Des évolutions plus qu’une révolution - L'Infirmière Magazine n° 295 du 15/02/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 295 du 15/02/2012

 

EXERCICE INFIRMIER

DOSSIER

La gestion par pôles pourrait constituer une opportunité pour les IDE. Pour l’heure, elle semble surtout impacter les cadres.

La gestion par pôles ne transforme pas en profondeur les actes infirmiers au quotidien. Les conditions de travail ne se sont pas, en effet, radicalement métamorphosées. Malgré tout, même s’ils ne sont pas tous visibles au premier abord, des changements s’opèrent. Mylène Coulaud, cadre supérieure de santé au CHU de Toulouse, en désigne un : l’avènement du pôle enfants, où elle exerce en partie(1), a permis d’ouvrir, en chirurgie, jusqu’à 35 lits pendant une épidémie de bronchiolite. Une telle solidarité des chirurgiens envers leurs confrères médecins aurait été plus difficile à mettre en œuvre auparavant. D’un service à l’autre, le pôle peut également faciliter, via la mutualisation, la mise sur pied d’équipes mobiles (en douleurs, en gériatrie, en hygiène, en soins palliatifs…), et pourrait permettre de « dégager plus de temps pour le tutorat des stagiaires », espère Roselyne Vasseur, directrice des soins et des activités paramédicales à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Du temps est également économisé pour lancer certaines nouvelles activités. Philippe Blua, directeur des hôpitaux de Calais et de Saint-Omer (62) et président du SMPS(2), estime que le nombre de niveaux de hiérarchie à convaincre a diminué. En témoigne l’acquisition, en trois petites semaines, à l’initiative d’un urologue de son établissement, d’un lithotripteur. Cadre paramédicale de pôle à l’hôpital sud-francilien et technicienne de laboratoire de formation, Marie-Claire Chauvancy estime que la gestion directe du matériel avec les prestataires et une meilleure écoute envers les professionnels auraient permis, dans certains cas, de gagner du temps et de l’argent, et d’obtenir des appareillages de meilleure qualité. Nathalie Depoire, IDE au centre hospitalier de Belfort-Montbéliard (90) et présidente de la Coordination nationale infirmière, nuance : la délégation de gestion accordée aux pôles ne profite pas toujours aux infirmières. Elle déplore le fait que les chefs de pôle ne pensent pas tous à acheter en priorité des équipements paramédicaux. Tout dépend, là encore, du facteur humain, du positionnement du cadre paramédical dans le pôle… Aux IDE, comme d’ailleurs aux étudiants en soins infirmiers, le pilotage polaire est aussi censé offrir une plus grande mobilité et une diversification d’exercice, auparavant freinées par les frontières entre services. Voilà donc une opportunité – ou sa promesse, notamment pour des infirmières hyperspécialisées, note Marie-Claire Chauvancy. Mais la mutualisation ponctuelle des personnels peut être imposée et « très mal vécue », rapporte Nathalie Depoire. « Des infirmières, pourtant d’excellentes professionnelles, en arrivent à dire : “je suis nulle”. » Le grand écart est incarné, par exemple, par cette infirmière de chirurgie « parachutée en oncologie » et confrontée à des protocoles de chimiothérapie qu’elle ne connaît pas.

Cohérence médicale

De même, d’une chirurgie à l’autre, d’ORL à gynécologie par exemple, l’exercice peut ne pas être « du tout la même chose ». Et que dire d’une IDE qui, débarquant en ambulatoire, ne peut délivrer d’informations satisfaisantes au malade, faute de les connaître elle-même ? « On passe pour quoi aux yeux du patient ? La continuité des soins, d’accord, mais dans quelles conditions ? », s’interroge Nathalie Depoire(3). Passer d’une dialyse pédiatrique à une dialyse adulte peut se concevoir. Mais la mobilité est-elle légitime entre les services d’un pôle dont l’architecture manque de cohérence médicale ? Plus généralement, la spécialisation de chaque service conduit à réfuter l’idée d’une mutualisation systématique des connaissances au sein d’un même pôle. En d’autres termes, il peut être illusoire d’attendre du management polaire une homogénéisation des pratiques. Selon le sociologue Frédéric Pierru, « la mutualisation peut déstructurer les équipes : des habitudes et des stocks d’expérience accumulés dans un service sont perdus ». Et les infirmières, finalement, se sentent comme « des pions », « des bouche-trous » dont les connaissances seraient interchangeables et le sort décidé dans d’inaccessibles instances.

