« Il faut agir sur les causes profondes » - L'Infirmière Magazine n° 296 du 01/03/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 296 du 01/03/2012

 

ERREURS MÉDICAMENTEUSES

RÉFLEXION

La Haute Autorité de santé (HAS) publie un « guide de sécurisation et d’autoévaluation de l’administration des médicaments », outil pensé à l’intention de tous les soignants. Entretien avec Yasmine Sami, en charge de ce projet.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Pourquoi la HAS a-t-elle été saisie par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour la réalisation de ce guide(1) alors qu’il existe déjà des outils d’aide à la sécurisation du circuit du médicament dans les établissements de santé ?

YASMINE SAMI : La demande de la DGOS était en fait plus ciblée puisqu’elle concernait uniquement l’étape de l’administration. Elle fait suite à différents accidents largement médiatisés, je pense notamment à cette erreur de perfusion dans un service de pédiatrie de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) où un petit garçon est décédé. À la suite de ces accidents, la DGOS a lancé le projet d’arrêté du 6 avril 2011 relatif au management de la qualité des soins et de la prise en charge médicamenteuse. Dans ce cadre, il était notamment prévu de fournir aux établissements un guide d’administration du médicament.

L’I. M. : Sur quels outils et données vous êtes-vous basés pour réaliser ce guide ?

Y. S. : Sur quasiment tous les outils qui sont décrits dans la littérature scientifique. Nous nous sommes aussi intéressés aux travaux de la Joint Commission américaine, d’associations d’infirmières à l’étranger, de sociétés spécialisées, notamment en oncologie, ainsi qu’aux productions de l’ISMP, l’Institute for safe medication practices, qui existe aux États-Unis, en Espagne, au Canada… On s’aperçoit que l’on retrouve partout les mêmes problématiques, comme celle relative aux formes injectables par exemple. Par voie intraveineuse, le produit agit plus rapidement, donc le risque est plus important. Or, souvent, les ampoules se ressemblent et le nom du médicament est écrit tout petit. La pédiatrie est aussi un secteur à risques, en particulier parce que les infirmières ont de nombreuses manipulations à réaliser lors de la préparation des médicaments. La plupart d’entre eux, en effet, sont présentés et conditionnés pour les adultes. Enfin, nous nous sommes appuyés sur les résultats du bilan du guichet des erreurs médicamenteuses de l’Afssaps(2), sur les résultats du projet Sécurimed et sur les travaux de l’Agence nationale d’appui à la performance (Anap) relatifs au circuit du médicament.

L’I. M. : À quelles difficultés avez-vous été confrontés ?

Y. S. : La première difficulté a été de réussir à hiérarchiser et à prioriser les risques. Replacer le sujet dans une approche globale et pluridisciplinaire a représenté une autre difficulté. Quand on parle d’administration, les gens ont tendance à imputer la responsabilité de cet acte uniquement à l’infirmière. Or, il nous fallait pouvoir vraiment agir sur les causes profondes des erreurs. Cela nécessite une analyse globale de la situation, qui prend en compte tous les éléments – organisationnels, techniques et humains – en interaction afin de dépasser la seule réflexion centrée sur un ou des individus.

L’I. M. : À l’étranger, ces outils sont disponibles depuis longtemps. En France, il était urgent d’agir ?

Y. S. : Oui, tout à fait, c’était l’un des souhaits de la DGOS, même si des initiatives intéressantes ont été prises en France dans certains établissements de santé. Il existe déjà des procédures comme la double vérification des préparations en pédiatrie, par exemple. En outre, d’autres erreurs ont été médiatisées pendant le cours de notre travail. Il fallait vraiment que nous apportions un support aux établissements pour les aider à identifier les points critiques (la prescription, le stockage dans les unités de soins, la préparation extemporanée des médicaments, l’administration proprement dite), les secteurs les plus à risque (pédiatrie, gériatrie…) et les processus à mettre en place. Nous souhaiterions, à l’avenir, proposer de nouvelles adaptations du guide. Nous n’avons pas encore travaillé sur les risques liés aux nouvelles technologies : les codes-barres, les armoires sécurisées, les dossiers informatisés… Un système informatisé peut aussi tomber en panne. Comment gère-t-on cette situation ?

L’I. M. : Quels sont les principaux types d’erreurs ?

Y. S. : Il y a les erreurs liées à la sélection du médicament, les erreurs de dose, les erreurs de pratique – par exemple, je n’ai pas bien dilué ma préparation – et, enfin, les erreurs de patient, moins fréquentes mais dont les conséquences peuvent être graves.

L’I. M. : Les erreurs médicamenteuses sont-elles stables, en augmentation ou en diminution ?

