L'infirmière Magazine n° 293 du 15/01/2012

 

ATELIER YOGA

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

À l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, un infirmier clinicien anime des séances de relation d’aide par le yoga pour des patients anxieux ou dépressifs. Une pratique qui leur redonne un nouveau souffle.

Ils ont déroulé leur tapis, en silence, et s’allongent sur le sol. Nadine, Alain, Christine, Nathalie et Agnès (1) y abandonnent leur corps dans la posture dite de « shavasana ». Temps de relaxation. Les respirations se fluidifient, les membres se détendent, les visages se décrispent. Jusque-là, rien de bien étonnant pour quiconque a déjà assisté à un cours de yoga. En revanche, le lieu de cette pratique est plus intrigant : le service hospitalo-universitaire (SHU) de psychiatrie adulte de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. C’est, en effet, dans un cadre thérapeutique et sur recommandation de leur médecin que les patients enchaînent, durant une heure, travail sur le souffle, exercices de préparation musculaire et articulaire, et « asanas », les fa­meuses postures de yoga. À la fin de la séance, Nadine quitte la salle avec le sourire. « Je suis détendue. Et régénérée. J’ai besoin d’ouverture, de respiration pour l’esprit. Cette pratique hebdomadaire m’aide à être moins dans le mental, moins dispersée, plus concentrée sur l’instant présent », confie-t-elle. Fondées sur un travail postural, les séances accordent une place essentielle à la respiration, à sa prise de conscience par le patient et à son approfondissement.

Une médiation corporelle

« Le yoga est l’arrêt de l’activité automatique du mental. » Ainsi le définissent les Yoga Sutras, traités anciens codifiant cette philosophie et dont les aphorismes ont conduit Florent Dulong à proposer cette discipline comme médiation corporelle pour aider des patients en proie au stress, aux ruminations anxieuses ou aux troubles dépressifs. C’était fin 2008, et il était sur le point d’intégrer à temps plein la consultation du SHU après une formation d’infirmier clinicien. Pratiquant le yoga depuis près de vingt ans, lui-même se souvenait « d’expériences vécues sur le tapis, de ce calme, de l’esprit qui devient silencieux, de l’état de joie se prolongeant parfois longtemps après les cours ». En parallèle, à titre personnel, il suivait le cursus de l’École française de yoga, à Paris, qui prépare en quatre ans à l’enseignement de cette discipline. La relation d’aide, au cœur de la démarche clinicienne, et la transmission du yoga lui semblaient partager maints principes : travail sur soi, vigilance, bienveillance, juste distance, accompagnement dans la durée… Un jeune homme de 24 ans, souffrant de troubles obsessionnels compulsifs, est son tout premier « patient » : « Il était angoissé, très irritable ; le yoga m’a semblé un bon outil complémentaire de son suivi, un moyen de le détendre. Au début, il m’a regardé de travers, puis il a fini par accepter. Cela a été très concluant », souligne Florent Dulong. Le patient apprécie en effet les séances ; quant à son psychiatre, il constate la nette amélioration de son état.

Peu à peu, d’autres soignants se sont intéressés à la démarche et, aujourd’hui, recourir au yoga dans un cadre thérapeutique est largement admis au sein du service. Près de 70 % du temps de Florent Dulong est consacré à cette activité et 25 patients, de tous âges, assistent aux ateliers. La plupart sont suivis en ambulatoire, parfois juste après une hospitalisation. « Les médecins m’adressent les patients ; à moi, ensuite, de juger de l’opportunité de leur proposer le yoga », précise l’infirmier. Après une rencontre en tête-à-tête, ce dernier leur offre d’intégrer un groupe de trois à cinq personnes, en général, puis effectue des retours au médecin prescripteur. De nouvelles formules se développent. Un groupe expérimental de soutien par la pratique du yoga s’est ouvert pour travailler deux mois durant avec des patients anxieux, dépressifs…, à partir d’un projet élaboré avec une psychologue. Le programme aborde diverses thématiques (hygiène, hygiène de vie…), en associant un temps de parole et une pratique adaptée. Par exemple, lorsque la psychologue travaille la notion d’équilibre, l’infirmier, lui, organise une séance centrée sur les postures d’équilibre. De même, en alternance avec un kinésithérapeute, un autre groupe a débuté, avec, cette fois, des adolescents et de jeunes adultes hospitalisés dans une unité du SHU.

