TERRAIN
DOSSIER
Des expériences concrètes, en milieu hospitalier et en pratique libérale, permettent de cerner les apports de l’expertise infirmière.
Depuis la publication de l’arrêté du 15 janvier 2010, deux protocoles de coopération entre professionnels de santé ont été autorisés, dont un permettant à des infirmières de réaliser des myélogrammes. Six autres seraient sur le point d’obtenir une autorisation, et une vingtaine d’autres sont en cours d’examen par la Haute Autorité de santé. Les professionnels concernés rédigent un texte, d’abord soumis à l’Agence régionale de santé (ARS), qui statue sur son opportunité et sa faisabilité. Si le dossier est accepté, il est ensuite transmis pour approbation à la HAS. Puis, l’ARS délivre l’arrêté d’autorisation de la délégation de tâche. Certains protocoles peuvent être étendus, à terme, au niveau national. La DGOS travaille actuellement avec la HAS pour alléger la procédure existante.
Chantal Riou, infirmière au CHG de Montélimar, a porté une des cinq premières expérimentations de transfert de tâches entre professionnels de santé. Disposant de plus de vingt ans de métier, l’IDE est sollicitée, en 2003, pour élaborer avec le chef du service de gastro-entérologie du CHG un projet de consultation infirmière de suivi thérapeutique pour les patients atteints d’hépatite C. L’infirmière se voit déléguer l’évaluation de la situation clinique du patient, la vérification de ses critères biologiques et l’ajustement de la prescription médicale.
Chantal Riou a été détachée de l’hôpital de jour pour mettre en place cette expérimentation, qui a ensuite été pérennisée sous la forme d’un protocole de coopération (validé mais non reconnu comme exportable dans un autre établissement). « Nous ne sommes pas là pour remplacer les médecins, précise l’infirmière. Même si nous effectuons des prescriptions, le contenu de notre approche reste différent. Dans ma démarche, je prends en compte la particularité de chaque patient. Par exemple, le contexte personnel, professionnel de chacun a son importance pour déterminer la date de la mise en traitement. Le patient doit en être acteur. En tant qu’infirmière, je prête particulièrement attention à cet aspect de la prise en soins. L’écoute prend également une place essentielle. Nos patients ont souvent des parcours de vie difficiles quand ils arrivent dans le service. » D’où un temps de consultation infirmière beaucoup plus long et un rythme de suivi beaucoup plus rapproché que pour une consultation médicale. Ce poste est complété par une activité de coordination. L’infirmière sollicite si nécessaire la psychologue, le service d’addictologie ou l’assistante sociale, ou d’autres médecins spécialistes du CHG.
Depuis le début des années 1990, les infirmières approfondissent leur démarche clinique en suivant des DU ou en obtenant un certificat d’infirmière clinicienne. Le CH de Valenciennes se distingue par le grand intérêt porté par son équipe dirigeante à la démarche clinique paramédicale. Depuis 1999, 200 professionnelles, infirmières, puéricultrices, aides-soignantes et auxiliaires de puériculture ont été formées. La formation infirmière et puéricultrice à la démarche clinique se fait en alternance sur une période de dix-huit mois et s’achève par la soutenance d’un mémoire. Ces personnes ressources sont réparties sur l’ensemble de l’établissement, au sein des différentes unités de soins, et permettent de mettre en place une relation soigné-soignant spécifique et individualisée. Elles sont sollicitées quand les prises en charge traditionnelles ont échoué, ou en complémentarité. En fonction du projet médical et paramédical de chaque pôle de l’établissement, une partie de ces professionnelles ont été détachées et positionnées comme référentes cliniciennes.
Une cellule clinique a également été mise en place, sous la supervision de deux cadres supérieurs et de la directrice des soins. Les 45 personnes participant aux travaux de cette structure de réflexion, de recherche et d’expression de la recherche paramédicale sont détachées de leur service habituel une journée tous les deux mois. Six thèmes de travail sont abordés chaque année. En 2010, la cellule clinique a, notamment, travaillé sur la prise en charge non médicamenteuse de la douleur induite par les soins et sur l’évaluation comparative entre thérapie traditionnelle et thérapie alternative, à travers l’aromathérapie scientifique. Un nombre important d’infirmières libérales travaillent déjà en pratiques avancées et réalisent des consultations infirmières. L’Anfiide (Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants) a effectué un recensement auprès des professionnelles. Les 65 réponses qui lui ont été transmises ont clairement montré que de nombreuses infirmières avaient suivi une formation complémentaire pour conduire ces consultations.
Isabelle Sanselme, vice-présidente de l’Anfiide, détient le certificat d’infirmière clinicienne, et suit actuellement le master 2 de sciences cliniques infirmières, pratiques avancées en gérontologie proposé par l’université de Méditerranée et l’EHESP. Selon elle, « c’est dans l’exercice de la clinique infirmière que se définit l’essence de la profession pour accompagner les personnes dans leur capacité à faire face à la maladie et aux évènements de la vie auxquels elles sont confrontées, et à promouvoir, maintenir ou retrouver un état de santé qui les satisfasse. Notre démarche est complémentaire de celle des médecins. Nous sommes les garants de l’évaluation de l’évolution de l’état de santé de nos patients par notre présence fréquente auprès d’eux, dans leur environnement social et familial ».
L’Anfiide rédige actuellement une note de cadrage à destination de la Haute Autorité de santé, en vue de mettre en place des recommandations de bonnes pratiques en matière de consultation infirmière. Isabelle Sanselme conduit des entretiens d’aide pour accompagner des patients confrontés au deuil, aux pertes multiples, qu’il s’agisse de la mort d’un proche ou de l’annonce d’une maladie chronique. En l’absence actuelle de reconnaissance de la consultation infirmière, l’Idel facture deux AIS 3 pour ces consultations. Cette cotation non spécifique à la consultation ne permet pas de l’identifier comme mode d’exercice infirmier à part entière. « C’est en agissant avec nos compétences et notre expertise sur le terrain que nous pourrons obtenir une reconnaissance de cette pratique, précise la vice-présidente de l’Anfiide. Cela a été le cas pour les plaies et la cicatrisation. Les infirmières sont parvenues à faire reconnaître leur expertise et à obtenir l’autorisation de prescription. La démarche initiée auprès de la HAS va dans le sens de cette reconnaissance. »
Deux masters permettent actuellement de se former aux pratiques avancées. En 2009, l’EHESP a ouvert un master de sciences cliniques infirmières, en partenariat avec l’université de Méditerranée. Le master « sciences cliniques en soins infirmiers », mis en place par le centre de formation de l’hôpital Sainte-Anne et l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, vient d’accueillir ses premiers étudiants. Ces deux formations sont ouvertes à des professionnelles diplômées disposant d’une expérience d’au moins quatre ans. Le master de Sainte-Anne est résolument tourné vers les sciences cliniques. Ses étudiants de deuxième année devront choisir l’an prochain entre trois spécialisations : psychiatrie et santé mentale ; maladies chroniques et dépendance ; ou douleur et soins palliatifs. Le master de l’EHESP est plus orienté vers le versant « praticien ». Ses effectifs sont divisés à parts égales entre infirmières salariées et libérales. Une partie de ces étudiants sont en poste dans un service engagé dans un processus de coopération. La spécialisation de seconde année prévoit trois options : cancérologie ; gérontologie ; et parcours complexe de soins.