RENONCEMENT OU REFUS ? - L'Infirmière Magazine n° 292 du 01/01/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 292 du 01/01/2012

 

ACCÈS AUX SOINS

ACTUALITÉ

DU CÔTÉ DES… COLLOQUES

Le pouvoir d’achat et l’accès à une couverture complémentaire sont deux facteurs, parmi d’autres, qui jouent sur les pratiques individuelles de santé.

Avec un seul œil, on voit très bien. » Au premier abord, Jeannine, 77 ans, se justifie ainsi de ne faire opérer de la cataracte qu’un seul de ses yeux. En réalité, sa décision est motivée par la peur de l’opération, par sa difficulté à se rendre chez l’ophtalmologue et sa résistance à la consultation d’un médecin. Elle ne soigne pas non plus sa polyarthrite rhumatoïde, dont le traitement lui fait perdre des dents. Mais elle essaie acupuncture (contre ses sinusites) et homéopathie. Pour Caroline Desprès, chercheuse associée à l’Irdes(1), ce témoignage illustre la notion de « renoncement refus » à des soins. Un « renoncement refus » qu’il faut distinguer du « renoncement barrière », a explicité la chercheuse, lors d’un colloque organisé par la Direction de la Sécurité sociale et la Drees(2), en novembre dernier, à Paris. Le premier consiste, notamment, pour le patient, à exprimer une défiance vis-à-vis de la médecine conventionnelle, et, éventuellement, à lui préférer d’autres pratiques. Dans le cas du « renoncement barrière », le soin est, par contre, vécu comme « inaccessible », en particulier pour des raisons budgétaires.

Culture de la privation

En 2008, selon l’Irdes, 15,4 % des Français majeurs ont déclaré avoir renoncé à des soins pour des raisons financières, notamment à des soins dentaires et, dans une moindre mesure, à des soins d’optique. Le taux varie selon l’âge, le sexe, le niveau de revenu et les tarifs des consultations… Mais, dans tous les cas, il augmente avec le niveau de précarité. En ce qui concerne les « soins les moins bien couverts par le régime obligatoire », la proportion double en cas d’absence de couverture complémentaire. Vingt deux pour cent des bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire ont ainsi renoncé à des soins. Ils auraient été 40 % s’ils avaient été dépourvus de ce dispositif. Les motifs précis du renoncement restent cependant difficiles à cerner. Exemple : même si Jeannine commence par le nier, l’aspect financier peut influencer son attitude face aux soins. En fait, la culture de la privation est inscrite dans l’univers minier dont elle est issue. De plus, la guerre l’a amenée à se priver encore davantage. Le « renoncement barrière » et le « renoncement refus » peuvent, ainsi, s’intriquer, surtout chez les plus précaires.

1– Irdes : Institut de recherche et de documentation en économie de la santé Lire les « Questions d’économie de la santé » sur « Le renoncement aux soins pour raisons financières : une approche économétrique » et « Le renoncement aux soins : une approche socio-anthropologique », sur www.irdes.fr.

2– Drees : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.

DÉFINITIONS

Cerner les comportements

→ Pour renoncer à des soins, encore faut-il ressentir le besoin d’être soigné. Le terme de « renoncement » renvoie donc à une insatisfaction déclarée. Lors du colloque du 22 novembre, le chercheur du CNRS Philippe Warin a, par ailleurs, distingué le « renoncement » du « non-recours » aux soins, celui-ci étant lié à « un besoin de soins avéré médicalement mais non traité ».

Ainsi, un patient peut estimer qu’il renonce à un soin, sans être, aux yeux d’un médecin, en non-recours. Une personne hypocondriaque aura ce comportement À l’inverse, l’on peut avoir besoin d’un soin mais ne pas s’en rendre compte. Il s’agit là d’une situation de non-recours. C’est le cas des « populations très précaires, dans le déni des besoins de soins, en perte d’autonomie, c’est-à-dire dans l’incapacité d’exprimer leurs besoins ». On peut aussi parler de « non-demande », a relevé un participant du colloque. Chantal Deschamps, du collectif d’usagers Ciss, met, elle, en exergue, le terme « d’abandon » des patients.

Les tentatives pour définir le renoncement aux soins sont récentes, tout comme son évaluation, régulière en France depuis 1992. Pour ajuster les politiques publiques, définition et statistiques sont pourtant cruciales. Sur ce point, plusieurs pistes ont été avancées, comme une meilleure information des usagers sur leurs droits, une meilleure formation des soignants, voire une prise en charge plus complète des dépenses de santé.