L'infirmière Magazine n° 298 du 01/04/2012

 

DOSSIER

Dans certains pays comme la Hollande ou l’Angleterre, par exemple, l’infirmier collabore directement avec le rhumatologue en réalisant l’évaluation/suivi de l’activité inflammatoire de la PR et du risque de comorbidités et en formant les patients à l’auto-évaluation du DAS 28 (Disease Activity Score).

Impliquer davantage les infirmiers : une nécessité

Les personnes atteintes de PR présentent un risque accru d’infections, de maladies cardio-vasculaires, de certains cancers (poumons, lymphomes) et d’ostéoporose. Ce « sur-risque » de comorbidités est la conséquence de la maladie elle-même mais aussi de certains traitements (cortisone et AI). Ces comorbidités impactent le pronostic et la qualité de vie des patients et pourraient être minimisées par l’optimisation du traitement fondée sur une évaluation au moins mensuelle du DAS en cas de maladie active, et au moins trimestrielle en cas de maladie silencieuse. Or, l’étude DUO(1) a récemment montré que 56 % des 522 patients suivis avaient un DAS supérieur à 3,2 et qu’en dépit des recommandations de la Ligue européenne contre le rhumatisme (Eular) et de la Société française de rhumatologie (SFR), une majorité d’entre eux n’avaient pas bénéficié d’une adaptation de leur traitement pour maîtriser l’évolution inflammatoire et son cortège potentiel de comorbidités.

« En pratique, commente le Pr Maxime Dougados, chef de service de rhumatologie de l’hôpital Cochin (AP-HP) et président d’Eular, faute de temps, la mesure régulière du DAS en consultation de rhumatologie (ndlr : pourtant recommandée par les sociétés savantes pour dépister et prévenir les maladies associées aux rhumatismes inflammatoires chroniques) est loin d’être systématique, et cela risque de s’aggraver avec la baisse d’au moins 30 % du nombre de rhumatologues à l’horizon 2013. »(2)

Par ailleurs, les spécialistes constatent que l’observance du traitement de fond destiné à prévenir l’aggravation de la maladie est souvent négligée car une fois les symptômes contrôlés, les patients n’en perçoivent pas l’utilité. « D’où l’idée, à l’instar de ce qui se pratique dans d’autres pays, d’impliquer davantage l’infirmière dans l’évaluation régulière de l’activité de la PR, la détection des comorbidités et la formation des patients à l’auto-évaluation du DAS. » Cela permettrait d’adapter immédiatement le traitement, d’améliorer le pronostic et la qualité de vie des malades et d’anticiper les effets prévisibles de l’évolution démographique des spécialistes en rhumatologie.

Comedra : passer de la nécessité à la réalité

Faisant un parallèle avec le traitement du diabète ou de l’hypertension dont l’HBA1c et la pression artérielle sont fréquemment contrôlées, le Pr Dougados souligne l’importance d’une mesure régulière du niveau d’inflammation de la PR(3). Mais, pour que ces mesures soient mises en œuvre, il faut que les autorités en reconnaissent l’utilité et acceptent d’y consacrer les moyens nécessaires, humains et financiers. C’est la raison pour laquelle un protocole de recherche clinique (PHRC) national, Comedra (COMorbidities Education Rheumatoid Arthritis), a été lancé en janvier 2011 par l’AP-HP. Cette étude prospective, randomisée, contrôlée, est conduite dans 20 centres répartis sur toute la France. Elle inclut quelque 1 000 patients souffrant de PR en situation stable sous traitement de fond depuis au moins 3 mois. Dans la majorité des centres investigateurs, les consultations sont assurées par au moins une infirmière de recherche clinique et/ou une infirmière non spécialisée. À ce jour, tous les patients recrutés par les rhumatologues ont été randomisés et vus en consultation dans l’un des deux bras de l’étude : « auto-évaluation de l’activité de la maladie » ou « comorbidités ». Chaque patient bénéficie alternativement des deux consultations à 6 mois d’intervalle, mais seule l’évaluation de la première consultation entre dans l’étude. Au terme de celle-ci, tous les patients sont vus en consultation afin de déterminer le nombre de malades chez lesquels le traitement de la PR a été modifié durant l’étude (groupe « auto-évaluation ») et ceux pour lesquels un traitement a été initié et/ou une investigation menée suite à la détection d’une comorbidité.

