilisé est certes raccourci quand l’audience se passe au sein de l’hôpital, mais même dans les établissements où les JLD ont accepté de se déplacer, des cas peuvent se présenter, obligeant à faire des déplacements extérieurs en urgence. « On nous a transféré un patient sous contrainte un jeudi à midi et demi. Il devait être vu par le juge avant le samedi, mais notre jour d’audience hebdomadaire étant passé, il a fallu l’accompagner dans un autre établissement le vendredi », raconte Annick Perrin-Niquet, cadre supérieure de santé dans un CHS du Rhône.
Si les soignants s’accordent à dire que l’audience à l’hôpital est « plus sécurisante » pour les malades, le fait que ces séances soient publiques en choque beaucoup. Ainsi, la lecture publique des certificats médicaux laisse circonspect Olivier Mans, cadre supérieur de santé au CHS de Caen, qui estime pourtant positif que « la citoyenneté ne s’arrête pas à la porte de l’hôpital ». Pour Bertrand Escaig, vice-président de l’Unafam (lire l’encadré ci-contre), ces audiences publiques sont même « une aberration » propre à menacer le respect du « secret médical ». Certes, en pratique, rares sont les personnes à franchir le seuil de l’hôpital pour aller assister à ces audiences, mais il n’empêche : une signalétique ad hoc a dû être mise en place à l’entrée des établissements et, théoriquement, « n’importe quel clampin qui le souhaite peut venir », s’indigne un infirmier psychiatrique préférant garder l’anonymat, qui trouve un caractère « surréaliste » à ces audiences. « On passe notre temps à leur dire “vous n’êtes pas en prison, vous êtes à l’hôpital” et, d’un coup, on leur dit “le juge veut vous voir” », s’étrangle-t-il. Le juge et la greffière arrivent, avec leur matériel informatique. Parfois, un avocat accompagne le patient, ou un soignant, raconte l’infirmier. Le juge, au vu des pièces versées au dossier, prend plus ou moins le temps d’écouter la personne et, le plus souvent, maintient la contrainte, conformément à l’avis médical. La personne signe. Mais comprend-elle ?
Au-delà de toutes ces interrogations, certains soignants entrevoient des vertus dans cette rencontre entre deux univers étrangers l’un à l’autre. « La justice découvre la psychiatrie de l’intérieur, constate Olivier Mans. Ce nouveau regard pourrait bien s’avérer intéressant pour nous, soignants. Cela aura sûrement un impact, positif, sur nos pratiques. »
1– Pour plus d’informations sur cette loi, lire notre n° 283, pp. 6-7.
BERTRAND ESCAIG VICE-PRÉSIDENT DE L’UNAFAM
« L’Union nationale des amis et familles de malades psychiques (Unafam) n’a jamais milité pour la judiciarisation. Au-delà de cet aspect, ce texte présente pour nous deux progrès. Désormais, l’Agence régionale de santé (ARS) devra organiser le transport à l’hôpital de la personne malade. Le transport était un cauchemar pour les familles. à présent, il y aura une compétence psychiatrique au sein du Samu, avec des infirmiers expérimentés pouvant se déplacer au domicile.
La deuxième chose fondamentale, c’est que la famille n’est plus obligée de signer l’HDT. Le transport est demandé et signé par la famille, mais vers un centre d’évaluation où les médecins décideront d’enfermer la personne ou de la laisser dehors avec obligation de soins, ou encore rien du tout.
Enfin, on a gagné la reconnaissance du rôle des aidants naturels, dont l’ARS doit conforter les actions. Nous attendons que tous ces articles de la loi soient appliqués. Ils devront être complétés par le plan Psychiatrie et santé mentale. Notre principale demande consiste à aider les aidants car, dans la maladie psychiatrique, la famille est souvent le dernier rempart avant la rue. Or, des tas de parents, parfois âgés, tombent malades de cet état de choses, du stress que génère la maladie d’un proche. Nous sommes des aidants, des veilleurs, mais aussi des victimes. Nous sommes fragiles. »