L'infirmière Magazine n° 297 du 15/03/2012

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

M. R., âgé de 84 ans, vit chez lui avec son épouse. Il fait des chutes à répétition depuis deux à trois jours. Amené aux urgences par son fils, le patient est cohérent dans ses propos mais un peu agité. Il cherche à se lever mais il est peu stable et tremble beaucoup. L’évolution aux urgences est peu favorable. Il est de plus en plus confus et agité. Son traitement habituel comporte : Cordarone (amiodarone), pour des épisodes de troubles du rythme, Amarel (glimépiride), pour un diabète de type II, Kardegic (acétylsalicylate de lysine) et Artane (trihexyphénidyle), introduit récemment par son médecin traitant.

À son entrée en service de médecine polyvalente, la confusion se renforçant, le médecin décide de stopper la prescription d’Artane. Les troubles de la mobilité et les confusions diminuent mais le patient n’a pas recouvré son état « normal ».

Suite à discussion avec les pharmaciens sur les antécédents du patient et après avoir éliminé d’autres causes organiques ou physiologiques, il est décidé par l’équipe médicale d’investiguer une autre cause iatrogène médicamenteuse. L’Amarel est suspendu. Deux jours plus tard, le patient se mobilise de mieux en mieux, se lève seul avec déambulateur et récupère ses fonctions supérieures.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

Ce patient âgé, aux nombreux antécédents médicaux, s’est probablement retrouvé confronté à des effets indésirables des médicaments suite à une dégradation de ses capacités physiologiques, notamment d’élimination (diminution de la clairance rénale de la créatinine < 30 ml/min).

Le médecin traitant a introduit l’Artane en raison des signes de perte de mobilité. L’Artane, potentiellement moins bien éliminé à cause de l’insuffisance rénale majorée, est à l’origine des signes de confusion.

L’Amarel, sulfamide hypoglycémiant de longue durée d’action, déconseillé en cas d’insuffisance rénale sévère, a, lui, été probablement responsable d’hypoglycémie à répétition, pouvant expliquer les chutes.

La vigilance des praticiens de médecine polyvalente et des gériatres présents a permis l’isolement des causes iatrogènes de ces chutes chez un patient âgé qui, par ailleurs, malgré des pathologies « importantes », vit chez lui avec un traitement de fond équilibré.

2. LES ANTIDIABÉTIQUES ORAUX : RAPPELS

Les antidiabétiques oraux sont indiqués dans la prise en charge du diabète non insulinodépendant (de type 2) chez l’adulte, lorsque le régime alimentaire, l’exercice physique et la réduction pondérale seuls ne sont pas suffisants pour rétablir l’équilibre glycémique.

Sulfamides hypoglycémiants

Leurs noms DCI (dénomination commune internationale) commence par « gli » : glibenclamide, gliclazide, glipizide… Ils se différencient entre eux par leur durée d’action. Le glimépiride (Amarel) est un sulfamide à longue durée d’action.

Effets indésirables

→ Le plus redouté est l’hypoglycémie, qui apparaît le plus souvent d’emblée, et peut être sévère, en particulier chez les sujets âgés et les insuffisants rénaux. Les facteurs de risque d’hypoglycémie sont la suppression d’un repas, un exercice physique inhabituel, la prise de boissons alcoolisées, une augmentation de dose trop rapide du sulfamide, une hépatopathie ou une insuffisance rénale. L’hypoglycémie peut se traduire par des céphalées, une faim intense, des nausées, des vomissements, de la somnolence, de l’agitation, et peut aller jusqu’au coma, avec respiration superficielle et bradycardie. Les symptômes disparaissent en général après absorption d’hydrates de carbone (sucre). Les sulfamides hypoglycémiants ne doivent pas être administrés si la prise alimentaire est sautée.

→ Les sulfamides hypoglycémiants sont susceptibles de provoquer des atteintes hématologiques (thrombocytopénie, leucopénie, neutropénie, agranulocytose…) et d’être à l’origine de réactions allergiques (risque d’allergie croisée avec les sulfamides utilisés comme antibiotiques).

Contre-indications

→ Les sulfamides hypoglycémiants sont contre– indiqués en cas d’insuffisance rénale ou hépatique sévères. Les formes LP (qui majorent le risque d’hypoglycémie) seront prescrites avec la plus grande réserve chez le patient âgé.

Interactions

→ Ces sulfamides sont métabolisés par le cytochrome P450 2C9 (CYP2C9). Les inhibiteurs de ce cytochrome (fluconazole, fluoxétine, fluvoxamine) ralentissent l’élimination du sulfamide et peuvent entraîner une hypoglycémie. Les associations sont contre-indiquées ou déconseillées selon les molécules.

