ATELIERS EUROMÉDITERRANNÉE
ACTUALITÉ
DU CÔTÉ DES… ÉTABLISSEMENTS
Depuis le mois d’octobre, une artiste vidéaste et photographe se mêle à la vie du service de neurochirurgie de l’hôpital marseillais de la Timone. Une résidence qui suscite intérêt et interrogations.
Introduire une caméra ou un appareil photo dans un service hospitalier, cela n’a rien de nouveau. En revanche, lorsque l’initiative présente, de surcroît, une démarche artistique, les regards chavirent. Comment trouver l’inspiration à partir de blouses blanches, de seringues et de longs couloirs rectilignes ? Malgré le scepticisme que cela peut provoquer, Ymane Fakhir, vidéaste et photographe, a relevé le défi. Depuis le mois d’octobre dernier, à l’occasion des Ateliers de l’EuroMéditerranée 2013, l’artiste s’est en effet immiscée dans le service de neurochirurgie du Pr Régis, au CHU de la Timone à Marseille, et y poursuivra sa résidence jusqu’en mai 2012. À terme, ses travaux aboutiront à une exposition, dévoilée dans le cadre de l’Année européenne de la culture à Marseille, en 2013.
En cette matinée du mois de mars, Ymane Fakhir se fond dans le service. Vêtue de blanc, tout comme les infirmières, elle tâche de suivre leur activité, en toute discrétion. Aujourd’hui, l’équipe reçoit un arrivage de médicaments. Il faut compléter la pharmacie, vérifier les stocks et les dates de péremption.
Elles sont trois à s’affairer. Pour la vidéaste, c’est une aubaine. Armée de son boîtier photo (qui fait également office de caméra), elle pose son trépied, fait sa mise au point, et lance l’enregistrement. Si la présence d’Ymane Fakhir n’a suscité aucun rejet, elle a néanmoins interpellé les professionnelles. « C’était un peu bizarre au début, reconnaît l’une des infirmières. Mais Ymane a respecté une certaine pudeur. » Résultat : le personnel l’adopte, sans toujours comprendre l’objet de son travail. « Elle arrive à trouver un intérêt dans des choses qui nous paraissent tellement banales… », s’amuse Stéphanie, l’une des IDE de l’équipe. Et sa collègue, Isabelle, de citer l’exemple des séances de tampon : « On doit effectuer beaucoup de tâches administratives qui ne nous plaisent pas, et elle prend des photos pendant ce temps-là. » Détachée de toutes contraintes, l’artiste s’est, ainsi, focalisée sur les actes accomplis au quotidien par les professionnelles, et notamment sur les astuces qu’elles doivent parfois mettre en œuvre. « J’ai filmé leur façon de plier des draps pour les transformer en taies d’oreiller. Ces dernières manquent. Le procédé est ingénieux, et leurs gestes, très beaux », commente Ymane Fakhir. De l’avis de la cadre de santé, Juliette Suissa, « le regard que porte Ymane sur le monde infirmier est intéressant, en particulier concernant les aides-soignantes et les ASH. Car elle magnifie le mouvement. » Au travers de cadrages serrés, la vidéaste parvient à ne saisir que le geste, afin de le décontextualiser et de pousser son futur spectateur à s’interroger sur la scène qu’il contemple. Au-delà de l’aspect esthétique débusqué dans les petits rituels du quotidien, l’artiste tente d’ouvrir une discussion. « Je me suis intéressée aux protocoles, explique-t-elle. C’est ce qui m’a surprise dès mon arrivée. J’ai constaté que tout était protocole. Je voulais savoir où était la place de l’humain dans tout ça… »
« C’est très bien, commente en souriant Nathalie, infirmière au centre de la douleur chronique, rattaché au service de neurochirurgie. Elle nous pose des questions. Cela nous oblige à lui expliciter ce que nous faisons, les méthodes que nous utilisons et pourquoi nous les appliquons. C’est très riche : cela permet de réfléchir à nos pratiques. » Pas de jugement pour autant. L’artiste se contente d’ouvrir un débat. Entre les protocoles, les gestes effectués de façon machinale, et l’attention à l’humain, le dosage mérite, en effet, réflexion…