DROITS DES PATIENTS
SUR LE TERRAIN
ENQUÊTE
La loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé souffle ses dix bougies le 4 mars dernier. L’occasion de voir de quelle façon elle a modifié la relation entre les patients et les soignants et de mesurer son impact sur le quotidien des infirmières.
Un peu d’histoire… Fin des années 1990, la lutte contre le sida bat plus que jamais son plein, tandis qu’éclate ce qu’on appellera rapidement le scandale de la Clinique du sport
Des droits nouveaux qui, rappelons-le, ont cependant inquiété le monde des soignants. Corinne, à l’époque infirmière depuis six ans au CHU de Toulouse, installée en libérale depuis 2008 en région lyonnaise, se souvient : « Bien sûr, la loi Kouchner n’était pas le premier sujet de conversation dans les services, mais qui disait droits nouveaux disait responsabilités juridiques nouvelles. Alors, de manière assez confuse, on craignait une judiciarisation de la relation soignant/soigné, à l’image de ce qui nous parvenait parfois des États-Unis, où les soignants et les établissements étaient attaqués devant les tribunaux pour tout et, parfois, n’importe quoi. Avec le recul, il me semble que cette crainte n’était pas fondée et que les patients ont eu raison de réclamer que leurs droits soient gravés dans la loi. Même s’il est aberrant qu’on ait eu besoin de faire appel à l’Assemblée nationale pour mieux prendre en charge la douleur des malades ! » Il n’empêche que la loi Kouchner a modifié le quotidien infirmier. Même si cela s’est opéré de manière plus au moins naturelle et plus ou moins transparente, et a « touché » différemment les infirmières qui avaient connu « l’avant-2002 » et celles de « l’après-2002 ». « Dix ans déjà ! », lance Mireille Alajouanine, surprise que le temps ait passé si vite. Faisant fonction de directeur des soins infirmiers à l’hôpital de Juvisy-sur-Orge, dans l’Essonne, et responsable de la Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (Cruqpc) de l’établissement (voir encadré p. 25), elle estime que la loi de 2002 « est entrée dans les mœurs infirmières. On ne fait pas référence au texte dans notre pratique quotidienne, mais une part du travail se fonde sur la loi. » Pour autant, Mireille Alajouanine estime que son impact a été différent selon les établissements et les services. « Pour ma part, j’ai longtemps travaillé en pédiatrie, où la relation est triangulaire : parents, enfant et équipe soignante, et où le dialogue et l’information font partie de notre culture. La loi a sans doute marqué davantage d’autres services moins habitués à ce type de fonctionnement ou plus exposés du fait de leur activité propre ; je pense notamment à la chirurgie. Mais, finalement, je crois qu’elle a été un progrès pour tous, malades, usagers et soignants. Elle a notamment conduit les professionnels, et en particulier les médecins, à écrire et à réfléchir aux éléments à inscrire dans les dossiers médicaux et à formaliser l’information qu’ils donnent aux patients », commente-t-elle.
