Le débat est parti pour durer - L'Infirmière Magazine n° 287 du 15/10/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 287 du 15/10/2011

 

UNIVERSITARISATION

DOSSIER

Pour ou contre la réforme ? Au-delà des difficultés techniques de la rentrée, le nouveau dispositif invite les infirmières à rebattre les cartes de la réflexion sur leur pratique.

D’accord sur le principe, pas sur les conditions. Dans la bouche des représentants étudiants comme dans celle des formateurs, le discours est sensiblement le même : si la profession est presque unanime à regretter la précipitation dans la mise en œuvre du nouveau dispositif, le manque de moyens accordés aux tuteurs et l’absurdité pédagogique du télé-enseignement, rares sont ceux qui remettent en cause le principe même de l’universitarisation. Pourtant, pour Anne Perraut Soliveres, infirmière retraitée auteure du Savoir de la nuit (PUF, 2001), c’est bien là que le bât blesse. Pour elle, le travail auxquelles se livreront les étudiants à l’université dans leur formation initiale représentera autant de contorsions intellectuelles qui les éloigneront de leur cœur de métier : « Être infirmière, c’est dépasser son rejet de l’autre et ses propres limites, c’est faire face à ce qu’il y a de plus difficile dans l’humain, sa faiblesse, sa dépendance… Les universitaires ne savent rien du terrain. Qu’est-ce qu’un psychologue a à apprendre aux futures infirmières ? »

Anne Perraut Soliveres est d’ailleurs atterrée lorsqu’elle entend des étudiants de première année dire qu’ils se destinent à la recherche, sans rien savoir de leur métier. « Évidemment, s’il a le choix entre pénétrer dans une chambre où le patient est couvert de merde, ou faire autre chose, il choisira de faire autre chose », dit-elle. L’avenir qui se dessine est-il celui d’infirmières rechignant à se salir les mains, plébiscitant les tâches administratives et la réflexion théorique ? « Il y aura toujours des soignantes qui feront preuve d’empathie, qui voudront d’abord soigner, qui auront des motivations plus humanistes qu’intellectuelles… Mais elles seront pénalisées par la sélection universitaire, qui va s’opérer sur le niveau scolaire », avance-t-elle. Les enseignements universitaires, selon elle, n’ont d’intérêt qu’à partir de la troisième année d’études, une fois les étudiants plongés dans le « bain du terrain ». « C’est seulement après plusieurs années qu’on se rend compte de ce qui nous manque comme savoirs théoriques. Ça ne sert à rien d’être gavés de QCM avant d’avoir faim », conclut Anne Perraut Soliveres.

Risques pour les Ifsi

Pour beaucoup de professionnels, néanmoins, ce sont les insuffisances de la réforme qui expliquent les doutes qu’elle suscite. La démocratisation inachevée des Ifsi, par exemple. Florence Lamaurt, de la Fnési, regrette ainsi que les conseils d’institut (pédagogique et de la vie étudiante) restent des organes consultatifs et non décisionnaires. Jean-Loup Durousset, président de la Fédération de l’hospitalisation privée, déplore de ne pas avoir été écouté, lui qui souhaite une réforme radicale des études, avec des organismes de formation déconnectés du secteur public, des quotas revus à la hausse et la multiplication des contrats d’apprentissage. Mais, au-delà, certains formateurs s’inquiètent surtout des risques de regroupement des petits Ifsi isolés, dès lors que ceux-ci sont amenés à travailler ensemble autour d’une université. « La réforme ne prévoit pas l’intégration des Ifsi à l’université. Il s’agit d’un partenariat pédagogique », rappelle néanmoins Anne-Marie Garnier, directrice de l’Institut de formation interhospitalier Théodore-Simon, à Neuilly-sur-Marne (93).

