L'infirmière Magazine n° 296 du 01/03/2012

 

PSYCHIATRIE

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Depuis l’été dernier, la loi de 1990 sur les hospitalisations sans consentement a été réformée. Retour sur un dispositif très décrié, qui prévoit, notamment, des soins contraints hors de l’hôpital et le recours systématique au juge.

Une usine à gaz », « incohérente et inapplicable », « un tournant sécuritaire »… : c’est peu dire que la loi du 5 juillet dernier est un texte contesté. Pourtant, il était prévu, dès son origine, que la loi de 1990 sur l’hospitalisation sans consentement, soit revue et corrigée au bout de cinq ans. Le délai est largement dépassé. Sorties de leur contexte actuel, la plupart des dispositions auraient sans doute pu faire l’objet d’un consensus. Quelles sont alors les raisons de ce rendez-vous manqué ? Tout d’abord, une déception de la part des professionnels, qui attendaient une grande loi d’orientation de la santé mentale. Ensuite, un texte à l’architecture complexe, voire confuse, et dont l’application, mal préparée, s’avère souvent un casse-tête. Enfin, un contexte particulier, qui a vu une confusion trop fréquente entre maladie mentale et dangerosité ces dernières années.

Un contexte polémique

Retour en arrière : dans un climat de dégradation de la psychiatrie, les enjeux de sécurité publique prennent de plus en plus de poids dans le discours public, allant parfois jusqu’à se substituer à ceux de l’exigence de soins. Dès mai 2004, un rapport sur « les problèmes d’insécurité liés aux régimes d’hospitalisation » parle déjà d’« enjeux de sécurité publique insuffisamment pris en compte » et propose d’« améliorer les modalités d’hospitalisation dans la perspective d’une meilleure prise en compte des impératifs de sécurité publique ». À la fin de la même année, le drame de Pau, où un patient décapite deux soignantes, frappe les esprits et accélère le processus. Ainsi, le projet de loi de prévention de la délinquance, en 2006, prévoit six articles concernant la psychiatrie, et particulièrement les hospitalisations sans consentement. Devant une levée de boucliers unanime, ces articles sont finalement retirés, mais le fait divers de Grenoble, en novembre 2008, impliquant cette fois un patient en sortie d’essai, relance la polémique. Dans un discours à Antony, le chef de l’État annonce un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques et la création d’UMD et de chambres d’isolement supplémentaires. Ce discours préfigure également les principales dispositions de la loi du 5 juillet dernier, et indigne une partie de la profession, qui considère qu’il s’agit d’un retour en arrière considérable et d’une dérive sécuritaire insupportable. Ce bref historique permet de mieux comprendre l’accueil réservé à la récente réforme : « Les soins sans consentement sont devenus un enjeu sécuritaire. Du coup, le débat a été biaisé », résume Bernard Durand, psychiatre et président de la Fédération d’aide à la santé mentale (FASM-Croix Marine).

Certificats et avis multipliés

Quels sont les changements apportés par la réforme ? En premier lieu, on ne parle désormais plus d’hospitalisation sans consentement mais de soins psychiatriques sans consentement, à la demande d’un tiers (SDT) ou à la demande du représentant de l’État (SDRE). Cette substitution ouvre la possibilité d’une prise en charge en ambulatoire sans consentement, assortie d’un programme de soins défini au préalable. En second lieu, et il s’agit là d’une disposition qui n’était pas prévue par le législateur mais qui a été introduite par le Conseil constitutionnel à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la saisine du juge des libertés et de la détention devient systématique pour toute hospitalisation complète sans consentement dans les 15 jours, puis tous les 6 mois. Une période d’observation initiale de 72 heures est mise en place, pendant laquelle le médecin se prononce sur la suite à donner à l’hospitalisation. Le nombre de certificats et d’avis augmente : après les certificats d’admission, des certificats à 24 heures, 72 heures, entre le 5e et le 8e jour, puis mensuels sont à établir. Le certificat à 15 jours disparaît, mais l’audience par le juge s’accompagne des avis de deux psychiatres (dont un ne participant pas à la prise en charge) sur la nécessité de maintenir ou non l’hospitalisation, ainsi que d’un avis médical motivant, le cas échéant, les raisons médicales qui ne permettent pas la présence du patient à l’audience (par exemple, un isolement thérapeutique), et d’un avis médical sur l’absence d’obstacles à la visioconférence éventuelle. Pour les patients en SDRE aux antécédents d’irresponsabilité pénale ou de séjour en UMD d’au moins un an dans les dix années précédentes, la saisine du juge ainsi que le passage en programme de soins ou la sortie sèche doivent être éclairés par l’avis d’un collège de trois soignants. Le rôle du préfet est, par ailleurs, renforcé sur les sorties des patients en SDRE, et des procédures sont prévues en cas de désaccord entre le médecin et le préfet sur la sortie d’un patient ou son passage en soins ambulatoires. Enfin, tout allègement ou fin de programme de soins sous contrainte peut être refusé par le préfet. Dernière évolution notable : il est désormais possible de faire hospitaliser une personne sous le régime des SDT dans les cas où une demande de tiers ne peut être recueillie (comme c’est souvent le cas pour les personnes isolées socialement). C’est alors le directeur d’établissement qui prononce l’admission au vu d’un seul certificat médical. On le voit, c’est une loi extrêmement complexe à mettre en œuvre qui a été votée le 5 juillet. De plus, son entrée en vigueur, le 1er août, à un moment où nombre de personnels hospitaliers et magistrats étaient en vacances, a encore compliqué les choses.

