Itinéraire d’une bûcheuse - L'Infirmière Magazine n° 294 du 01/02/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 294 du 01/02/2012

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

GÉRALDINE LANGLOIS  

Son caractère volontaire et des rencontres décisives l’ont amenée au métier d’infirmière. Aujourd’hui, après un master en organisation, Françoise Mourot est chargée de la conduite de projets dans un hôpital francilien.

Le franc parler, le regard direct et la volubilité de Françoise Mourot témoignent d’une force de caractère particulière. Il en faut pour suivre son parcours. Sur le mur de son bureau, la Déclaration des droits de l’homme de 1789. « Je suis très attachée à l’éthique républicaine, à la liberté de parole aussi. » Et à la liberté tout court. Il lui en a fallu une bonne dose et pas mal de courage ou d’inconscience pour décider, à 16 ans, de quitter l’école. La mécanique générale, vraiment, ce n’était pas pour elle. « Les joies de l’orientation, commente-t-elle aujourd’hui. On avait peut-être remarqué mon esprit technique, mon sens de l’organisation… » Seule fille au milieu de 40 garçons, elle décide d’arrêter. Première bifurcation, radicale.

Kiné ou infirmière ?

Malgré l’inquiétude de sa mère et de sa grand-mère, elle choisit d’entrer en apprentissage chez un photographe de quartier. Là où elle a grandi, « dans le 9-3, à l’époque, ça ne s’appelait pas encore comme ça ». Dans l’obscurité du laboratoire, elle développe en noir et blanc, puis en couleur. « Au-delà de la photographie, dans cette entreprise familiale, j’ai appris très vite une chose dont on parlait peu à l’époque et beaucoup aujourd’hui : la qualité, observe Françoise. Le client doit être livré dans les temps, le travail doit être bien fait et du premier coup, sinon, ça coûte. » La prise de vue lui fait de l’œil mais ses clichés ne l’emballent pas. Et au bout de cinq ans, sans avoir pu passer le CAP de photographe, « je me suis rendu compte que la vie que je souhaitais avoir, je ne l’aurais jamais avec ce travail-là. Il me fallait d’abord le baccalauréat ». Une rencontre lui fait découvrir le Centre national d’enseignement à distance (Cned). Deuxième bifurcation.

Tout en développant des photos, elle prépare, seule, un bac scientifique. Son projet : devenir kiné, parce qu’elle a « une bonne image de ce métier ». Le bac lui échappe cependant et ce projet avec. Lorsqu’elle tente de se replier sur le métier d’aide-soignante, une directrice d’école lui conseille celui d’infirmière. Troisième bifurcation ? « Il y avait deux filières au concours, se souvient Françoise. Une partie était ouverte aux candidates non bachelières. En réussissant un premier concours, elles pouvaient tenter le concours d’entrée, comme les bachelières. Cela n’existe plus aujourd’hui, et c’est dommage parce qu’on n’a pas vraiment besoin du bac pour être infirmière, lance-t-elle, consciente d’être un peu iconoclaste. Quand j’ai passé mon certificat d’études, je savais faire des règles de trois, des pourcentages, des calculs de vitesse. Je vois beaucoup d’aide-soignantes qui n’ont pas le bac mais qui possèdent une vraie vocation soignante. »

Un vrai métier

16 février 1981. Françoise connaît la date par cœur : c’est celle de son entrée à l’école d’infirmières. Elle a gardé la lettre qui lui annonce son admission : « Je savais que c’était la chance de ma vie. » Trois ans plus tard, elle a appris un métier qui va vraiment changer le cours de son existence. Et lui permettre de quitter son HLM.

Les années suivantes, aux urgences et en réa à l’hôpital Saint-Louis (Paris), lui ont laissé un « super souvenir. J’ai beaucoup aimé la réa parce que c’était très riche dans le soin et la réflexion. Mais je ne pensais pas y rester toute ma carrière. Et puis j’ai toujours eu l’idée de devenir infirmière anesthésiste ». Elle enchaîne avec les études ad hoc. Quatrième bifurcation !

