FORMATION CONTINUE
IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN
Mme D., âgée de 91 ans, souffrant d’insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine inférieure à 30 ml/min selon la formule de Cockcroft), consulte son généraliste en raison d’une douleur au mollet. Le médecin suspecte une thrombose veineuse profonde (TVP) de la veine tibiale postérieure. Un Doppler est réalisé mais ne permet pas de préciser s’il s’agit d’une thrombose récente ou d’une séquelle obstructive. Un traitement par fondaparinux (Arixtra) est alors instauré. Le traitement usuel de cette patiente ne comporte qu’un antihypertenseur (irbesartan et hydrochlorothiazide) et un collyre antiglaucomateux.
Après 15 jours de traitement par fondaparinux, la patiente fait une chute d’allure mécanique en fermant sa porte d’entrée. Cette chute occasionne la survenue d’un très large hématome, s’étendant de la fesse gauche au tiers moyen de la cuisse droite, puis jusqu’au genou. Une radiographie est réalisée, et ne rapporte aucune lésion traumatique osseuse de l’extrémité supérieure du fémur droit ou du bassin.
Une brutale anémie par déglobulisation est alors observée (baisse de l’hémoglobine de 13 à 7,6 g/dl), qui conduit à son hospitalisation dans un service d’urgence 7 jours après la chute.
Il est nécessaire de transfuser la patiente à deux reprises, avec, au total, 4 poches de globules rouges. Un Doppler de contrôle est réalisé, qui ne retrouve aucune TVP. Un arrêt du traitement anticoagulant est alors décidé, et un traitement par fer est mis en place.
La patiente regagne son domicile après 9 jours d’hospitalisation.
QUE S’EST-IL PASSÉ ?
Le fondaparinux est un anticoagulant injectable, qui fait partie des médicaments à marge thérapeutique étroite, présentant un fort risque d’effets indésirables potentiellement graves, et pour lequel il n’existe pas d’antidote, ni de surveillance biologique de l’efficacité.
La fonction rénale très dégradée de cette patiente (insuffisance rénale sévère) est une contre-indication absolue à l’utilisation du fondaparinux. Dans ce cas, l’élimination du fondaparinux peut être réduite de 80 % et occasionner un surdosage.
L’âge avancé est également un facteur de risque majeur de iatrogénie médicamenteuse avec ce médicament. Chez les patients de plus de 75 ans, l’élimination peut être réduite de 20 à 40 % par rapport à un patient de moins de 65 ans.
L’utilisation rapportée ici n’est pas conforme aux recommandations actuelles (contre-indication dans ce niveau d’insuffisance rénale), et s’est avérée injustifié a posteriori (absence de TVP).
La famille des anticoagulants injectables est composée principalement des héparines non fractionnées (HNF), des héparines de bas poids moléculaire (HBPM) et du fondaparinux (Arixtra®). Ces médicaments sont indiqués dans le traitement préventif des thromboses veineuses (post-chirurgie orthopédique ou abdominale, patients alités), et dans le traitement curatif des TVP et des embolies pulmonaires. Les traitements anticoagulants peuvent aussi être utilisés dans la prise en charge de l’angor instable et de l’infarctus du myocarde, en deuxième intention.
Les effets indésirables les plus fréquents sont les troubles hémorragiques. Ils peuvent être de faible gravité (saignements de nez ou des gencives, hématomes), ou d’importance majeure (hémorragie intracérébrale, notamment). Ils sont plus fréquents en cas d’insuffisance rénale, d’interactions médicamenteuses ou de posologies excessives.
Des thrombopénies (chute du nombre de plaquettes) ont fréquemment été rapportées. En particulier, deux types de thrombopénies induites par l’héparine (TIH) ont été décrits :
→ Type I : délai d’apparition précoce (2 à 3 jours). La thrombopénie, occasionnée par une action directe des héparines sur l’agrégation plaquettaire, est modérée, réversible et sans conséquences. Il n’est pas nécessaire d’arrêter le traitement, le nombre de plaquettes remontant spontanément.
→ Type II : délai d’apparition de 5 à 21 jours. Les troubles consistent en une chute brutale de la numération plaquettaire de 40 à 50 % en quelques jours. La thrombopénie est liée à un mécanisme immunologique qui active l’agrégation plaquettaire. Des complications thrombotiques artérielles ou veineuses sont le risque principal. Le traitement doit être interrompu (la situation se normalise avec l’arrêt du traitement).
La survenue possible de ces thrombopénies justifie la surveillance des plaquettes (hebdomadaire ou bi- hebdomadaire pour les HBPM). Celle-ci est obligatoire avant le début de traitement, se poursuit deux fois par semaine pendant un mois, et une fois par semaine jusqu’à l’arrêt du traitement pour les traitements par HNF. À noter, dans certaines situations à risque de TIH faible (prévention médicale avec durée de traitement courte), l’Afssaps a proposé un allégement de la surveillance des plaquettes. Ces TIH n’ont pas été formellement décrites avec le fondaparinux. Quelques cas cliniques (très discutés par la communauté scientifique) ont été évoqués dans la littérature. De ce fait, il n’y a pas de surveillance du nombre de plaquettes en cas de traitement par fondaparinux.
Des effets locaux (hématomes, douleurs au point d’injection) sont rapportés. Pour le fondaparinux, il est décrit, dans de rares cas (< 1 %), des signes non spécifiques comme des vertiges, des étourdissements, des céphalées, de l’hypotension, des nausées et vomissements. En cas de surdosage au cours d’un traitement par héparine, la protamine peut être utilisée, alors qu’il n’existe pas d’antidote pour le fondaparinux.
L’insuffisance rénale sévère est une contre-indication absolue aux traitements curatifs par HBPM et fondaparinux, qui s’éliminent essentiellement par voie rénale. Il semble donc important d’estimer la fonction rénale par la clairance de la créatinine avant le début du traitement et au cours du traitement. Les HNF sont la seule alternative thérapeutique en cas insuffisance rénale sévère. Les saignements évolutifs cliniquement significatifs et les endocardites bactériennes aiguës font aussi partie des contre-indications.
Il est nécessaire de renforcer la surveillance clinique en cas d’association à des traitements susceptibles d’augmenter le risque hémorragique : antiagrégants plaquettaires, autres anticoagulants tels les antivitamines K ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens.
→ Les anticoagulants sont des médicaments à risque, exposant à de fréquents effets indésirables. Les accidents hémorragiques sont plus fréquents, et peuvent être de gravité faible à majeure.
→ Les posologies à administrer et la fréquence des injections sont variables suivant l’indication, le poids du patient et la spécialité utilisée.
→ Un effet indésirable usuellement bénin peut, dans certaines conditions, représenter un réel danger pour un patient. Pour cette patiente sans antécédents particuliers, l’administration d’un traitement anticoagulant contre-indiqué s’est traduite par un gigantesque hématome, à l’origine d’une anémie ayant nécessité une hospitalisation et plusieurs transfusions.
→ Les contre-indications doivent être impérativement respectées, sous peine d’augmenter le risque d’évènements indésirables graves.
→ Une surveillance stricte, biologique et clinique, et une grande vigilance sont nécessaires lorsque l’on manipule ces médicaments.
→ La surveillance des patients âgés sous anticoagulants peut être complétée par une prévention du risque de chute, notamment lorsque l’ordonnance comprend des médicaments comme les psychotropes ou les antihypertenseurs pouvant favoriser les chutes.