Dispositif chronophage

Cinq mois après la mise en route du nouveau dispositif, la situation n’est toujours pas claire : « C’est une loi très compliquée, qui prend beaucoup de temps et d’énergie. Il y a, notamment, trois fois plus de certificats médicaux circonstanciés à rédiger, ce qui signifie beaucoup de travail en plus. Cela crée aussi de la confusion et de l’anxiété, pas seulement chez les médecins, mais chez tous les soignants », déplore Olivier Labouret, psychiatre, président de l’Union syndicale de la psychiatrie et membre fondateur du Collectif des 39. Si la grande majorité du personnel hospitalier se désole de cet accroissement de la charge administrative, qui se fait au détriment du temps consacré aux soins, ils n’en voient pas non plus l’utilité. « C’est une hypocrisie, souligne Pierre-François Godet, psychiatre au centre hospitalier Le Vinatier à Lyon-Bron. Tous ces avis peuvent être donnés au total par deux psychiatres, les quatre premiers, par le même. Qu’est-ce que cela apporte ? » « La confusion qui se fait sentir chez les soignants se répercute évidemment sur les patients », renchérit un infirmier qui préfère garder l’anonymat.

Une autre disposition, quasi unanimement louée dans son principe, fait également grincer des dents dans la pratique : l’intervention du juge des libertés et de la détention. Celle-ci peut se faire au tribunal, à l’hôpital ou par visioconférence. Cette dernière solution n’est heureusement appliquée que dans 5 % des cas environ, pour le moment : « Il est aberrant d’imaginer une visioconférence avec des malades mentaux qui ont déjà du mal à communiquer avec des personnes présentes », s’étonne Bernard Durand. Un quart des audiences sont organisées à l’hôpital, et la majorité sont tenues au tribunal, sans qu’aucun moyen supplémentaire n’ait été prévu pour gérer ces sorties. « Cela prend un temps considérable aux infirmiers, se désole Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des patients en psychiatrie. Et les patients ne comprennent pas bien ce qu’ils font là. Au contraire, c’est stigmatisant : le fait d’être conduit au tribunal parmi les délinquants, ça veut dire que la maladie est une délinquance. On nie le travail de soin fait par les professionnels. » Au niveau logistique, ce déplacement est souvent un casse-tête, d’autant plus que deux infirmiers qui accompagnent les patients, ce sont deux infirmiers de moins dans le service… Ces difficultés peuvent d’ailleurs donner lieu à des dérives : « Dans certains endroits, pour échapper à ce qui est vécu comme une contrainte judiciaire, on fait des certificats de “complaisance” indiquant que les patients ne sont pas en état d’y aller. Ailleurs, les directions refusent que les équipes soignantes accompagnent les patients au tribunal parce que cela prend trop de temps et n’est pas sécurisant », selon Olivier Labouret. Enfin, la logique judiciaire et celle des soins ne sont pas toujours compatibles : le juge peut décider de la mainlevée de la mesure pour vice de forme, alors même que l’état du patient nécessite une hospitalisation. Jean-Claude Pénochet, président du Syndicat des psychiatres des hôpitaux et de l’Intersyndicale des psychiatres publics, estime, ainsi, qu’« entre août et décembre, il y a eu autant de sorties prononcées par le juge qu’il y en avait eu un an auparavant ». Cependant, la possibilité de faire appel existe toujours, et celui-ci est souvent favorable à l’établissement.

Mais l’opposition des professionnels ne s’arrête pas là. « Le combat contre cette loi est double, explique Pierre-François Godet. D’une part, les professionnels s’y opposent pour des raisons techniques ; d’autre part, certaines associations y voient une loi sécuritaire et liberticide, et la combattent donc aussi pour cette raison. » C’est notamment le programme de soins, instaurant la possibilité de soins sous contrainte hors de l’hôpital, qui cristallise les critiques. Il s’agit d’un document mentionnant le type de soins, leurs lieux et périodicité et, si elle est prévisible, leur durée. Il remplace les sorties d’essai, qui disparaissent.

