LANGUE BRETONNE
SUR LE TERRAIN
INITIATIVE
Une clé qui ouvre des portes, suscite de la confiance et apaise. Tel peut être le rôle d’une langue maternelle parlée par des infirmières avec des personnes âgées. Exemple dans le Finistère Nord, avec la langue bretonne.
La langue bretonne,Béatrice Habasque l’a utilisée dès ses débuts professionnels, comme agent de service hospitalier, dans le nord du Finistère. « À 17 ans et demi, il n’est pas évident de se retrouver, pour une toilette, devant un corps dénudé, abîmé par les années. Il fallait un exutoire pour que la personne âgée ne sente pas que j’étais aussi mal à l’aise qu’elle. Par exemple, pour savoir si l’eau était chaude, j’ai commencé à demander des mots en breton. Et à les répéter, mal parfois. Ce qui provoquait des fous rires des deux côtés… » Ce plaisir et ces rires tranchent avec la tristesse qui peut accompagner la fin de vie en maison de retraite, marquée par les deuils et le déracinement. D’autres expériences convainquent Béatrice Habasque de l’utilité du breton dans la prise en charge des anciens. Ainsi, en 2005, l’aide-soignante, alors étudiante en soins infirmiers, assiste à l’arrivée d’un patient de 92 ans aux urgences. Il est atteint de la maladie d’Alzheimer et tente de descendre du brancard malgré une possible fracture du col du fémur. Après quelques mots en breton (« Chomit trankil bremañ ! Poan ’peus ? », c’est-à-dire « Restez tranquille maintenant ! Vous avez mal ? »), il devient « très coopérant », écrit Béatrice Habasque dans son travail de fin d’études infirmières consacré au breton comme outil dans le soin auprès des personnes âgées bretonnantes.
De retour à l’hôpital local de Lesneven
Reliés par le breton, soignants et soignés se voient différemment. « On met des étiquettes sur la personne en fonction de ses pathologies, regrette Béatrice Habasque. Mais on ne va pas forcément chercher ce qu’elle est encore capable de faire. Ni ce qu’elle est, enfouie au fond d’elle-même. » Et de déplorer que l’attention soit trop souvent concentrée sur les médicaments, ou les organes malades. Au détriment du bien-être et de l’histoire personnelle. Une histoire ici souvent imprégnée de breton. Selon Pierre Bleunven, directeur de l’hôpital, au moins 30 % des résidants savent le parler. Parmi eux, beaucoup sont nés avant la Seconde Guerre mondiale. Certains n’ont parlé qu’en breton jusqu’à l’âge de 5 ou 6 ans. Aujourd’hui, ils l’emploient pour certaines conversations, ou pour ne pas être compris des personnes non-bretonnantes… Mais la pratique du breton, « monnaie courante » pour les soignants et les soignés il y a une trentaine d’années, s’amenuise avec le décès des résidants, le départ en retraite du personnel et la non-transmission familiale de la langue après la guerre. Maryvonne Berthou, de l’association Ti ar Vro Bro Leon, souligne « un paradoxe » : hier, le personnel était plus couramment bretonnant mais pas encouragé à parler la langue ; aujourd’hui, c’est l’inverse. « Toutes les personnes qui ont vécu des brimades pour avoir parlé breton comprennent assez difficilement le retour à cette langue, note Béatrice Habasque. J’ai rencontré deux ou trois patients qui ne voulaient plus y avoir affaire. D’ailleurs, quand j’ai commencé à travailler sur le lexique bilingue, ma grand-mère ne comprenait pas le revirement de situation. » Tout de même, une fierté pointait… « Dans la vulnérabilité de ses derniers instants, l’usage de petits mots en breton éveillait des choses chez elle », confie, ainsi, l’infirmière.
Certains résidants « ont presque le réflexe d’utiliser le breton, remarque Pierre Bleunven. On dit qu’une personne affaiblie, perdant un peu la tête, a tendance à retrouver le langage maternel. » Un thème « très peu étudié » médicalement, selon le docteur Catherine Rannou-Postic, qui l’a approfondi (pour le breton) dans le cadre de sa capacité de gériatrie. Cette bretonnante fait part d’un même constat relayé par des professionnels de santé : « La détérioration des fonctions cognitives fait réapparaître la langue apprise dans l’enfance (qui n’était plus parlée couramment, le français ayant pris le relais). Pour certains patients déments, le breton devient la seule langue pour communiquer… Les intervenants témoignent alors de l’intérêt à le parler pour gérer les situations difficiles : crises d’agitation ou d’angoisse, par exemple »
Ce travail a, par ailleurs, été intégré (sans la phonétique) au projet « Brezhoneg evit ar re gozh » (« Le breton pour les anciens »). Résultat : un livre de 240 pages contenant du vocabulaire et des scènes de la vie, ainsi que deux CD-Rom pour améliorer sa diction
1– 15 lits en sanitaire, 33 en soins de suite ou convalescence et 256 places d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
2– Dans Langues et cité, juillet 2010, numéro 17.
3– Communiquer avec des adultes âgés : la “Clé des sens”, Chronique sociale, de Martine Perron, 1996.
4– Renseignements au 02 98 21 29 00.
5– Voir tiarvroleon.org
Être bilingue permet de mieux faire face aux effets de la maladie d’Alzheimer. Mark Masson, chargé de mission langue bretonne au conseil général du Finistère, l’a lu dans une interview de la Canadienne Ellen Bialystock parue dans The Observer, le 12 juin. Pourtant, les initiatives pour utiliser le breton avec les anciens restent « ponctuelles, non coordonnées », à l’image des animations de l’association Mervent, dans le secteur de Douarnenez, ou de l’enseignement de la langue par des résidants à du personnel de maisons de retraite. « Le culturel, l’intellectuel sont laissés de côté », regrette Mark Masson, qui cite en exemple la formation linguistique en occitan dispensée à des employés de maisons de retraite en Hautes-Pyrénées. Le conseil général du Finistère, lui, développe les liens intergénérationnels en breton par l’opération « Quêteurs de mémoires ». Parmi les 110 000 Finistériens bretonnants (plus de la moitié des locuteurs), 6 000 sont scolarisés jusqu’au baccalauréat, 70 000 ont au moins 60 ans.