« Avec deux collègues, nous avons pris en charge 136 patients de l’étude, explique Maryse Mézières, infirmière de recherche clinique à l’hôpital Cochin. Pour la formation au DAS, nous devons apprendre à chaque patient à compter le nombre de ses articulations douloureuses et gonflées (synovite). Il visionne ensuite un CD-Rom illustrant la technique de palpation, réalise lui-même son examen sous notre contrôle, remplit le formulaire permettant de calculer le DAS et rentre les éléments dans une calculette. Le résultat affiché sert de référence par rapport aux mesures qui seront ensuite réalisées par le patient chaque mois, chez lui, pendant 6 mois. » Pour le rhumatologue, qui voit le patient à distance, c’est une source d’informations précieuses pour mieux ajuster sa prescription. L’évaluation des comorbidités est réalisée à partir d’une check-list basée sur les recommandations de la SFR concernant les quatre grandes familles de pathologies à risque. « Nous recueillons les informations sur les antécédents personnels et familiaux, l’historique de la maladie, tous les traitements, les doses de corticoïdes, les résultats des examens biologiques (cholestérol, vitamine D, fonction rénale…), les vaccinations, le suivi dentaire, la tension, la consommation quotidienne de calcium… Ce qui prend beaucoup de temps lorsque la maladie évolue depuis longtemps. Un vrai travail de fourmi », souligne Maryse Mézières. Après la consultation, l’infirmière établit un compte rendu et programme le rendez-vous d’évaluation à 6 mois.

Un partenariat soignant/patient

L’infirmière, par son « approche artisane, plus méthodique que celle du médecin » constitue le maillon clé pour former le patient à l’autosurveillance de son inflammation, mais aussi pour l’impliquer de façon active dans son traitement. « Globalement, observent les infirmières, les patients suivent les consignes pour la mesure du DAS mais n’ont pas toujours le réflexe de montrer les résultats à leur médecin. Cela atteste de l’intérêt de l’autoévaluation par le patient à la condition d’instaurer un réel partenariat médecin-patient pour en tirer profit. Quant aux comorbidités, nous avons détecté beaucoup de manquements au niveau des vaccinations et de la prévention primaire des cancers au-delà de 50 ans ainsi que des risques cardio-vasculaires. » Un travail très intéressant et valorisant pour les infirmières, mais si l’étude est concluante (les résultats seront annoncés au Congrès européen de rhumatologie 2013), il conviendra que les autorités se prononcent sur la formation des infirmières et la reconnaissance statutaire et financière de cette nouvelle fonction.

1- « Activité et sévérité de la polyarthrite rhumatoïde en France en 2009 : résultats de l’analyse de 522 patients ». M. Dougados, B. Falissard, G. Martineau, S. Rouanet, H. Nataf.

2– Communiqué de presse, Roche, 28 avril 2011.

3– Dossier de presse Comedra : www.frequen-cem.com/pdf/-Dossier_Comedra_-28_avril_2011.pdf

EN PRATIQUE

La mesure du « DAS 28 »

Selon les recommandations de la Ligue européenne contre le rhumatisme (Eular), l’index composite DAS 28 (Disease Activity Score pour 28 articulations) permet de fournir une évaluation objective de l’activité de la PR, préférable à des critères subjectifs pour adapter le traitement.

→ Le DAS prend en compte quatre paramètres :

– le nombre d’articulations gonflées (sur 28) ;

– le nombre d’articulations douloureuses (sur 28) ;

– l’appréciation globale, faite par le patient, de son état et de l’activité de sa maladie matérialisée sur une échelle visuelle analogique de 0 à 100 (100 étant le plus haut niveau de gravité) ;

– la vitesse de sédimentation globulaire à la première heure (marqueur biologique d’inflammation).

→ Interprétation des résultats :

TÉMOIGNAGES

Quels bénéfices pour les patients ?

Jean D. a intégré l’étude Comedra en mars 2011 dans le groupe « auto-évaluation de l’activité de la maladie ». Atteint de polyarthrite rhumatoïde depuis vingt ans, il livre ses impressions sur ce que lui a apporté cette expérience : « Bien que souffrant de PR depuis longtemps, je n’avais jamais pris conscience de l’importance du DAS pour le suivi de ma maladie. C’est un outil très utile pour objectiver l’évolution de la maladie entre deux consultations et prendre une part active dans sa prise en charge. Pour renseigner l’ensemble des critères, il faut 15 à 20 minutes. Si le critère “gonflement des articulations” est facile à apprécier, le nombre d’articulations douloureuses est plus difficile à renseigner car la douleur varie selon le mode de palpation des articulations et l’état des mains. Parfois, il est nécessaire d’associer une tierce personne pour réaliser l’examen dans son intégralité. » Pour le patient, cette collaboration présente l’avantage de faire prendre conscience de sa souffrance à son entourage, d’ouvrir le dialogue et de le sortir de sa solitude.

Mesurer le risque

Pierre M. a, quant à lui, été intégré dans le groupe « comorbidités ». L’entretien avec l’infirmière a révélé un risque cardio-vasculaire dû, notamment, à des années de tabagisme (score de Framingham 38 %), une petite surcharge pondérale, un risque d’ostéoporose (prise de cortisone) et la nécessité d’un suivi dentaire plus systématique. Un dépistage du cancer colorectal et un toucher rectal en vue d’examiner sa prostate lui ont par ailleurs été conseillés. « Cela fait réfléchir… Le fait de mesurer le risque permet d’en prendre vraiment conscience et d’agir en prévention », explique t-il. CQFD !