Risque de dérives

Dans la pratique, cela pose déjà un problème. « La situation est ubuesque, résume Jean-Claude Pénochet. Si un patient est hospitalisé mais qu’il sort une fois en 15 jours, le compteur repart à zéro lorsqu’il revient à l’hôpital ! » Il ne sera donc pas présenté au juge, alors même qu’il subit une privation de liberté. D’autant plus que ce programme de soins peut être maintenu par le préfet contre l’avis du médecin, sans limitation dans le temps. Les médecins en sont donc réduits à s’arranger avec la loi. « Il arrive que le patient aille devant le juge même s’il a eu une “permission” car, sinon, il ne le verrait jamais », raconte Pierre-François Godet(1). « Je mets le moins de détails possible dans le programme, car il y aura ainsi moins d’occasions de l’enfreindre pour le patient. Mais, depuis un mois, des programmes de soins sont refusés par le préfet parce que pas assez progressifs », explique Olivier Labouret. Le décret d’application détaillant cette disposition n’ayant pas encore été publié, il y a, en effet, actuellement, une certaine latitude. Mais c’est justement ce décret qui fait peur, autant au personnel soignant qu’aux usagers. « Nous participons aux discussions, mais nous ne sommes pas écoutés, déplore Claude Finkelstein. Il est prévu que la police puisse forcer la porte de la personne qui refuserait les soins. Il faut laisser le choix à celle-ci d’être hospitalisée sous contrainte ou de sortir en continuant à se faire soigner. Je crains la dérive. Sous prétexte d’un manque de lits, on va renvoyer des gens chez eux sans tenir compte du fait que venir les soigner de force peut être considéré comme une atteinte très violente à leur liberté. On voit bien que cette loi n’a pas été pensée avec les professionnels. » Olivier Labouret renchérit : « Les droits des patients et le droit à la vie privée sont bafoués d’une façon radicale. Nous devrons nous-mêmes transgresser le secret médical pour aller solliciter la police si le patient n’obéit pas à un programme de soins. Aller surveiller et médicamenter le patient chez lui, avec des neuroleptiques retard, ce n’est pas du soin. Et nous sommes obligés de passer du soin à la défense des droits des patients, contre une folie étatique. C’est très déstabilisant, pour tout le monde. » La loi de réforme des soins sans consentement n’a donc pas fini de désorganiser les services, ni d’inquiéter médecins et patients.

1– À noter que plusieurs autres QPC concernant cette loi sont actuellement examinées par le Conseil d’État. L’une d’entre elles pose notamment la question de l’absence de contrôle judiciaire des programmes de soins sous contrainte. Voir http://crpa.asso.fr

RECENSEMENT DES MALADES

UN CASIER PSYCHIATRIQUE ?

À l’occasion du vote de la loi, plusieurs associations ont dénoncé un fichage des patients hospitalisés sous contrainte. Pour le collectif Mais c’est un homme, « [la loi] ouvre même un “casier psychiatrique” des “malades mentaux”, sans véritable “droit à l’oubli” ». En vérité, un tel fichier existait de fait depuis longtemps. Depuis un arrêté du 19 avril 1994, le logiciel Hopsy recense les personnes ayant fait l’objet d’une hospitalisation sans consentement. Il enregistre l’identité du patient et, le cas échéant, celle de la personne ayant demandé l’hospitalisation, l’identité des médecins auteurs des certificats, les informations en rapport avec la justice et avec la situation administrative de la personne hospitalisée. Selon l’arrêté, les destinataires de ces informations sont le préfet du département, le procureur de la République et les membres de la commission départementale des hospitalisations psychiatriques, et, dans certains cas, le maire du lieu d’habitation du patient, ainsi que sa famille. Hopsy a été rendu obligatoire dans toutes les Ddass en 2007, puis sa gestion a été confiée aux ARS, depuis le 1er avril 2010. Si la loi du 5 juillet dernier ne fait pas explicitement référence à ce fichier, le site Internet du ministère de la Santé précise que « la poursuite de l’utilisation du logiciel Hopsy est recommandée à partir du 01/08/2011 ». Une nouvelle version du logiciel, prévue pour la fin de l’année 2012, prévoit, notamment, un « système d’anonymisation des données en vue d’exploitation et de suivi au niveau national ».

Par ailleurs, tous les patients en psychiatrie (avec ou sans consentement) sont obligatoirement recensés, depuis le 1er janvier 2007, par le fichier RIM-psy, dont les données, incluant, entre autres, le diagnostic, ne sont pas anonymes à la source.

Articles de la même rubrique d'un même numéro