« Savoir expliquer sans en dire trop » - L'Infirmière Magazine n° 292 du 01/01/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 292 du 01/01/2012

 

DEONTOLOGIE

RÉFLEXION

Souvent considérée comme premier interlocuteur du patient, l’infirmière se trouve parfois assaillie de questions par le malade ou sa famille. Une position délicate à gérer, selon les situations rencontrées.

INFIRMIÈRE MAGAZINE : Dans un centre de lutte contre le cancer, la réflexion autour de l’accès du patient à ses informations personnelles est-elle particulièrement avancée ?

MICHÈLE ISNARDI : Il est vrai qu’en cancérologie, ce genre de questionnement peut s’avérer à la fois plus facile et plus difficile pour l’infirmière. En effet, elle oriente tout de suite le patient vers le médecin. Dans un autre établissement, qui prend en charge toutes sortes de pathologies, si le cas est moins grave, la situation est plus simple à gérer pour l’infirmière.

I. M. : Pouvons-nous déterminer jusqu’à quel point une infirmière peut transmettre des informations ?

M. I. : Un code de déontologie est en cours de rédaction. Il existe des règles professionnelles que l’infirmière doit strictement respecter. Il est évident qu’elle ne peut pas aller au-delà de ces règles. Pour résumer, je dirais que tout ce qui relève du diagnostic et du pronostic est un terrain sur lequel elle ne doit pas s’avancer. C’est très clair : le rôle de l’infirmière ne sort pas du champ explicatif, notamment lorsqu’il s’agit d’évoquer les effets secondaires d’un traitement… Elle est la personne ressource qui va fournir des explications au patient et à sa famille, si cette dernière le demande. Notons que depuis la loi du 4 mars 2002, le patient a accès à son dossier. Cela signifie qu’il est en droit de disposer de toutes les informations relatives à son état de santé. Il peut en faire la demande auprès du médecin responsable de l’unité lorsqu’il est hospitalisé. Hors hospitalisation, sa démarche sera effectuée par écrit. Les hôpitaux sont dans l’obligation de lui donner ces informations. Il me semble donc que, depuis 2002, les infirmières sont un peu moins confrontées à ces situations. D’autant que c’est la responsabilité du médecin d’expliquer au patient sa pathologie et le pronostic.

I. M. : Les patients sont-ils nombreux à demander leur dossier medical ?

M. I. : On l’a vu, c’est leur droit depuis 2002. Je pense que cela doit se pratiquer partout, si l’on considère que c’est l’un des éléments qui entrent en compte pour une demande de certification lors des visites de la Haute Autorité de santé. La loi HPST tente de rendre le patient acteur de sa santé. Pour ce faire, en particulier en cancérologie, il lui faut connaître un certain nombre d’items sur sa maladie.

I. M. : Où sont écrites les règles auxquelles les infirmières doivent se référer dans ce domaine ?

M. I. : Il existe un code international de déontologie depuis 1953, révisé en 2006. Et, depuis la mise en place du Conseil de l’ordre infirmier sur le territoire français, un code de déontologie est en cours de réécriture en fonction du Code de la santé publique et de tous les articles liés au métier d’infirmière. Je pense que ce nouveau texte ne fera que reprendre le référentiel d’actes et de compétences qui existe dans le Code de la santé publique. En somme, l’infirmière a l’obligation de rester dans son cadre de compétences. Si le médecin dit au patient qu’il doit passer un scanner ou une IRM, elle peut lui expliquer en quoi consistent ces examens, les précautions à prendre le cas échéant. De même, pour les traitements, elle pourra en décrire le déroulement et les effets. Ce sont des éléments qui relèvent de son rôle d’éducatrice à la santé. En revanche, face à un patient qui l’interroge au sujet de métastases qu’on a pu lui trouver, elle doit répondre qu’elle n’est pas habilitée à se prononcer sur un résultat d’examen.

I. M. : Comment délimiter la frontière entre diagnostic et traitement ?

M. I. : Le diagnostic implique la mise en place d’un traitement qui est une prescription médicale. Or, à partir du moment où il y a prescription, le médecin a pour rôle d’exposer au patient les raisons qui la justifie. L’infirmière, quant à elle, doit expliquer comment se déroule la prise du traitement, évoquer les effets secondaires éventuels, etc. Ainsi, elle reste dans son rôle éducatif. Bien entendu, pour cela, il faut aussi que le médecin respecte son cadre de référence.

I. M. : Quels sont les niveaux hiérarchiques à respecter ?

M. I. : L’infirmière a sa propre hiérarchie : le cadre de son équipe. Quant au médecin, cela va de l’interne à l’assistant chef de clinique, et jusqu’au chef de service. Les médecins thésés sont habilités à informer le patient. À partir du moment où l’infirmière constate une demande d’information pressante, elle trouvera toujours un médecin susceptible de renseigner le patient.