Françoise exerce dix ans à Lariboisière (Paris), « dont au moins huit sans jamais m’ennuyer, précise-t-elle. J’arrivais en chantant le matin, j’avais des collègues formidables… Peut-être parce que dans un CHU, il y a une émulation. Le drame de l’AP-HP, c’est qu’elle a le plus beau potentiel intellectuel et humain mais que ça ne marche pas… » L’ennui qui s’installe peu à peu, ce n’est pas son style. Elle prend une disponibilité, commence à travailler en intérim. « Je voulais trouver un établissement où j’aimerais travailler en le connaissant de l’intérieur. Alors, j’ai bossé dans toute l’Ile-de-France, dans le public, le privé et le PSPH. Ça a été très enrichissant, au propre comme au figuré ! J’ai découvert de nombreuses façons de travailler, des organisations et des gens différents. Comme j’étais débarrassée des contraintes techniques, car je maîtrisais mon métier, je me suis demandé ce que j’avais envie de faire pendant les quinze années d’activité qu’il me restait. » Toute seule, elle réalise une sorte de bilan de compétences. Des qualités émergent : son goût pour les questions d’organisation, pour l’analyse… Une rencontre avec un « ingénieur en organisation« », lors d’un audit bloc, la fait cogiter. C’est un professionnel de santé formé au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Mais « ce n’est pas ouvert à tout le monde », lui lance-t-il en la prenant de haut. Françoise remballe prestement ses souhaits de nouvelles perspectives. Mais pas pour longtemps. Elle se rend quand même au Cnam et y découvre les formations. Un diplôme d’études supérieures (Desto, bac+4) et un master de techniques de l’organisation. Elle sera candidate au premier car il est ouvert aux non-bacheliers. Un poste de faisant fonction de cadre au bloc d’un établissement francilien va lui permettre non pas de devenir cadre - elle ne le souhaite pas -, mais d’étudier en alternance. Encore une bifurcation !

Une nouvelle identité

« Je tremblais quand j’ai ouvert l’enveloppe des résultats. J’avais misé gros, rappelle-t-elle. J’ai été reçue au Desto. Et là, un coup de chance énorme intervient. Avec la mise en place du système LMD, le diplôme a basculé en master ! » Pendant deux ans, Françoise suit les cours au Cnam une semaine par mois. Au programme : sociologie, analyse de la valeur, systèmes d’organisation, conduite de changement… Un vrai marathon, qui met sa vie personnelle entre parenthèses. Elle en sort avec une « nouvelle identité ». Françoise s’occupe désormais de la conduite de projets dans les services de soins, un poste rattaché à la DRH. « L’organisation, c’est un métier difficile, car il n’est pas toujours bien compris, explique-t-elle. Il est souvent perçu comme une remise en question. » Elle travaille par exemple à l’organisation du plan blanc et de ses annexes (risques NRBC (1) et canicule, notamment), à des audits internes, accompagne les utilisateurs d’un nouveau logiciel dans les services de soins. Elle côtoie des médecins, des soignants, des professionnels de la formation, de la logistique, de la qualité ou des ressources humaines. Un certificat de contrôle de gestion et de financement des systèmes de santé complète sa formation : « On ne peut pas travailler sur l’organisation sans réfléchir aux coûts. »

Or-ga-ni-sa-tion

Sur le terrain ou dans son bureau, Françoise « reste au service des soignants, pour le patient », aime-t-elle répéter. Le contact avec les patients ne lui manque pas : « Je suis toujours soignante. J’ai vraiment du respect pour les infirmières, Ce n’est pas un métier facile, et elles le font avec beaucoup de professionnalisme. Mais le soin, ce n’est pas seulement poser une perfusion, appliquer un pansement. C’est le “care”. » Il constitue un de ses leitmotive. Comme son attachement au service public. Elle est fière de son parcours et d’avoir pu (et su) dévier de sa voie initiale pour choisir la sienne.

1 - Nucléaire, radiologique, biologique, chimique.

MOMENTS CLÉS

1972 Quitte le lycée professionnel pour un apprentissage en photographie.

1981 Entre à l’Ifsi.

1984 Obtient le DE d’infirmière.

1990 Obtient le certificat d’aptitude aux fonctions d’infirmière spécialisée en anesthésie et réanimation (diplôme d’Iade d’aujourd’hui).

2008 Décroche un Master en organisation.

2008 Reçoit le Trophée de la Formation continue L’Express, L’Étudiant, Les Échos.

LE MASTER D’ORGANISATION ET DE CONDUITE DU CHANGEMENT AU CNAM

→ Accessible à bac+3 (ou équivalent), il comprend des enseignements théoriques, un stage tutoré de quatre à six mois, la soutenance d’un rapport de mission et d’une note de commentaires et d’approfondissement.

→  Plus d’informations sur le site du Cnam : http://petitlien. fr/5qyi

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