COMPÉTENCES INFIRMIÈRES
DOSSIER
Le chantier des pratiques avancées a été activé ces dernières années par la mise en place des coopérations entre professionnels de santé et par les réflexions en cours sur les nouveaux métiers paramédicaux.
Les pratiques avancées infirmières sont apparues au Canada et aux États-Unis dans les années 1960 et n’ont commencé à se développer véritablement en France qu’à partir des années 1990. En l’absence de définition précise adaptée au contexte français, la référence la plus employée est celle qu’a élaborée le Conseil international des infirmières en 2002 pour décrire l’infirmière en pratiques avancées : « Une infirmière diplômée d’État ou certifiée, qui a acquis des connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de sa profession, pratique avancée dont les caractéristiques sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière sera autorisée à exercer. Un master est recommandé comme niveau d’entrée. » Cette définition, qui laisse le champ ouvert à différentes interprétations, met l’accent sur deux points importants : l’expertise et la formation.
En France, les pratiques avancées se divisent en deux catégories : celles de l’infirmière « praticienne » et celles de l’infirmière « clinicienne ». La première développe de nouvelles activités, jusque-là réservées aux médecins. Suite à une délégation d’actes médicaux, l’infirmière praticienne peut réaliser diagnostics, dépistages, prescriptions de médicaments ou de tests médicaux, et se voir confier des missions de pratiques de la prévention, d’éducation de la santé, de contrôle de patients atteints de maladies chroniques et de coordination des soins. Cette pratique demande un aménagement des règles professionnelles, afin que la soignante ne se trouve pas en situation d’exercice illégal de la médecine.
L’infirmière clinicienne dispose, elle, d’une expertise poussée dans un domaine de la clinique infirmière. Son activité se situe dans le strict prolongement du « rôle propre » infirmier. Elle déploie ses activités dans quatre champs : la pratique clinique, l’encadrement d’équipes, la formation et la recherche. Ses compétences plus approfondies lui permettent de réaliser des consultations auprès des patients, de conseiller des infirmières ou d’autres membres de l’équipe en situation difficile, d’améliorer la qualité des soins au travers de pratiques pertinentes.
À partir des années 2000, une série de rapports sont remis au ministère de la Santé, dans le but que soit aménagée la délégation, en bonne et due forme, d’actes médicaux. Il s’agit d’anticiper l’évolution démographique des professionnels de santé, avec le départ à la retraite des médecins issus de la génération du baby-boom. Les études de la Drees laissent alors prévoir une baisse des effectifs médicaux, avec un pic en 2012, et une inversion de tendance qui ne peut pas avoir lieu avant 2020. Un rapport coordonné par le Pr Yvon Berland en 2003 (voir encadré p. 14) se penche sur la coopération entre professionnels de santé. En 2004, cinq expérimentations de coopération sont initiées puis évaluées par la Haute Autorité de santé (HAS) et l’ONDPS (Observatoire national de la démographie des professions de santé). En 2006, ces deux organismes publient un rapport qui se conclut ainsi : « Tous les projets présentés montrent qu’il est possible pour des professionnels paramédicaux de réaliser des actes médicaux sans danger pour les patients, au prix d’une réorganisation des processus de travail et d’une étroite collaboration avec les médecins. » L’article 51 de la loi HPST apporte, en 2009, un cadre légal à ces coopérations. Il aménage les dérogations aux conditions légales d’exercice par le transfert d’acte ou d’activité de soins d’un corps de métier à l’autre, ou par la réorganisation de leur mode d’intervention auprès du patient.
Parallèlement à la mise en place des coopérations, des rapports s’intéressent aux nouvelles pratiques, avancées, permettant aux paramédicaux d’approfondir leurs compétences et d’améliorer l’accès au soin de la population. En 2008, un rapport coordonné par Michelle Bressand, conseillère générale des établissements de santé, se penche sur les nouveaux métiers pouvant s’offrir aux professions paramédicales. Il souligne l’importance que « les formations complémentaires, nécessaires aux nouvelles formes d’exercice, soient encadrées par les UFR de médecine et fassent l’objet d’une validation de master 1 ou 2 en fonction des nouvelles responsabilités des futurs professionnels ». En février 2011, un rapport présenté par Danielle Cadet, le Pr Yvon Berland et le député Laurent Hénard, portant sur les métiers en santé de niveau intermédiaire, poursuit cette réflexion. Il met en avant la nécessité de fonder le développement de ces nouveaux métiers sur les besoins en santé de la population et sur une formation unifiée sur le plan national (voir Interview p. 15). Le document remis au début de l’année au ministère, n’a eu, pour le moment, aucune traduction politique. Ce ralentissement s’explique probablement par les changements ministériels, passés et à venir. Jean-Marc Grenier, directeur des soins du CH de Grenoble et président de l’AFDS (Association française des directeurs de soins), estime que « le rapport sur les métiers intermédiaires de santé a été salué par l’ensemble de la profession. Il représente une opportunité pour l’évolution du métier de soignant dont bénéficieront les patients. Il ne faut pas que sa mise en application reste en attente. L’AFDS, en partenariat avec la FHF, insiste pour que le dossier soit réouvert ».