De quelle manière donner l’information aux patients, comment la tracer et l’accompagner ? Ces questionnements ont jalonné la mise en place de la loi, explique Sylvie Sordelet, adjointe à la direction des soins infirmiers de l’hôpital Corentin-Celton d’Issy-les-Moulineaux et cadre de santé au CHU de Garches lors de la parution du texte. « Avant la loi, on disposait déjà de divers supports, tels le livret de pathologies et le livret de traitements. Mais, après, on a beaucoup travaillé avec les équipes médicales sur la manière de délivrer l’information aux patients concernant, par exemple, le bénéfice/risque, le consentement éclairé, et la façon dont il fallait tracer ces informations. On s’est aperçus qu’il ne suffisait pas de donner de l’information, il fallait également l’accompagner oralement car les patients ne lisaient pas forcément les documents ou pas jusqu’au bout, et que cela pouvait influer sur la prise en charge infirmière », explique Sylvie Sordelet. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, on a des patients de mieux en mieux informés de leurs droits et qui savent que, le cas échéant, la douleur sera prise en charge. Et même si ça les rend un peu procéduriers et génère parfois des comportements de type “consommateurs de soins”, il n’est pas certain qu’ils soient devenus acteurs de leur santé car, en définitive, j’ai le sentiment que c’est toujours le médecin qui décide. »
Infirmière dans un service de médecine générale, Aurélia Arsac a également mesuré les changements intervenus dans sa pratique depuis la montée en puissance de la loi et les répercussions que cette dernière a eues sur sa relation avec les malades et leurs proches. « Dans mon service, le turn-over des malades est rapide, et le travail qui entoure l’accueil, l’information et la traçabilité est donc sans cesse à renouveler à l’arrivée de chaque nouveau patient, et cela nous prend beaucoup de temps, même si cette étape est importante pour le patient. Par conséquent, le temps disponible pour dialoguer avec les personnes se trouve de plus en plus réduit, et les médecins sont également surchargés. D’autant qu’en dix ans, l’hôpital public s’est profondément transformé et que le manque de personnel a aussi des effets sur notre quotidien. Même si on peut sans doute améliorer l’organisation, “le faire plus et mieux avec moins” a ses limites. Et ces limites sont d’abord humaines. On ne peut pas, en effet, faire des soins de plus en plus protocolisés et consacrer autant de temps qu’avant à la relation et, surtout, à la relation d’aide. Alors, on est contraints de faire des choix et, dans ce contexte, on privilégie bien sûr le soin pur », explique l’infirmière. Elle complète : « Que l’on soit patient ou soignant, je constate que cette situation entraîne de la frustration. »
« Pour les patients, la loi du 4 mars a été très bénéfique. Mais elle a aggravé certaines tendances, qui deviennent difficiles à vivre sur le terrain, car on n’a pas toujours anticipé leurs conséquences », note Jean Will, chargé des relations avec les usagers à l’hôpital Saint-Antoine depuis février dernier – il a exercé ces mêmes fonctions pendant près de dix ans à l’Hôpital européen Georges-Pompidou à Paris. « Il y a dix ans, l’HEGP enregistrait quelque 80 demandes de communication du dossier médical ; en 2011, c’était 600 – et tous les hôpitaux présentent certainement le même indicateur. Or, préparer un dossier médical et l’expédier réclame du personnel et tout un processus logistique pas toujours disponibles. » Pour lui, la loi a également produit un paradoxe. « Les soignants savent qu’ils doivent informer les patients, tracer la prise en charge et assurer la qualité des soins, ils évoluent donc dans un environnement de plus en plus normé, réglementé, protocolisé, et une charge de travail administrative croissante. Du coup, souvent par manque de temps, l’information reste rapide et formelle alors que les patients sont en demande de dialogue, d’échange et de temps passé auprès d’eux. » Une situation que comprend Christian Saout. « Évidemment, on ne peut pas obliger les soignants à écouter les patients s’ils n’ont pas le temps de le faire. » Cependant, à son avis, ce n’est pas seulement une question de moyens – bien qu’il estime que la garantie de l’exercice des droits est plus aisée dans un contexte économiquement favorable –, c’est également une attitude, une posture. « Le système n’est pas clément, on n’y voit pas beaucoup de sollicitude. Les malades ne disent pas qu’ils sont mal soignés, ils disent qu’on ne fait pas suffisamment attention à eux. Or, la qualité d’écoute est profondément liée à son équation personnelle. Cependant, quand on ne l’a pas, il reste possible de l’acquérir. »
En janvier dernier, Xavier Bertrand, ministre de la Santé, a indiqué qu’il souhaitait « jeter les bases d’une nouvelle loi sur les droits des patients ». « Un impératif », a-t-il souligné. Une annonce qui ne fait pas l’unanimité. Pour Jean Will, « il faudrait, dans un premier temps, mieux encadrer son application car, aujourd’hui, elle reste liée à la volonté de chaque établissement ». De son côté, Christian Saout dit se méfier d’une nouvelle loi qui constituerait une fracture entre les patients et les soignants. « Nous sommes déjà au bord de la rupture pour de nombreuses raisons, et notamment parce qu’on a comprimé le système de telle façon que les tensions se sont exacerbées. Je ne suis pas sûr que si l’on mettait sur la table la perspective d’une nouvelle loi, on ne braque pas les soignants. D’autant qu’ils ont eu l’occasion, ces dernières années, de voir des patients et des usagers qui ne se comportaient pas bien : rendez-vous non tenus, violences à l’hôpital… Si l’on devait envisager un nouveau texte, il devrait reposer sur une alliance entre les professionnels de santé et les patients. Dans ce cas, il faudrait peut-être convoquer de nouveaux états généraux de la santé pour produire une ambition nationale partagée, et non une loi qui tombe d’en haut. »
1– Entre 1988 et 1993, 58 patients opérés à la Clinique du sport avaient été infectés par la bactérie xenopie, présente dans le réseau d’eau potable de l’établissement.