Glinides

Il n’existe qu’un seul représentant de cette classe commercialisé en France : le répaglinide (Novonorm). Son action est très proche de celle d’un sulfamide hypoglycémiant, mais la fréquence des hypoglycémies est plus faible. Il doit toutefois être instauré de façon progressive chez le sujet âgé.

Metformine

Elle peut être utilisée seule ou en association avec d’autres antidiabétiques oraux ou avec l’insuline. La metformine ne provoque pas d’hypoglycémie. C’est le traitement médicamenteux de première intention chez le diabétique non insulino-dépendant.

Effets indésirables

→ Le plus fréquent : les troubles digestifs (nausées, diarrhées, notamment). Pour les éviter, la metformine doit être administrée pendant les repas (ou en fin de repas) et les posologies doivent être augmentées très progressivement. Les troubles digestifs disparaissent généralement après 15 jours de traitement.

→ Le plus redouté : l’acidose lactique (exceptionnelle), qui entraîne le décès dans un cas sur deux. Elle est le plus souvent liée à une insuffisance rénale (accumulation de metformine). La fonction rénale doit être réévaluée régulièrement et le traitement doit être interrompu :

– en cas de signes prémonitoires d’acidose lactique (crampes, douleurs abdominales et/ou thoraciques, parésie musculaire, asthénie) ;

– 48 heures avant et après toute anesthésie général ;

– le jour même et pendant les 48 heures suivant tout examen avec injection de produit de contraste iodé (risque d’insuffisance rénale pouvant générer une accumulation de metformine).

Gliptines

Leur DCI se termine par « gliptine ». Ce sont des médicaments de la voie des incrétines. Ils peuvent provoquer des troubles digestifs en début de traitement, et augmentent le risque d’hypoglycémie en cas d’association aux sulfamides hypoglycémiants.

Inhibiteurs des alphaglucosidases

Ils ne sont pas absorbés dans l’intestin, mais agissent dans la lumière intestinale en inhibant la dégradation des sucres complexes en glucose. Les sucres complexes sont éliminés sans être absorbés. Ils provoquent fréquemment des flatulences et des diarrhées. Leur mode d’action nécessite qu’ils soient présents dans l’intestin avant l’arrivée du bol alimentaire. Ils doivent impérativement être pris avant ou au tout début des repas.

3. EN PRATIQUE

→ Tout d’abord, le recueil des données biologiques (glycémie, créatinine…) et cliniques (symptôme de l’hypoglycémie…) pour apprécier l’évolution de l’état du patient doit être constant et rigoureux. Il doit, bien sûr, être tracé, notamment via les transmissions ciblées. Il permet un meilleur suivi et une adaptation de la prise en charge.

→ Ensuite, devant tout signe de confusion, de désorientation, d’altération cognitive…, après avoir écarté une cause médicale, penser à rechercher une cause médicamenteuse. À l’heure actuelle, l’Artane reste peu prescrit mais les traitements moins fréquents n’en sont pas moins dénués d’effets indésirables (au contraire !). Une hypoglycémie doit être recherchée comme cause possible d’une chute ou de difficultés de maintien de l’équilibre. Les sulfamides hypoglycémiants, comme d’autres médicaments antidiabétiques, sont susceptibles de renforcer le risque hypoglycémique, notamment lorsque ceux-ci sont moins bien éliminés (exemple : dans l’insuffisance rénale).

→ Enfin, l’IDE doit être à même d’apporter une réponse en termes de prise en charge de l’événement iatrogène. Ici, par exemple, l’application du ou des protocoles hypo/hyperglycémies disponibles dans le service est une conduite adéquate. Certaines conduites « à risque » doivent aussi être évitées par le soignant ou expliquées à l’entourage du patient (exemple : suspension des traitements hypoglycémiants si le patient ne mange pas, adaptation des doses d’insuline en fonction des repas…).

L’Artane

→ L’Artane est un antiparkinsonien à action anticholinergique centrale et périphérique.

→ Il estompe le tremblement et l’hypertonie, mais n’a que peu d’effet sur l’akinésie (difficulté, lenteur d’initiation des mouvements).

→ Il peut être utilisé dans les syndromes parkinsoniens induits par les neuroleptiques.

→ Aux doses habituellement utilisées en thérapeutique, les effets indésirables sont le plus souvent reliés aux effets anticholinergiques ou atropiniques à savoir sécheresse de la bouche, troubles de l’accommodation, hypertonie oculaire, troubles mictionnels et constipation.

→ En général, ces effets sont plus fréquents chez les personnes âgées qui peuvent présenter hallucination et confusion mentale de par leur moins bonne capacité d’élimination.

→ Attention en cas d’insuffisance rénale.