L'infirmière Magazine n° 296 du 01/03/2012

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

Si les troubles psychiatriques augmentent le risque d’alcoolisme, le mésusage de l’alcool, de son côté, peut entraîner des risques pour la santé mentale.

À la question de savoir si c’est l’alcool qui engendre des troubles psychiatriques ou si ce sont ces derniers qui conduisent à consommer, la réponse du Dr Wohl (hôpital Louis-Mourier, AP-HP – 92) est, schématiquement : « Un train peut en cacher un autre. ». D’un côté, l’alcoolisme peut masquer un trouble psychiatrique et, de l’autre, l’alcool peut avoir des effets sur le système nerveux central en période d’intoxication ou de sevrage.

Risque aggravé

Les troubles psychiatriques multiplient par trois le risque d’alcoolisme. La comorbidité entraîne davantage d’hospitalisations en psychiatrie, de violence, de risques suicidaires, et potentialise la sévérité de chacun des troubles. Sont alcooliques trois quarts des personnalités antisociales, 45 % des bipolaires, 35 % des schizophrènes et 20 % des anxieux. En ce qui concerne la dépression – affection psychiatrique très fréquente puisque 13 % des Français présentent un épisode dépressif majeur au cours de leur vie –, le lien avec l’alcoolisme est avéré. Être dépressif augmente le risque d’être alcoolique et, inversement, l’excès de boisson (alcoolodépendance surtout) augmente le risque dépressif, et ce, même après l’arrêt de l’alcool. Hommes et femmes n’ont pas le même comportement face à l’alcool. Chez ces dernières, l’âge de début de l’alcoolisme est souvent plus tardif que chez l’homme, et les alcoolisations plutôt vespérales et solitaires, souvent assorties d’un sentiment de culpabilité. Chez elles, c’est la dépression qui précède le plus souvent l’alcoolisme (66 % des cas). Elle est généralement liée à des situations d’abandon, de deuil, d’isolement. Inversement, chez l’homme, l’alcoolisme précède le plus souvent la dépression (78 % des cas). Il est important de différencier l’alcoolisme primaire de la dépression primaire, car c’est le trouble apparaissant le premier fixe les modalités évolutives.

Davantage de suicides

Le mésusage de l’alcool fait partie, avec les troubles de l’humeur, des troubles mentaux les plus fréquemment associés au suicide. Le taux de suicides « accomplis » passe de 1 % en population générale à 7 à 27 % chez les alcooliques. Les anxieux sont bien plus enclins à boire que ceux qui ne le sont pas : ils recherchent l’effet anxiolytique de l’alcool, qui est, hélas, transitoire. La prise répétée d’alcool tout comme le sevrage tendent à aggraver secondairement leurs troubles. L’incapacité à affronter la réalité sans avoir recours à l’alcool contribue par ailleurs à nourrir un sentiment de dévalorisation néfaste à leur moral.

Phobie sociale et agoraphobie s’accompagnent d’un risque accru d’alcoolisme et précèdent le trouble dans 60 % des cas, de un à dix ans en moyenne. Des similitudes de comportement ont été notées entre boulimie et alcoolisme : l’impulsivité et la perte de contrôle face au produit, les compulsions, la consommation souvent secrète et culpabilisée. L’alcoolisme, le plus souvent secondaire au trouble du comportement alimentaire, jouerait un rôle désinhibiteur et favoriserait la boulimie. Les troubles de la personnalité sont plus fréquents dans l’alcoolisme à début précoce. Il s’agit le plus souvent de personnalités antisociales à la recherche de sensations fortes, se mettant en danger facilement et peu sensibles à la récompense. L’hyperactivité et les troubles déficitaires de l’attention sont des facteurs de risque d’addiction chez l’adolescent comme chez l’adulte.

Source : L’alcool tient l’affiche à l’hôpital, Objectif soins n° 198, août 2011.

QUESTIONNAIRES

Des outils pour dépister

Différents outils de dépistage mis en place peuvent être utilisés par les soignants pour repérer les sujets à risque et proposer une prise en charge.

→ Le questionnaire DETA (acronyme de « Diminuer », « Entourage », « Trop », « Alcool ») est un outil simple mais très pertinent, comme le rappelle le Dr Galvao (hôpital Louis-Mourier, AP-HP), pour situer de façon rapide le rapport d’un patient à l’alcool. Il peut être utilisé comme autoquestionnaire ou lors d’un entretien. Il comprend quatre questions, portant sur la vie entière du sujet :

1 Avez-vous déjà ressenti le besoin de diminuer votre consommation de boissons alcoolisées ?

2 Votre entourage vous a-t-il déjà fait des remarques au sujet de votre consommation ?

3 Avez-vous déjà eu l’impression que vous buviez trop ?

4 Avez-vous déjà eu besoin d’alcool dès le matin pour vous sentir en forme ?

Deux réponses positives ou plus démontrent un mésusage d’alcool, présent ou passé. La réponse positive à la quatrième question rend compte d’une dépendance très probable.

→ Le questionnaire AUDIT (Alcoohol-Use Disorders Identification Test) est également intéressant en pratique. Cet autoquestionnaire à remettre au patient comprend dix items et s’intéresse aux douze derniers mois écoulés. Il aide à repérer les usages nocifs et les alcoolodépendances.