L'infirmière Magazine n° 296 du 01/03/2012

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

Revenue au métier d’infirmière après vingt ans de théâtre, Madeleine Jimena Esther monte chaque année le spectacle public « Matériau d’écriture » avec les patients de la policlinique de l’ASM 13 à Paris.

En cet après-midi de janvier, la belle salle de spectacle de la Maison des métallos, un lieu culturel de la Ville de Paris, accueille la petite troupe dirigée par Madeleine Jimena Esther pour une dernière répétition avant la représentation publique. Un peu émues mais enthousiastes, elles sont toutes là, Nastazja, Adriana, Lucienne et Geneviève, les participantes à l’atelier « Matériau d’écriture » organisé pour les patients de la policlinique psychiatrique de l’Association de santé mentale du 13e arrondissement (ASM13). « C’est la première fois que je vais au bout d’un projet, certainement le début d’un vrai changement dans ma vie », lance Nastazja, une jeune femme d’une trentaine d’années, avant de monter sur scène. « Préparer ce spectacle m’a apporté de la liberté et de la gaieté », ajoute Adriana. Les techniciens du son et de la lumière sont prêts, les participantes prennent place sur scène. Le spectacle commence. Un immense écran vidéo projette les toiles de grands maîtres, Van Gogh, Dürer ou encore Soutine et Gauguin. Chacune lit le texte qu’elle a écrit, son propre ressenti face à l’œuvre : une manière de rencontrer l’autre, le spectateur, en partageant l’émotion par les mots, le regard, un geste…

Maîtrise de théâtre

Madeleine Jimena Esther, infirmière, est également présente sur scène. Elle prodigue ses derniers conseils aux patientes. Demain est un grand jour, elles seront devenues des « actrices d’un jour » et se produiront pour la première fois devant le public parisien. La passion de Madeleine pour le théâtre remonte à son adolescence. Pour rassurer ses parents, inquiets de la voir « monter à Paris » avec le projet de devenir comédienne, elle entreprend des études d’infirmière après le lycée. Elle obtient son diplôme en 1981 et exerce pendant trois ans dans une petite clinique parisienne spécialisée en cardiologie. Elle travaille de nuit, pour suivre des cours de théâtre en journée, et pose des congés lorsqu’elle doit jouer sur scène. Lorsque la clinique ferme, elle franchit le pas et se lance dans une carrière de comédienne. Elle passe dans le même temps une maîtrise de théâtre à l’Université Paris-8 et se passionne pour la réflexion autour de l’espace scénique. Mais, malgré son amour du métier, elle se lasse de la précarité de la vie d’artiste. « Je me suis rendu compte qu’entre les périodes de travail énorme et celles, remplies d’angoisse, de la course au cachet, il n’y avait plus de place pour la réflexion, la création, l’expression… ! », commente-t-elle. En 2004, après vingt ans de scène, elle abandonne le statut d’intermittent.

Du temps pour apprendre

Des voisins, infirmiers de secteur psychiatrique, sont convaincus que sa double formation pourrait intéresser les hôpitaux psychiatriques. Madeleine pose sa candidature dans deux établissements parisiens, dont la policlinique de l’ASM 13, centre d’accueil et de crise mais aussi structure d’hospitalisation, qu’elle intègre rapidement. « Je souhaitais m’immerger dans la psychiatrie, explique-t-elle. C’est un vrai métier que celui d’infirmière en psychiatrie, cela demande du temps pour apprendre. » La transition entre le monde du spectacle et celui des soins est certes un bouleversement. L’infirmière estime cependant qu’il existe de vraies passerelles entre ces deux univers, à savoir l’attention à l’autre, l’écoute, le dialogue ou encore le travail en équipe. « Au théâtre ou en psychiatrie, tout est fondé sur la relation humaine. Il s’agit d’accepter l’autre tel qu’il est, mais non sans exigences. Pour résumer : j’existe, tu existes, nous dialoguons. Et de cet espace d’échanges naît un troisième espace où le signe peut prendre place », ajoute-t-elle. Surtout, elle découvre au sein de cette clinique d’orientation analytique ce qu’est prendre soin de l’autre en souffrance. « J’ai aimé ce lieu ouvert sur la ville, le travail qui y est fait, de l’accueil de la crise à l’accompagnement vers la réinsertion. J’ai trouvé là-bas une immense qualité d’écoute de la part des soignants, une réelle intelligence du soin infirmier », poursuit-elle. Pleinement investie dans son nouveau métier, elle n’oublie pas pour autant la scène. Elle participe notamment au collectif Les Femmes de plume avec d’autres femmes de théâtre. Certaines que son savoir-faire peut apporter au soin, ses collègues de la policlinique l’invitent à monter un atelier de théâtre pour les patients. « J’ai un peu hésité, le théâtre est le lieu du silence, des émotions, du texte. Je voyais mal comment faire entrer toutes ces dimensions dans un centre d’accueil et de crise », reconnaît-elle. Après réflexion, elle décide d’accepter cette aventure humaine et met en place l’atelier Matériau d’écriture.