3– Rapport Caniard – « La place des usagers dans le système de santé ». Téléchargeable sur le site ladocumentation-francaise.fr
CATHERINE MACRI DIRECTRICE DE L’IFSI SAINT-ANTOINE À PARIS
« En Ifsi, la loi du 4 mars 2002 est notamment étudiée en 1re et 2e année, dans l’unité d’enseignement « législation, éthique, déontologie ». De nombreux thèmes sont étudiés dans ce module (concepts éthiques, responsabilité professionnelle, déontologie, principes fondamentaux du droit public et privé…). Par conséquent, la loi Kouchner n’est pas approfondie autant que le nécessiterait le contexte actuel. Cela dit, je pense qu’il faut considérer la formation infirmière comme une formation généraliste devant permettre de « répondre aux besoins de santé des personnes dans le cadre d’une pluriprofessionnalité », comme le prévoit le référentiel de formation. Aux étudiants, ensuite, d’enrichir leurs connaissances lors des stages, puis en tant que professionnels. Ainsi, la spécificité du service dans lequel une infirmière est affectée conduit-elle à actualiser et perfectionner ses acquis professionnels pour garantir une qualité de soins. Dans cet esprit, la formation continue prend tout son sens comme relais de la formation initiale. De fait, cela suppose un travail de collaboration étroit entre les directions des ressources humaines et les directions des soins. La responsabilité doit être partagée.
À l’occasion du 10e anniversaire de la loi du 4 mars 2002, deux colloques se sont tenus :
→ « La loi sur les droits des malades, 10 ans après », les 5 et 6 mars, à la faculté de droit de Malakoff, en partenariat avec le Collectif interassociatf sur la santé (Ciss).
→ « La participation des usagers dans les établissements de santé. Quelle évolution depuis 10 ans ? », organisé le 9 mars par l’Alliance nationale des associations en milieu de santé (Anams) – Auditorium de la Cité des sciences et de l’industrie à Paris.
Fournir aux personnes atteintes d’une maladie chronique leur dossier médical sur une clé USB sécurisée ; intégrer un représentant d’usagers dans l’équipe d’experts visiteurs en charge de la certification HAS ; organiser une large concertation avec les usagers du système de santé et les professionnels, de manière à établir un tableau de bord mesurant l’implication de l’établissement en matière de mise en œuvre et de respect des droits de la personne. Voilà quelques-unes des 115 propositions formulées dans « Bilan et propositions de réformes de la loi du 4 mars 2002 »
1– Téléchargeable sur le site ladocumentationfrancaise.fr
Chaque établissement de santé public et privé doit, depuis 2005, animer une commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (Cruqpc). L’objectif de cette instance, dans laquelle siègent, notamment, des représentants d’usagers, des médiateurs (un médecin et un non-médecin) et un représentant de l’établissement, est d’améliorer l’accueil et la prise en charge des usagers et de leurs proches. En outre, elle doit s’assurer du respect de leurs droits, faciliter et orienter les démarches de toute personne qui s’estime victime d’un préjudice du fait de l’activité de l’établissement. Elle informe sur les possibilités de recours et de conciliation, gracieux et juridictionnels que le patient peut entreprendre. La Cruqpc intervient notamment dans les domaines suivants : actes médicaux ; diagnostiques et/ou thérapeutiques ; actes de soins infirmiers ; organisation médicale et paramédicale de l’établissement ; information du patient (et/ou de ses proches) et consentement du patient ; respect de l’intimité et de la dignité ; respect de la vie privée et, principalement, respect du droit au secret médical et du droit à l’accès aux informations contenues dans les dossiers administratifs et médicaux.