La profession infirmière dans son ensemble se montre favorable au développement des pratiques avancées, qui permettent d’enrichir des compétences professionnelles et d’améliorer la qualité des soins. En 2007, la HAS avait lancé une enquête, déclarative et non discriminante, pour mieux connaître les expériences déjà existantes de coopération entre professionnels de santé, et avait reçu 334 témoignages. D’où l’importance d’apporter un cadre légal à ces pratiques avancées, et, à terme, une reconnaissance statutaire et financière, justifiée par des diplômes adéquats. Thierry Amouroux, secrétaire général du SNPI (Syndicat national des professionnels infirmiers), pointe les dangers de « pratiques pour lesquelles les professionnelles vont au-delà de ce à quoi elles ont été formées, sans en avoir forcément les compétences. Même si cela peut être valorisant, il s’agit de travailler en prenant plus de risques et de responsabilités, dans un contexte de travail où les risques sont déjà majorés ». Enfin, et d’une manière plus générale, les pratiques avancées interrogent la conception de notre système de santé. Les fonctions d’éducation, de promotion de la santé et de prévention qu’elles induisent nécessiteront probablement des évolutions. Philippe Svandra, responsable pédagogique du master de « sciences cliniques en soins infirmiers » du centre de formation de l’hôpital Sainte-Anne (AP-HP), s’interroge : « Le développement des sciences cliniques infirmières doit s’accompagner d’une réflexion plus large sur l’organisation sanitaire. N’est-il pas temps d’abandonner notre vision curative et hospitalo-centrée pour nous tourner vers une santé communautaire, préventive, s’appuyant davantage sur les réseaux de santé ? »
ADSP (Actualité et dossier en santé publique) n° 70, mars 2010, « Évolution des métiers de la santé : coopération entre professionnels ».
« La formation universitaire des infirmières et infirmiers - Une réponse aux défis des systèmes de santé », Rapport du Sidieff, publié en mai 2011.
« Pratiques, rôles et place des infirmières en soins primaires dans six pays européens, en Ontario et au Québec », Yann Bourgueil, Anna Marek, Julien Mousquès - Recherche en soins infirmiers, juin 2008.
Les pratiques infirmières avancées : une description et évaluation des expériences dans 12 pays développés, Marie-Laure Delamaire et Gaëtan Lafortune, éditions de l’OCDE, 2010.
« Rapport relatif aux métiers en santé de niveau intermédiaire - Professionnels d’aujourd’hui et nouveaux métiers : des pistes pour avancer », Laurent Hénart, Yvon Berland, Danielle Cadet, février 2011.
→ 2002 : premier rapport, coordonné par le Pr Yvon Berland, sur « La démographie des professions de santé ».
→ 2003 : second rapport, coordonné par le Pr Yvon Berland : « La coopération des professions de santé : le transfert des tâches et des compétences ».
→ Décembre 2004 : un arrêté fixe les modalités des cinq premières expérimentations de coopération entre professionnels de santé.
→ Mars 2006 : le ministère de la Santé demande par arrêté à la HAS d’assurer le suivi de l’évaluation de sept nouvelles coopérations et la reconduction de trois anciennes et d’élaborer une recommandation générale dans le domaine de la coopération.
→ Juin 2006 : le rapport Berland-Bourgueil portant sur l’évaluation des cinq premières expérimentations conclut à la possibilité de créer le métier d’« infirmière experte ».
→ Avril 2008 : la HAS publie, avec l’ONDPS, des recommandations : « Délégations, transferts, nouveaux métiers - Comment favoriser des formes nouvelles de coopération entre professionnels de santé ? ».
→ Novembre 2008 : rapport de Michelle Bressand, Marie-Hélène Abadie et Roger Husson : « Réflexions autour des partages de tâches et de compétences entre professionnels de santé ».
→ Juillet 2009 : dans son article 51, la loi HPST inscrit la coopération entre professionnels de santé dans le Code de la santé publique (articles L. 4011-1 à L. 4011-3).
→ 15 janvier 2010 : publication de l’arrêté qui définit la procédure applicable aux protocoles de coopération.
→ Février 2011 : rapport cosigné par Laurent Hénard, Yvon Berland et Danielle Cadet sur « Les métiers en santé de niveau intermédiaire ».