Lecture de textes

Plus que la participation à un simple atelier, c’est un vrai projet de création d’une œuvre collective destinée à être partagée avec le public. Madeleine contacte la Maison des métallos, un lieu qu’elle connaît bien puisqu’elle y a présenté des spectacles. Depuis 2005, le lieu culturel lui a proposé une résidence d’artiste associé et organise chaque année une représentation de Matériau d’écriture. Il ne s’agit pas de théâtre à proprement parler, mais plutôt de lecture de textes sur scène. « Je n’ai jamais pensé demander à des patients sous médicaments d’apprendre un texte par cœur », précise Madeleine. Les trois premières années, ces derniers ont travaillé sur un projet de récital de haikus, de courts poèmes japonais de 3 vers et 17 syllabes. Puis, Madeleine a préféré les faire écrire sur les toiles de grands maîtres, une manière sans doute plus active d’engager une démarche créatrice collective. L’atelier est hebdomadaire et réunit une douzaine de patients pendant deux heures. Le groupe choisit collectivement les œuvres, chacun est invité à écrire et à lire son texte aux autres.

Un engagement

« Ce n’est pas de l’art thérapie, je ne pense pas que nous soyons non plus dans l’art. C’est juste s’approcher de quelque chose, même si on ne sait pas vraiment quoi, estime l’infirmière. Ce qui fait soin, peut-être, c’est prendre le temps d’écouter la parole de l’autre, de s’intéresser à lui, de transmettre quelque chose de soi à l’autre ou encore de découvrir la beauté des œuvres plastiques. ». Cette partie écriture terminée, elle demande à chacun s’il souhaite participer ou non à la représentation publique. Certains acceptent avec enthousiasme, d’autres refusent. Madeleine est responsable de la mise en scène du spectacle : jeu des comédiens, rythme, décors, espaces, lumières… « Je m’engage en étant le témoin du chemin parcouru par les patients », continue-t-elle. À l’issue d’une année d’ateliers, deux représentations sont programmées, la première dans les locaux de la policlinique pour les patients et les soignants, et la seconde, à la Maison des métallos, ouverte au public.

Depuis un an, l’infirmière a quitté la policlinique pour un hôpital psychiatrique du Loiret. Elle souhaite poursuivre le projet Matériau d’écriture au sein de la policlinique, et a obtenu le soutien du dispositif ministériel Culture à l’hôpital. « Je continue de m’interroger sur ce qui fait soin en psychiatrie. Aujourd’hui, je découvre des services fermés même pour des patients en hospitalisation libre, des chambres d’isolement, la contention… Les conditions de travail sont très difficiles », regrette-t-elle. Comédienne, metteur en scène, mais aussi soignante… et citoyenne.

CULTURE À L’HÔPITAL

Résidences d’artistes en établissements psychiatriques ou gériatriques, œuvres de plasticiens, ateliers d’expression… Créé en 1997, le programme interministériel Culture à l’hôpital a pour mission de faciliter l’accès à la culture aux les personnes hospitalisées. Les meilleurs projets bénéficient chaque année d’une subvention du ministère de la Culture et du ministère de la Santé.

MOMENTS CLÉS

1981 Diplôme d’infirmière.

1981-1984 Infirmière en cardiologie pendant 3 ans.

1984-2004 Comédienne et intermittente du spectacle.

À partir de 2004 Infirmière au sein de la policlinique psychiatrique de l’ASM 13.

2005 Monte l’atelier « Matériau d’écriture ». Première représentation à la Maison des métallos.

2011 Soutien du dispositif Culture à l’hôpital.

Janvier 2012 6e représentation publique de l’atelier Matériau d’écriture.

Articles de la même rubrique d'un même numéro