L'infirmière Magazine n° 298 du 01/04/2012

 

PROFESSION INFIRMIÈRE

RÉFLEXION

De plus en plus d’établissements de santé connaissent des difficultés de recrutement et de fidélisation des professionnels infirmiers. Des pistes d’action(1) existent pourtant pour améliorer les conditions d’exercice et attirer les recrues.

Année après année, se succèdent les enquêtes qui détaillent les difficultés rencontrées par le personnel infirmier. Les conséquences sont connues : faible attractivité du métier, abandon durant les études, insatisfaction au travail, nomadisme, augmentation des taux d’absence, épuisement professionnel, risque d’erreurs, interruption ou arrêt définitif de carrière… Plus de 20 000 postes sont vacants, les difficultés à recruter sont importantes ; de nombreux services fonctionnent avec des effectifs insuffisants. Au-delà de la profession infirmière, c’est bien la qualité des soins qui est impactée. Les enjeux sont donc essentiels, facilement lisibles et auraient dû, en toute logique, entraîner des politiques spécifiques. Pourtant, les nombreuses réformes appliquées à l’hôpital depuis dix ans n’ont peu ou pas pris en compte ces questions. À l’inverse, la réforme LMD, positive par certains aspects, a allongé les durées de carrière sans traiter de la pénibilité, et celle des retraites a précipité, en 2011, le départ des hôpitaux publics de plusieurs milliers d’infirmières expérimentées. Ainsi, dans un contexte de besoins croissants (vieillissement de la population, augmentation massive des maladies chroniques et baisse du temps médical disponible), la question « conditions d’exercice/attractivité » de la profession infirmière est cruciale.

Les conditions d’exercice : un sujet délicat

En France, le thème des « conditions de travail » est un sujet idéologique et clivant : il renvoie souvent dos à dos et de façon caricaturale des directions qui seraient, au mieux, inefficientes, au pire maltraitantes, et des employés absentéistes, plaintifs ou de mauvaise foi.

Aborder l’organisation du travail, c’est observer le rôle de chaque acteur (soignant, prescripteur, cadre, directeur, personnel technique et administratif…) et envisager des changements, lesquels génèrent habituellement des réactions de blocage : par principe, par incompréhension, ou encore par fatigue et incapacité à prendre du recul.

Les moyens financiers consacrés à l’amélioration des conditions d’exercice sont d’autant plus faibles que la visibilité sur le résultat à moyen terme est médiocre : des études « coût/bénéfice » manquent cruellement. Combien coûte une politique de diminution de la sinistralité ? Quelles économies permettraient une baisse du taux d’absence ? Combien coûte la non-qualité des soins ? Et que faut-il, alors, investir pour améliorer, par exemple, la prise en charge des personnes âgées hospitalisées ? Au-delà de la satisfaction d’un travail de qualité, quel bénéfice financier attendre d’une diminution du nombre d’escarres ou de stratégies plus actives de maintien de l’autonomie ? Enfin, se saisir de cette question engage à une obligation de résultats : un établissement qui ouvre ce débat doit présenter des progrès objectivables…, pour un sujet qui se vit aussi dans le ressenti de chacun. Différentes instances portent officiellement la réflexion : les agences régionales de santé, la Haute Autorité de santé, qui, depuis 2010, a fait de la question « qualité de vie au travail et qualité des soins » un axe prioritaire de son action ; des indicateurs spécifiques sont intégrés dans les outils de certification, et l’Anap développe des outils de support au management.

Une nécessaire mise à plat de l’existant

Cette démarche a pour objectif de faire des « conditions de travail » un sujet de réflexion plutôt que de tension.

Au niveau local, il faut créer une dynamique et procéder à un état des lieux dans chaque établissement. La mobilisation des compétences nécessaires, en interne ou avec des prestataires extérieurs, au sein d’un « comité de pilotage » soutenu par la direction et pourvu de moyens réels en temps comme en espace de travail doit absolument offrir une visibilité du processus. Ce comité aura pour tâche de mettre en place les outils nécessaires au recueil des données dans chaque service : réunions, questionnaires… L’analyse doit porter sur l’adéquation des moyens entre les fonctions médicales et paramédicales, sur la charge de travail et sa variabilité, sur l’ergonomie des locaux, sur l’organisation et la disponibilité de fonctions supports. Ce travail de mise à plat identifiera des acquis, des axes d’amélioration ou des dysfonctionnements ; il permettra, pour les points les plus simples, de chercher les réponses adaptées, et, pour des questions plus complexes, d’ouvrir le débat sur de possibles réorganisations. En offrant des éléments de comparaison par spécialité, cette démarche peut permettre de définir des fourchettes de personnels et de réaffecter des ressources : en 2009, la Cour des comptes notait des rapports de 1 à 5 en termes d’effectifs pour des services pourtant comparables. Il est fondamental de donner à l’ensemble des acteurs un retour sur les questions traitées, les décisions prises, les dynamiques en cours et les délais de réponse. L’objectif est aussi de déconstruire une « culture de la plainte », qui se nourrit, à l’hôpital, des problèmes signalés et non résolus.