Craintes et méfiance

Une autre crainte de certains directeurs d’institut est de voir leur autorité mise à mal par le nouveau dispositif : « Avec ce système, l’université désigne un de ses professeurs comme responsable d’une unité d’enseignement pour tous les Ifsi qui ont signé un partenariat avec elle, note Frédéric Launay, ancien formateur. Il travaille en partenariat avec un cadre de santé d’un de ces Ifsi, qui se retrouve chargé de l’harmonisation de cette unité d’enseignement dans tous les instituts. Cet enseignant a un rôle prépondérant, et certains directeurs ont l’impression que le pouvoir leur échappe au profit de leurs subordonnés… » Les raisons de la méfiance ne sont, ainsi, pas forcément toutes avouables. Frédéric Launay reste d’ailleurs circonspect devant l’unanimité entre la Fnési et le Cefiec pour dénoncer les conditions de mise en œuvre de la réforme : « Je pense que c’est une alliance de circonstance. Les enseignants ont peur pour leur Ifsi, peur de devoir retourner dans les services de soins, ou peur d’être dépassés par les nouveaux savoirs qui seront dispensés aux infirmières. Et les étudiants redoutent le contrôle continu et l’élévation du niveau d’exigence. » Quant à l’argument selon lequel l’université éloignerait l’infirmière du lit du malade, il ne convainc pas non plus Frédéric Launay : « On surestime le pouvoir de l’université. Les infirmières passent, aujourd’hui comme hier, la moitié de leur formation en stage. C’est aux infirmières du terrain de défendre la relation avec le malade. » Le débat, selon lui, se pose d’autant moins en termes d’opposition théorie-pratique que le volume horaire d’enseignement théorique baisse de 19,6 % dans le nouveau programme. « Ce qui s’enseignait avant en Ifsi était tout aussi théorique et beaucoup moins solide sur le plan scientifique que certains enseignements universitaires, estime-t-il. La coopération universitaire ne concerne que les UE scientifiques et l’enseignement du cœur de métier reste intégralement sous la responsabilité pédagogique des Ifsi. C’est donc un faux débat. »

Cette réforme sera-t-elle celle des occasions manquées ? C’est ce qui risque de se passer si les infirmières ne s’en saisissent pas, avertit-il : « Il faut suivre l’exemple de la Suisse et du Canada, où les infirmières ont réussi à faire leur place à l’université. Si nous apprenons, par exemple, à maîtriser l’économie de la santé, nous pourrons contrer le discours dominant sur la productivité dans les soins avec des arguments autrement plus solides qu’aujourd’hui. »

À LIRE

La réforme de la formation séduit, interroge, inquiète. Pour faire le point sur le débat d’idées, la revue trimestrielle Pratiques consacre son n° 54, daté de juillet, à la « fin du mythe » infirmier et aux turbulences que connaît la profession, notamment en ce qui concerne les études.

PARAMÉDICAUX

La L1 à l’horizon ?

L’intégration à l’université est– elle le prélude à l’extension de la ? Paces (première année commune aux études de santé, ou « L1 santé ») aux auxiliaires médicaux ? Si l’idée était retenue, elle permettrait aux étudiants paramédicaux de suivre, pendant une année, un enseignement de tronc commun et des cours complémentaires par spécialités. Idée sous-jacente : permettre aux étudiants ayant manqué leur passage en 2e année de médecine d’intégrer les filières paramédicales sans recommencer à zéro.

Cette perspective suscite une certaine méfiance de ceux pour qui les professions paramédicales n’ont pas vocation à accueillir les « déchets de médecine », et ceux qui redoutent, à l’inverse, que les étudiants infirmiers soient sanctionnés par une hausse brutale et excessive du niveau de sélection, sur des bases scientifiques. Autre inquiétude, celle de voir le « cœur de métier » affaibli par un tel saucissonnage des enseignements.

En juillet 2010, deux députés, Jacques Domergue (UMP) et Catherine Lemorton (PS), ont rendu un rapport préconisant, à court terme, la création d’une L1 paramédicale, année de sélection (et non de formation) ouvrant l’accès aux diverses spécialités selon le classement de l’étudiant. Mais, pour ne pas pénaliser les étudiants infirmiers ni allonger leurs études, ceux-ci en seraient dispensés et continueraient d’intégrer les instituts après le bac. Cette L1 n’est donc envisagée pour eux qu’à long terme, après une éventuelle amélioration de niveau attendue de l’universitarisation.