Le toucher-massage en psychiatrie - L'Infirmière Magazine n° 295 du 15/02/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 295 du 15/02/2012

 

FORMATION CONTINUE

QUESTIONS SUR

Le toucher-massage en psychiatrie est un soin relationnel privilégié destiné à accompagner les patients, et une manière de créer une relation de confiance avec eux. Explications et illustration par deux cas cliniques(*).

Après de nombreuses années d’expérience en psychiatrie, une prise de poste au sein d’un atelier créatif et d’ergothérapie a été pour moi l’occasion de réfléchir sur ma pratique professionnelle. Ayant le désir de développer de nouvelles techniques relationnelles avec les patients, dans le cadre d’une démarche plus holistique du soin, j’ai réalisé une formation d’infirmière clinicienne m’investissant et développant plus particulièrement le domaine de la relaxation et du toucher-massage.

En collaboration avec une psychologue, nous avons mené une réflexion clinique sur l’intérêt thérapeutique du toucher-massage infirmier dans le cadre d’une prise en charge globale du patient hospitalisé en psychiatrie adulte, au Chu de Toulouse. Deux vignettes cliniques viennent illustrer notre démarche.

Depuis quand le massage existe-t-il ?

Le mot massage apparaît dans le dictionnaire au XIXe siècle. Il tire son étymologie du mot grec massein, de l’hébreu mashesh et de l’arabe mass, dont le sens est « palper, presser légèrement ». La pratique du massage est ancestrale. Nous en retrouvons des traces près de 3 000 ans avant J.-C. Les Grecs et les Romains en proposaient après une bataille en raison de leurs capacités reconstituantes et, de manière plus générale, pour l’entretien du bien-être physique et psychique. En Inde et en Asie, cette technique se pratique au quotidien et constitue une hygiène de vie. En Chine, elle relève du domaine de la médecine. Disparu de la scène médicale en Occident avec l’apparition de la médecine moderne, le massage fait aujourd’hui partie d’une des nombreuses pratiques alternatives du soin.

Qu’appelle-t-on toucher-massage ?

Le toucher est un agent de croissance et de communication. Dans la société contemporaine, et plus particulièrement en Occident, ce sens semble mis à distance et susciter une certaine méfiance. Pourtant, que serions-nous sans lui ? En effet, le toucher tient une place primordiale dans l’histoire du développement humain. C’est par lui que le nourrisson prend connaissance du monde qui l’entoure. C’est à travers le contact à la mère et les soins corporels qu’il perçoit certaines informations sur ce qui est extérieur à lui, par les limites rencontrées de son nouvel environnement. C’est une des premières voies ouvertes à la communication. Ces rapports au toucher, évoquant, bien sûr, les fonctions essentielles du « holding » et du « handling » de Winnicott (1969), se prolongeront bien des mois par les soins, les bercements, les jeux avec l’enfant. Ainsi, avoir « son compte » d’attentions par le toucher est, de la naissance à la mort, un besoin vital. On a pu d’ailleurs voir comment en être privé pouvait être source de troubles aux expressions multiples (Spitz, 1946).

Qu’est-ce que le « Moi-peau » ?

L’enveloppe corporelle, théorisée par Didier Anzieu sous le vocable de « Moi-peau » (1985), a pour fonctions éminemment importantes de marquer les limites de notre corps entre intérieur et extérieur et de constituer un point de contact avec l’environnement, zone d’interface, de transfert et d’échange, un « espace potentiel » (Winnicott, 1971). Mais cette enveloppe cutanée constitue également une enveloppe psychique, répondant au besoin d’un contenant narcissique assurant à l’appareil psychique la certitude et la constance d’un bien-être de base, condition nécessaire à la constitution du Moi.

Comment se décrit le toucher-massage en soins infirmiers ?

Les techniques de toucher-massage sont bien différentes de celles pratiquées par les kinésithérapeutes, en premier lieu parce qu’elles ne s’intéressent pas aux mêmes choses. Muscles et tendons pour les kinés, personne dans sa globalité pour l’infirmier. En effet, le toucher infirmier ne se fonde pas sur la stimulation « méthodique », « mécanique » ou « réflexe » des tissus, les mains des infirmières étant plutôt des interfaces dont la mission est la stimulation tactile, et non pas fonctionnelle du tissu cutané. Le massage se présente comme un soin relationnel privilégié permettant d’accompagner le soin, de rassurer, de calmer et de détendre. En effet, face à la multiplication des spécialités et à la complexité des soins aujourd’hui, se pose la nécessité de proposer au soignant un véritable « outil », facile à mettre en œuvre, ne nécessitant pas de connaissances particulières en anatomie ni en physiologie… Cette pratique a pris son essor dans le cadre des soins palliatifs avec comme objectif de faciliter le vécu de la douleur et des soins nécessaires aux traitements de la maladie. Mais le toucher-massage est également une manière de communiquer, d’entrer en relation par le biais d’un langage non verbal plus authentique avec le patient, et de créer ainsi une relation de confiance entre l’acteur du soin et son bénéficiaire. L’intentionnalité du geste est très importante dans ce langage non verbal. En effet, chaque geste, chaque contact reflète l’intention du « masseur » mais aussi une part de son émotion, de ses hésitations, parfois de ses peurs, de son plaisir ou déplaisir.