Y. S. : Depuis 1995, les chiffres sont à peu près équivalents. Mais, quand on observe le bilan du guichet des erreurs médicamenteuses, on remarque que le nombre d’erreurs entre 2005 et 2009 augmente. En fait, les données sont biaisées. Le guichet enregistre des déclarations spontanées ; or, depuis quelques années, la culture de la sécurité s’installe, et les professionnels sont davantage incités à déclarer les événements indésirables.

L’I. M. : À quoi sont dues ces erreurs : un déficit de formation, une surcharge de travail… ?

Y. S. : Il n’y a pas de raison unique. Il faut bien le comprendre, sinon, on aurait tendance à vouloir rendre responsable un individu, à savoir l’infirmière, qui arrive en bout de chaîne. En réalité, plusieurs facteurs entrent en jeu : le management, les procédures, les supports, les conditions de travail, le facteur humain…

L’I. M. : L’une des causes possibles, c’est aussi le manque de communication ?

Y. S. : Oui, c’est une des causes possibles, mais, là encore, ce n’est pas la seule. Une infirmière qui constate qu’une prescription n’est pas complète, dès lors qu’on est bien dans un contexte de travail en équipe, appellera plus facilement le médecin. Or, aujourd’hui, souvent, elle est un peu rabrouée quand elle le fait parce que, notamment, « ce n’est pas le bon moment ». La communication, c’est un problème global au sein des établissements, sur lequel la HAS travaille. Attention, d’ailleurs, on ne parle pas seulement de la communication avec le médecin, il ne faut pas en faire un bouc émissaire. Elle concerne également le pharmacien, le patient…

L’I. M. : Vous insistez, en effet, dans ce guide, sur le rôle du patient. Il doit être davantage acteur de sa prise en charge ?

Y. S. : En terme de processus, c’est l’administration qui est la barrière ultime, mais en terme d’acteurs, c’est le patient. On sait bien aujourd’hui, en particulier s’agissant des pathologies chroniques, que les patients connaissent très bien leur traitement. Il faudrait pouvoir les rendre encore plus acteurs. Concrètement, cela veut dire, pour l’infirmière qui entre dans une chambre, inviter le patient à se présenter et lui laisser le temps et l’opportunité de demander pourquoi on lui donne tel médicament ou pourquoi on modifie la dose ou la voie d’administration.

L’I. M. : À qui est destiné ce guide en priorité ?

Y. S. : Il s’adresse à tous – médecin, pharmacien, infirmière, aide-soignant, coordonnateur de risque… Si l’on dit qu’il ne s’adresse qu’aux infirmières, on ne résoudra aucun problème.

L’I. M. : Comment les infirmières peuvent-elles se l’approprier ? Par l’intermédiaire de leur cadre ?

Y. S. : Pas seulement. Les infirmières peuvent décider de le consulter et, si elles le souhaitent, de conduire un audit. Si elles sont intéressées, par exemple, par le sujet des préparations de médicaments injectables, elles en informent leur cadre et elles réalisent l’audit de leurs pratiques. Elles devront ensuite interpeller le cadre de santé ou le gestionnaire de risques pour lui dire : « Là, il manque telle procédure ; là, il nous faudrait tel support pour nous aider à mieux préparer. » Le système peut bouger par la pression des acteurs les plus proches des patients aussi bien que par le management.

1– Étaient représentés dans le groupe de travail constitué par la HAS pour la réalisation de ce guide les pharmaciens, infirmières, médecins, gestionnaires de risque, aides-soignants, usagers ; les fédérations, publiques et privées ; la DGOS, l’Afssaps, l’Observatoire des médicaments, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique (Omédit), et l’Anap.

2– Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

SAVOIR PLUS

Le guide complet est téléchargeable sur le site Internet de la HAS. Une application peut aussi être installée sur un ordinateur pour pouvoir accéder sans être connecté au web à un mini-site qui résume les points clés du guide. On navigue selon ses centres d’intérêt (pédiatrie, gériatrie, stockage…). Pour approfondir, il suffit de cliquer sur les liens qui ouvrent les fiches détaillées de l’ouvrage. www.has-sante.fr.

YASMINE SAMI

CHEF DE PROJET À LA HAS

→ Elle a obtenu le diplôme d’État d’infirmière en 1985, puis, en 1999, celui de cadre de santé.

→ Elle a exercé dans les secteurs public et privé à but lucratif, à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis (93), à la clinique Ambroise-Paré de Neuilly-sur-Seine (92) et au Centre cardiologique du Nord de Saint-Denis.

→ Depuis 2003, elle est chef de projet à la Haute Autorité de santé. Elle a, notamment, été chargée du suivi et de l’accompagnement d’un panel d’établissements dans le cadre de la certification (V1 et V2) avant de piloter le guide sur l’administration des médicaments.