L'infirmière Magazine n° 297 du 15/03/2012

 

TERRAIN

DOSSIER

Deux histoires sont présentées, qui n’ont pas valeur d’exemples, mais qui montrent comment les professionnels de santé ont pu vivre de manière différente l’apparition des ARS.

L’hôpital local de Crozon, dans le Finistère, dispose d’un pôle médical avec cinq lits de médecine et dix lits de SSR (soins de suite et de réadaptation), ainsi que d’un pôle médico-social, avec un Ehpad de 110 places. La position excentrée de l’hôpital (la presqu’île de Crozon se trouve à plus d’une heure en voiture des grands centres urbains de Brest et de Quimper), le vieillissement de la population locale, l’impossibilité pour l’établissement de répondre à toutes les demandes de prise en charge exigent une évolution. L’hôpital veut s’agrandir. Depuis 2000, la directrice de l’établissement réalise des démarches dans ce sens auprès de l’ARH, de la Ddass et du conseil général, mais aucune dynamique ne se met en place jusqu’en 2008. Cette année-là, un nouveau maire est élu. Ancien directeur des hôpitaux des Armées, il comprend l’importance de ce projet sanitaire territorial. « L’affirmation d’une volonté politique change la donne, explique, dans un sourire, Monique Porcher. Quand tous les élus de la presqu’île m’ont accompagnée à la direction de l’ARH, j’ai bénéficié d’une écoute beaucoup plus attentive que ce que j’avais pu obtenir avec tous les rapports que j’avais rédigés. » Les choses s’accélèrent. Un CPOM (contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens) est conclu la même année avec l’ARH, et l’agrandissement de l’hôpital est inclus dans le projet d’établissement. Il est prévu que le nombre de lits du pôle sanitaire soit multiplié par deux. Le pôle médico-social obtient, lui, 40 lits supplémentaires, et comprendra un hébergement temporaire pour les personnes en attente d’une place dans une autre structure, ou pour soulager les familles.

La réalisation des travaux doit se négocier avec l’ARS de Bretagne, fraîchement établie. Le directeur territorial de l’agence se déplace. Le dynamisme de l’établissement (qui reçoit des évaluations très positives lors de sa certification, en 2009) et la solidité du projet, basé sur les besoins de la population et une stratégie territoriale, portent leurs fruits. « Le directeur territorial a bien compris notre souhait », résume la directrice de l’établissement. Le projet d’agrandissement était d’autant plus convaincant que l’hôpital de Crozon se situait en complémentarité des CHU de Brest et du CH de Quimper, auxquels l’hôpital local offre des lits d’aval. L’ARS, via sa direction territoriale du Finistère, soutient le projet. La construction d’un nouvel hôpital pour Crozon est avalisée. Un contrat de plan État-Région et une aide de l’ARS et du conseil général permettent de financer, en partie, les travaux. La construction du nouvel établissement devrait commencer début 2013, pour s’achever en juillet 2016. L’ensemble des agents de l’hôpital est étroitement associé à la conception de la nouvelle structure. Cette réflexion architecturale, menée en fonction des besoins exprimés par les usagers, est conduite en parallèle d’un travail d’analyse sur l’accompagnement des personnes désorientées, afin de désamorcer les situations d’angoisse ou de troubles du comportement.

Accord de coopération

La démarche territoriale de l’hôpital de Crozon s’étoffe, ensuite, avec l’élaboration d’un projet de radiologie numérisée, en coopération avec le CHU de Brest. Il s’agit d’éviter aux patients de Crozon de se rendre à Brest ou à Quimper. « Nous avions devancé la loi HPST ! », s’amuse Monique Porcher. Ce projet s’intègre parfaitement dans les CHT (communautés hospitalières de territoire) mises en avant par la loi. Les clichés pris à l’hôpital de Crozon sont envoyés sous forme numérisée au CHU pour y être interprétés. Le dossier de radiologie est présenté par le CHU de Brest devant l’ARS, qui doit donner son aval. Un accord de coopération est signé entre les deux établissements hospitaliers, la mairie de Crozon et l’ARS. Le CHU achète le matériel nécessaire, la mairie finance les travaux, l’agence finance le déficit prévisionnel d’exploitation occasionné par le salaire versé au manipulateur de radiologie (ce dernier réalise les clichés dans un local aménagé de l’hôpital local). Les travaux pour établir la connexion avec Brest devaient commencer au premier semestre 2012, et la radiologie doit réintégrer Crozon pour l’été, après deux années d’absence.

