DIABÈTE
SUR LE TERRAIN
INITIATIVE
Forte d’une expérience hospitalière remarquée, l’équipe de l’association Guadedukas s’est engagée dans la promotion de l’éducation thérapeutique, développant des outils adaptés à un terrain d’action – les Antilles françaises.
An nou fè on ti kosé si dyabèt ! » « Causons un peu du diabète ! » La pancarte – petite histoire imagée – est épinglée sur l’un des murs de l’Unité d’éducation thérapeutique (UET) pour personnes diabétiques du Centre hospitalier de Basse-Terre, capitale régionale de la Guadeloupe. Interpeller, éveiller l’attention des patients, et, pour cela, parler à chacun avec ses mots, faire écho à son histoire, à sa culture, à sa terre… Afin que chacun puisse véritablement apprendre à gérer sa vie avec la maladie. L’équipe des lieux, fondatrice de l’association Guadedukas, en est persuadée : parce que la Guadeloupe, ce n’est pas la métropole, il est nécessaire de développer des outils adaptés, prenant en compte les réalités antillaises. La démarche a été primée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Une reconnaissance qui a incité Élisabeth Félicie-Dellan, médecin, Ludmillia Cognon, psychologue, et Alex Nabis, consultant en actions culturelles et collaborateur de l’UET, à créer une association visant à former d’autres soignants de l’archipel à l’éducation thérapeutique.
Impossible, donc, d’évoquer Guadedukas sans parler de l’UET. L’histoire de la jeune association, fondée officiellement en 2009, se lit en effet comme le prolongement du vécu de l’unité hospitalière. Au départ, il y a une femme, Élisabeth Félicie-Dellan, diabéto-endocrinologue, qui, en 1997, obtient un poste à Basse-Terre. Retour en terre natale après des études en métropole. Au bout d’un an, son constat est amer : elle est désarmée pour accompagner ses patients dans la gestion de leur maladie. « Les études de médecine n’y préparent pas, et, à l’époque, les équipes soignantes sont rarement mieux armées », constate-t-elle. Le manque est d’autant plus cruel que la Guadeloupe, comme d’ailleurs l’ensemble des DOM-TOM, est particulièrement touchée par la maladie : le taux de prévalence du diabète y est deux fois supérieur à la moyenne nationale. Il est estimé, en 2009, à 8,1 %, contre 4,4 % pour l’ensemble de la population française.
La jeune praticienne prend alors le taureau par les cornes. Elle s’inscrit en alternance au master international d’éducation thérapeutique de l’Université de Genève, créé par Jean-Philippe Assal, pionnier dans le domaine. Et, sitôt diplômée, s’attèle, avec Ludmillia Cognon, à la création d’une unité d’éducation thérapeutique pour diabétiques. La structure, unique dans les Antilles françaises, ouvre en 2004, dotée d’une équipe formée par les deux pionnières – trois infirmières, deux aides-soignantes, une ASH, une diététicienne et une secrétaire. L’UET fonctionne sur le mode de l’hospitalisation à temps plein, accueillant huit patients par semaine. « Cela nous permet d’accompagner les patients dans tous les moments clés de leur quotidien… Et sur un temps souvent suffisamment long pour que ce qui a été évoqué en journée ne s’envole pas sitôt le soir venu », souligne Viviane, infirmière.