I. M. : Que faire si le médecin ne délivre pas l’information qu’il aurait dû donner à son patient ?

M. I. : Le médecin ne suit pas toujours ses obligations de ce point de vue-là, mais je mets les infirmières en garde en rappelant qu’elles engagent leur responsabilité si elles en disent trop. Cela peut se retourner contre elles et aboutir à des catastrophes. Elles peuvent jouer leur place. Je me « bats » souvent avec mes infirmières, y compris à propos des prescriptions téléphoniques, que j’interdis. C’est la parole de l’un contre la parole de l’autre. Si, au bout du compte, on constate un effet nuisible sur le patient, on dira à l’infirmière : « Ce n’était pas à vous de prendre cette décision ou de donner ce médicament alors qu’il n’a pas été prescrit. » Il en va de même pour transmettre une information au patient. Imaginez qu’elle se trompe, qu’elle lui délivre une information erronée, qu’il en fasse une déprime et se suicide… Les infirmières ne doivent donc pas dépasser le cadre de leurs compétences.

I. M. : Comment l’infirmière peut-elle réagir lorsqu’elle est assaillie de questions ?

M. I. : Il y a toujours des patients qui prêchent le faux pour savoir le vrai. Aujourd’hui, l’accès au dossier médical est ouvert, et l’infirmière n’est donc plus embarrassée. L’important est qu’elle sache se référer au corps médical pour signaler la demande. Elle n’a pas à prendre la responsabilité de remettre un dossier médical ou d’apporter une information hors de sa compétence, y compris concernant les résultats d’un examen. Les seuls « résultats » qu’elle ait à donner sont les paramètres vitaux de type température, tension ou glycémie. Dans ces cas, on revient à la dimension de l’éducation thérapeutique.

I. M. : Quels sont les risques encourus par l’infirmière si elle donne des informations qui ne relèvent pas de son champ de compétences ?

M. I. : Elle peut être attaquée en justice si elle outrepasse ses attributions. Il faut noter, par ailleurs, que les informations ne doivent être délivrées qu’au patient lui-même, pas aux membres de sa famille. Il est arrivé qu’une soignante pense s’adresser à l’épouse d’un malade, par exemple, alors que ce n’était pas le cas… Même les médecins ne sont pas au courant de certaines situations. Je rappelle aux infirmières que leur responsabilité est engagée. C’est une culture à leur transmettre. Cela fait partie de notre rôle en tant que directrice des soins, cadre supérieur ou cadre de proximité. Les instituts de formation devraient peut-être davantage enseigner cette culture…

I. M. : Avez-vous rencontré des cas ayant entraîné un recours en justice ?

M. I. : Non. Chance ou malchance de travailler dans un centre de lutte contre le cancer ? Toujours est-il qu’il y a tant d’informations qui entrent dans le cadre du pronostic vital du patient, que les infirmières sont très habituées à ne pas sortir de leur champ de compétences. Je crois que les patients l’ont également compris. Atteints d’une maladie qui s’est chronicisée – puisque, aujourd’hui, le cancer est quasiment devenu une pathologie chronique –, ils sont très au fait de leur état de santé. Ils connaissent leur dossier par cœur, presque mieux que les soignants de l’établissement. Ils en disposent quand ils se retrouvent en soins, et, à leur retour chez eux, ils continuent de l’alimenter en prenant leurs constantes, etc. Les patients sont très souvent autonomes, ils s’autogèrent. Aussi, lorsqu’ils sont hospitalisés, ils posent sans doute un peu moins de questions.

MICHÈLE ISNARDI

DIRECTRICE DES SOINS À L’INSTITUT PAOLI-CALMETTES, CENTRE DE LUTTE CONTRE LE CANCER, À MARSEILLE.

→ Diplôme d’État en 1977. Elle débute sa carrière en bloc opératoire.

→ Elle devient Ibode en 1984, puis, dix ans plus tard, cadre de santé.

→ Elle évolue dans le secteur public jusqu’en 2005, avant d’intégrer l’IPC pour y occuper différents postes de cadre.

→ Parallèlement à sa carrière, Michèle Isnardi a obtenu deux Masters, l’un en économie-gestion et l’autre en management des services de santé.

SAVOIR PLUS

Le code de déontologie international stipule que « l’infirmière s’assure que l’individu reçoit suffisamment d’informations pour donner ou non son consentement, en pleine connaissance de cause, en ce qui concerne les soins et le traitement qu’il devrait recevoir ». Il prévoit que « l’infirmière respecte le caractère confidentiel des informations qu’elle possède et ne communique celles-ci qu’à bon escient ». Une dernière notion plus complexe à définir… Voir site (adresse abrégée) : http://bit.ly/vvcEod