Un soutien, pas une thérapie

Le yoga ne peut se substituer aux soins, mais ses effets semblent très bénéfiques. « Il aide les patients à se détendre, à mettre à distance des pensées envahissantes, à gagner en autonomie. Il réduit leurs angoisses, leur redonne de l’énergie, voire, au fil du temps, leur permet de retrouver confiance en eux », constate l’infirmier. Un ressenti que connaît Alain. Venu consulter à l’hôpital, il s’est vu proposer, après quelques mois, une orientation vers les ateliers de yoga. « Je me sentais parfois dépressif. J’ai toujours l’esprit en éveil sur plein de sujets, un maelström intérieur. Cette hyperactivité cérébrale m’épuise et me stresse », détaille-t-il. Confiant en son psychiatre, il a accepté de tenter l’expérience. « Dès le début, cela m’a fait du bien. Cette pratique me semble très naturelle et très utile pour diminuer la tension nerveuse et calmer le mental. Je suis plus efficace dans le travail et moins agressif avec ma femme », poursuit-il, soulignant par ailleurs qu’il apprécie l’approche de l’infirmier, « dénuée de tout côté ésotérico-psy ». Dans le cadre hospitalier, la dimension philosophique et spirituelle du yoga est évacuée. « Je reste très vigilant là-dessus. Je ne parle jamais de “chakras”… », précise l’infirmier.

Le yoga favorise aussi une reprise de contact avec un corps que la souffrance psychique a souvent contribué à mettre de côté. Des améliorations physiques sont remarquées : disparition de douleurs, meilleur sommeil… Des bienfaits dont témoigne Christine, assidue depuis deux ans : « Je suis parfois très mal dans ma peau, gênée quand il y a beaucoup de monde. Je me sens de mieux en mieux dans mon corps, je me tiens plus droite - ce qu’a remarqué mon médecin - et ma famille me trouve plus calme. Aujourd’hui, je chante dans une chorale », résume-t-elle. Nathalie, elle, participe aux séances depuis trois mois, sans grande joie, mais elle note de nets progrès : « Je suis épileptique et j’ai fait une dépression. J’ai du mal à dormir et je souffre de maux de tête. Ma neurologue et ma psychiatre m’ont conseillé de venir. Je me suis forcée. Ce n’est toujours pas un plaisir, mais ça m’aide. Je dors mieux et je prends moins de calmants. » Enfin, la pratique du yoga se révèle un véritable levier pour l’exercice infirmier lui-même. Un constat dressé par Florent Dulong : « C’est un remarquable outil pour approfondir la relation d’aide entre soignants et soignés car il contribue à libérer la parole. »

1 - Certains prénoms ont été changés.

CONTACTS

SHU de santé mentale et thérapeutique Centre hospitalier Sainte-Anne, 75674 Paris cedex 14. f.dulong@ch-sainte-anne.fr

POINT DE VUE

Une belle alternative

Dr THIERRY GALLARDA psychiatre au SHU de Sainte-Anne

« Je vois surtout des patients âgés ou affectés par des troubles en lien avec le vieillissement. Tous ne sont pas de bons candidats à une psychothérapie ni très demandeurs de psychotropes, et le yoga peut alors apporter une réponse mieux ajustée. Quand ils souffrent d’anxiété ou bien de formes pas trop sévères de dépression, cela peut vraiment les aider à se reconnecter un peu à leur identité, à leur corps, et à mieux fonctionner. Cela ne convient cependant pas, à mon sens, à tous les patients : en cas de trop grande fragilité, d’éventuelles décompensations peuvent survenir. En dehors de cet aspect, je n’ai aucune réticence de principe à proposer des séances de yoga, et autres techniques alternatives, tant que cela s’effectue dans un cadre hospitalier avec un professionnel reconnu de l’institution, et que les échanges sont possibles. Les retours sont d’ailleurs excellents, et je note de belles évolutions chez mes patients. »