Un réseau plurithématique

« Soigner ensemble dans le Bessin » existe depuis 1999. Ce réseau de santé plurithématique a démarré sous la forme associative avant de changer de statut juridique et de se transformer en GCS (groupement de coopération sanitaire). A cheval entre l’hôpital et le secteur ambulatoire, il propose une coordination de soutien pour les situations difficiles et la promotion de la santé via l’éducation thérapeutique et la prévention. Ses domaines d’intervention couvrent la périnatalité, l’addictologie, le diabète, les affections cardio-vasculaires, la cancérologie, les soins palliatifs et la gérontologie. Ce réseau pionnier, dans sa démarche ainsi que dans l’adoption du statut juridique de GCS, a reçu le soutien de son ARH puis la visite de l’Igas, de la DGOS, et de la ministre de la Santé. Par ailleurs, l’Anap (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux) a reconnu, dans une monographie consacrée au GCS Soigner ensemble dans le Bessin, la qualité des actions de ce réseau. En raison du large éventail de ses domaines d’intervention, le réseau reçoit des financements variés et se trouve en relation avec un nombre important d’interlocuteurs « auprès desquels il fallait faire beaucoup d’efforts de communication pour ne pas agacer, certains ayant l’impression de financer des doublons », explique Thierry Gandon, médecin de l’hôpital de Bayeux et directeur médical du réseau. D’où les espoirs suscités quand l’ARS de Basse-Normandie a vu le jour. « Nous attendions beaucoup de cette nouvelle organisation administrative. La démarche de décloisonnement que nous avions mise en œuvre sur un territoire de proximité allait être réalisée à l’échelle régionale par nos tutelles, avec une cohérence et une simplification des guichets. »

Décision surprenante

La surprise ne vient pas du côté où elle était attendue. En octobre 2011, le réseau dépose auprès de l’ARS un projet de constitution en pôle de santé, qui lui permettrait d’élargir son aire géographique et son activité, tout en bénéficiant d’un contrat local de santé, noué avec l’agence. En décembre, le réseau est prévenu par écrit que son conventionnement avec l’ARS, normalement accordé pour trois ans, est réduit à quatre mois. Il se sent désormais menacé dans son existence et s’interroge sur l’avenir proche de ses salariés. La décision de l’ARS est d’autant plus surprenante qu’en tant que GCS, le réseau est en mesure de baisser de 10 à 15 % ses demandes de financement fixe, ce qui répond aux exigences actuelles d’efficience. Par ailleurs, sa coordination d’appui à l’éducation thérapeutique est en concordance avec la loi HPST. Son orientation générale entre dans les grandes lignes du PRS, à l’élaboration duquel une partie de ses membres ont participé. De son côté, Pierre Jean Lancry, directeur de l’ARS, assure que « le GCS Soigner ensemble dans le Bessin ne va pas s’arrêter. C’est uniquement une question de gestion administrative. La convention du réseau arrive à échéance en juin. Elle sera alors renouvelée, sur une durée qu’il n’est pas, pour le moment, possible de déterminer. » Une déclaration qui ne rassure pas Thierry Gandon : « Nous avons besoin, pour continuer à travailler sereinement, d’être davantage sécurisés sur nos financements. Nous sommes d’autant plus fragilisés que les réseaux reposent sur des choix individuels, une volonté de travailler ensemble. » Selon Pierre-Jean Lancry, l’évolution des réseaux est inéluctable : « À terme, je suis favorable à ce que qu’il y ait une coordination de toutes ces structures. Nous allons réorganiser les réseaux via une plate-forme régionale d’éducation thérapeutique. » Cette nouvelle organisation est en cours d’élaboration. Thierry Gandon s’interroge sur la possibilité de remobiliser les personnes qui s’étaient impliquées. « Du point de vue de la dynamique de territoire, c’est catastrophique. Il est impossible de dire aux gens : “la manière dont vous fonctionnez ne convient pas, vous devez arrêter” et d’imposer ensuite verticalement une autre organisation. »