Des propositions concrètes

Les axes d’amélioration des conditions d’exercice sont déjà connus. Nous en rappellerons ici les principaux points :

– diminuer la pénibilité physique et psychologique ;

– renforcer les possibilités de remplacement en cas d’absence (équipe interne de suppléance), réduire le rappel « inopiné » des professionnels en repos ou en congés ;

– développer des fonctions déchargeant les professionnels de tâches administratives et logistiques ;

– renforcer les collectifs de travail par des temps accrus de transmission, d’échange, de concertation, d’analyse de pratiques ;

– mettre en place des structures de soutien : groupe de parole, cellule téléphonique… ;

– développer des stratégies de diminution de l’exposition à la violence, mieux accompagner les victimes ;

– développer les fonctions de tutorat, améliorer l’accompagnement à la prise de poste, l’acquisition des gestes et techniques spécifiques ;

– rendre l’encadrement de proximité plus disponible, accompagner les agents en difficulté, recadrer les éléments au comportement négatif ;

– développer une « culture positive » de l’erreur, qui permet, en travaillant sur ses causes, de diminuer le risque de répétition ;

– objectiver les actions efficaces de diminution des taux d’absence (aménagements provisoires pour les retours d’accidentés du travail, diminution des manutentions pour les personnels plus âgés…) ;

– renforcer tous les dispositifs facilitants : stationnement, places en crèche, aide au logement… ;

– renforcer la politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, dont les politiques de formation ;

– développer une spécialisation « Établissement de santé » pour les infirmières de santé au travail ;

– organiser un suivi régulier au travers d’enquêtes de satisfaction.

Par ricochet, l’amélioration attendue doit aussi permettre un meilleur encadrement des étudiants, autre priorité quand le taux d’échec et d’abandon durant les études est de l’ordre de 30 %. Ce facteur est une des causes de la tension démographique : un quota de 30 000 entrants, qui donne à peine plus de 20 000 diplômés, répond insuffisamment au volume de départs en retraite à venir. Enfin, il ne faut pas négliger la faiblesse historique de la représentation de la profession : le taux de syndicalisation est très faible, l’ordre infirmier est, à ce jour, inaudible, et les professionnels objectivement divisés entre généralistes et spécialistes, public et privé, établissements et ville…

Forte de ses 500 000 membres, la profession infirmière doit s’organiser pour devenir actrice de ses conditions d’exercice et ne plus se résigner à les subir, parfois jusqu’à épuisement. « L’avenir est ce que vous faites maintenant », disait Gandhi. Ce cercle vicieux « pénibilité/manque d’attractivité » appelle de toute urgence une réponse spécifique et la mobilisation de tous les acteurs au service d’une politique de bientraitance qui concerne, en définitive, l’ensemble des professionnels du système de santé, donc l’ensemble de ses usagers.

1– Mémoire sur « L’amélioration des conditions d’exercice des infirmiers à l’hôpital public : un enjeu pour la profession et l’évolution du système de santé. », Vincent Kaufmann, Sciences po Paris.

VINCENT KAUFMANN

INFIRMIER

→ Diplôme d’IDE en 1993.

→ De 1993 à 1996, il exerce en réanimation neuro-chirurgicale à l’hôpital Lariboisière.

→ En 1996, il accomplit deux missions à MSF.

→ 1996-2001 : Service d’accueil des urgences à l’hôpital Lariboisière.

→ 2001-2006 : Chargé de ressources humaines et de recrutement à MSF.

→ Responsable d’un SSIAD de 2006-2011

→ Master « Gestion et politiques de santé », Sciences po Paris. Promotion 2009/2010.

→ Depuis décembre 2011 : chargé de mission & développement à la Fondation hospitalière Sainte-Marie.

EN SAVOIR PLUS

→ « Santé et satisfaction des soignants au travail en France et en Europe », Dr Estryn-Behar, Presses de l’EHESP, 2008.

→ « Analyse et conjoncture, absence au travail pour raisons de santé dans les établissements hospitaliers », enquêtes annuelles Dexia Sofcah.

→ « Enquête sur les conditions de travail », fédération santé sociaux CFDT, 2011.

→ « Enquête sur les conditions d’exercice des managers de santé », SMPS, 2011.

→ Bilans annuels de l’Observatoire national de la violence en milieu hospitalier.