Pour tenir compte de la spécialisation croissante des unités et ne pas imposer aux professionnels des mobilités au pied levé, les managers proposent de s’y préparer en période d’accalmie. Au terme de « polyvalence », Roselyne Vasseur préfère d’ailleurs celui de « polycompétence ». Celle-ci « se construit entre certaines disciplines voisines ou complémentaires. Une période d’intégration est indispensable, selon les postes et les candidats. La mobilité doit s’organiser en concertation dans le cadre du projet de pôle, avec l’encadrement paramédical et la direction des soins ». Une solution consisterait, par exemple, à passer du temps dans un autre service – mais la tension sur les effectifs le permet-elle ? Une chose est sûre : une mobilité non anticipée refroidit l’accueil fait aux pôles. De la même façon, une gouvernance dont le personnel ne percevrait que des effets négatifs (comme une fermeture de service jugée inutile) serait mal perçue.

Trop de logistique

En fait, l’impact de la nouvelle gouvernance diffère selon les métiers. Des cadres de proximité se sentent oubliées, coincées entre des équipes sous pression et les injonctions de leur direction, absorbées par des tâches périphériques comme la logistique ou le téléphone… Pourtant, leur rôle reste crucial dans la gestion quotidienne du service, l’organisation et l’évaluation des soins aux malades, la prévention des risques associés aux soins, l’encadrement des équipes… Les cadres supérieures de santé, pour leur part, seront-elles moins nombreuses avec l’installation du cadre paramédical de pôle ? Leur exercice est profondément modifié. Comme l’indique Roselyne Vasseur, il peut leur être proposé de mener des missions transversales dans les pôles, relatives par exemple à la gestion des ressources humaines ou à la recherche paramédicale, à laquelle l’organisation polaire pourrait bien profiter. Les cadres paramédicales de pôle, elles, espèrent une plus grande autonomie en termes de gestion de projets et de matériel, de crédits sur du recrutement en intérim, de choix de formations pour le personnel… Sur le plan organisationnel, pour le personnel, ce sont elles qui « font exister le pôle au quotidien », estime Jean-Marc Grenier, coordonnateur général des soins au CHU de Grenoble et président de l’AFDS. Leur métier ne change pas, mais il implique un nouveau regard sur les institutions et des rapports plus horizontaux, plus ouverts aux autres professions. Mylène Coulaud constate ainsi un accroissement de ses relations avec la direction et les médecins chefs de pôle. Les cadres de pôle dépendent fonctionnellement de ce dernier et, hiérarchiquement, du directeur de l’hôpital, qui peut déléguer cette autorité à son directeur de soins. Là encore, en raison du facteur humain, l’exercice des cadres de pôle s’avère « à géométrie variable », dit Nathalie Depoire. Avec deux bémols : leur éloignement des soins et leur immense charge de travail. Autres postes impactés : le directeur d’établissement, le directeur de soins (dont le rôle devient plus transversal), le responsable des ressources humaines (amené à une éventuelle fonction de conseil aux pôles)…, et les médecins, en particulier les chefs de pôle, dont le temps médical s’amenuise au bénéfice, également, de la gestion économique.

1– Cette cadre supérieure de santé exerce aussi dans le pôle femme-mère-couple.

2– Syndicat des managers de santé publique (SMPS).

3– Plutôt que le pôle, cette IDE prône, éventuellement, le pool de remplacement à l’échelle de l’établissement, en fonction de l’organisation de ce dernier.