Quel rôle joue le toucher-massage en psychiatrie ?

Si le toucher-massage s’est plus particulièrement développé dans le cadre des soins somatiques, on peut voir qu’il concerne aujourd’hui de nombreux autres secteurs comme la pédiatrie, la gérontologie, et la psychiatrie. Il joue un rôle sur certaines variables déjà repérées en médecine générale, comme l’anxiété et le stress, mais également vis-à-vis de la dépression, comme peuvent en attester certaines études (C. A. Moyer & al., 2004), révélant même des scores avoisinant les résultats de certaines psychothérapies !

Dans le cadre des pathologies psychotiques, et face à la dégradation du schéma corporel, le toucher-massage permet, par une gestuelle contenante et unifiante, un travail sur les enveloppes, favorisant la perception d’un corps intègre, mais aussi une perception d’existence propre. Ainsi, différents types de massage peuvent être proposés (visage, pieds, mains, dos, ventre) et prodigués en fonction des besoins et des limites du patient. Par exemple, pour une première approche ou pour des personnes réticentes, un massage des mains sera plus adapté, et vécu de façon moins intrusive (facilement accessible, nul besoin de se dévêtir, contact visuel pouvant être contenant).

Comment se déroule la prise en charge des patients ?

Les patients sont adressés à l’infirmière clinicienne soit sur prescription médicale, soit sur proposition de l’IDE. Les séances se passent dans l’intimité et le calme nécessaires. Après avoir réalisé une anamnèse plus ou moins approfondie en fonction des possibilités du patient à ce moment-là, il est proposé au patient différents massages (visage/cuir chevelu, dos, pieds, mains), et c’est lui qui choisit la zone du corps qui lui convient le mieux. La personne s’installe allongée sur la table ou assise, selon le type de massage. Une couverture est nécessaire, car, avec la détente musculaire, la température du corps a tendance à baisser ostensiblement. Un fond musical relaxant est également proposé. Le massage dure, en général, une trentaine de minutes, à raison d’une à deux fois par semaine, la fréquence s’adaptant en fonction de la personne. Il débute par une prise de contact progressive. À la fin du massage, un temps est pris pour que le patient évoque son ressenti de la séance.

Conclusion

Les deux illustrations cliniques développées rendent compte des différents niveaux possibles d’approche du toucher-massage. Pour M. D., la prise en charge se fait dans un but essentiel d’apaisement, de création de contenant qu’il pourra éventuellement intégrer. Notre travail se centre sur les limites, sur la réunification du corps et de l’esprit. À travers les rendez-vous et les massages en eux-mêmes, la notion de continuité se construit. En revanche, la pertinence de ce soin pour Mme M. se situe dans un travail de mise en confiance, de lâcher-prise, puis d’expression émotionnelle et d’élaboration psychique. Faisant écho aux représentations maternantes et d’étayage, il a représenté, dans un premier temps, un exercice contenant, un rassemblement centripète permettant un renforcement narcissique. Il a permis ensuite une mise en lien émotionnelle. Ce qui a pu amorcer le déblocage de la dynamique psychique. Cette revalorisation narcissique, avec la réactivation de la dynamique psychique, permettra par la suite d’entamer un travail sur l’autonomie et l’individuation de la patiente. Ainsi, nous constatons que le toucher-massage est un bon outil clinique, où le contexte dans lequel il se déroule (la présence, l’écoute, la communication, la relation avec la personne massée) contribue à sa réussite dans un savoir-être tendant vers une « juste distance ». C’est dans ce contexte que l’intervention de l’infirmier psychiatrique prend toute sa légitimité.

* Cet article est le fruit de pratiques mises en place dans le service de psychiatrie adulte (UF4 et 3) du Pr Laurent Schmitt et du Pr Philippe Birmes, au CHU de Toulouse.

Pour aller plus loin

→ A lire

– Anzieu D. (1985). Le Moi-Peau, Paris, Dunod.

– C. A. Moyer, J. Rounds, J. W. Hannum, A Meta-Analysis of Massage Therapy Research.

– Dobbs Barbara, Poletti Rosette (2003), L’estime de soi, Jouvence.

– Psychological Bulletin 2004, Vol . 130, No. 1, 3–18.

– Prayez P, Savatofski J, (2009), Le toucher apprivoisé, Lamarre.

– Savatofski J, (2001), Le toucher-massage, Lamarre.

– Winnicott, D. W. (1969). De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot.

– Winnicott D. W. (1971). Jeu et réalité, Paris, Folio Essais.

→ Articles

– Société française d’accompagnement et de soins palliatifs : « Le toucher au cœur des soins, phase 1, guide pour la pratique, la formation et l’évaluation en soins infirmiers », rapport déc. 2007.

– Institut de soins infirmiers supérieurs (Isis), Bardou Annie, Jacquet Anne, Mériel Geneviève, « Toucher et relation au corps dans les soins infirmiers », formation IDE clinicienne, et soins et communication par le toucher.

→ Se former

– Dans le cadre de la formation permanente : la formation « communication et soin par le toucher ».

– En deux ans, la formation d’infirmière clinicienne comprend un module sur le toucher-massage.