Très motivée, l’UET fourbit ses premières armes. Et, très vite, fait un constat lucide : elle manque d’outils adaptés pour répondre au vécu des patients recueillis. « En Guadeloupe, les brochures dont nous inondent les labos ne servent à rien, et même les outils que nous avions pu grappiller ici et là restaient inefficaces car trop généraux. Il nous manquait un point d’ancrage essentiel : la prise en compte des réalités socio-culturelles guadeloupéennes, », commente Élisabeth Félicie-Dellan. Comment voulez-vous expliquer à un patient qu’en mangeant trop de bananes, il mange trop de sucre, si vous ne savez pas qu’ici, banane se dit “légume pays” ?, interroge-t-elle. Il faut donc lui apprendre que la banane n’est pas un légume mais un fruit gorgé de sucre ! Comment amener le patient à s’armer pour gérer sa maladie si vous ne comprenez pas que, bardé de croyances populaires, il pense que ce n’est pas lui qui est malade, mais le sucre en lui qui est malade ? »
Cherchant quelqu’un pour mettre en scène le vécu de ses patients, l’UET fait, en 2006, la rencontre d’Alex Nabis, consultant en actions culturelles. Cet ancien de la formation pour adultes est séduit par le concept de patient-acteur de sa maladie. L’équipe de l’UET est elle-même séduite par ce professionnel de l’animation. « L’animation – le mot même est cité par l’OMS comme élément d’éducation thérapeutique, note Élisabeth Félicie Dellan. Mais cela n’a rien d’évident pour un soignant, même bien formé. Gérer un public hétérogène, l’interpeller de façon ludique…, cela demande des compétences bien spécifiques, et de l’expérience ! » Pas de confusion des rôles dans ce partenariat. « Je suis consultant, pas soignant. Simplement là pour aider l’équipe à créer les outils de sa pratique, bref, à mettre en forme ce qu’elle a elle-même perçu », précise Alex Nabis. Saynètes de théâtre, support de conte et de BD, jeux de mots à partir des proverbes de l’île, emploi mêlé du créole et du français, apprentissage par le jeu… Les outils développés à l’UET puisent leur pertinence dans le constant souci de ne pas oublier ceux à qui ils s’adressent. « Or, quoi de mieux, pour vraiment entrer en contact avec quelqu’un, que de faire appel à ses racines ? Et à son quotidien », souligne Alex Nabis. Alors, il ne faut pas oublier qu’ici, la langue du quotidien, celle des sentiments, c’est le créole ; que les croyances magico-religieuses n’appartiennent pas qu’au passé ; qu’au contraire, les remèdes des guérisseurs traditionnels, « quimboiseurs » ou « gadé zafé », restent souvent lettre d’or. On ne doit pas oublier non plus que 12,5 % de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, et que l’illettrisme touche 20 % de la population. « Ce qui impose de travailler sur comment faire son marché avec peu plutôt que de parler d’interdits. Et d’avancer par le biais du jeu, de l’image, de l’histoire… », continue le consultant.
Pionnière, la démarche de l’UET est remarquée par l’OMS, qui l’évalue et lui décerne, en juillet 2008, le label de « structure pilote ». « Une reconnaissance qui nous a donné l’envie d’aller plus loin », dit Élisabeth Félicie-Dellan. L’association fait ses premiers pas, elle développe des formations en Ifsi ; crée un site Internet ; diffuse des livrets pédagogiques ; met en place un DU en éducation thérapeutique à l’université Antilles-Guyane… Des actions toujours mises en œuvre avec la volonté de s’inscrire dans le vécu local. Ainsi du DU : la deuxième année de l’apprentissage consiste à développer un projet, que Guadedukas veille à accompagner. « Ce peut être aider à négocier avec des tutelles, aider à trouver des financements… C’est essentiel ! Car agir seul est souvent décourageant. Les incitations officielles à prendre en main de tels projets se heurtent aux incitations non moins pressantes à faire des économies ! », souligne le médecin. La première promotion du DU est tout juste diplômée – 22 personnes, dont six Martiniquais, médecins et paramédicaux, qui, à leur tour, pourront essaimer. Le vœu de Guadedukas transparaît dans une autre de ses réalisations : les formations sur site. « Accompagner les équipes porteuses de projet dans le temps et sur leur lieu de travail est particulièrement riche, analyse Ludmillia Collon, car cela permet de donner cohérence et cohésion au projet. Cela fait aussi écho au fait que l’éducation thérapeutique opère rarement si l’on est seul. C’est un projet dans lequel toute une équipe doit s’engager. » Guadedukas suit, ainsi, l’équipe du Centre de lutte contre la drépanocytose du CHU de Pointe-à-Pitre. Tout comme elle a guidé celle de la polyclinique de l’île de Marie-Galante dans son projet de création d’UET pour patients souffrant de diabète, d’obésité et d’hypertension. Premier pari réussi : leur établissement a ouvert l’été dernier.
VIVIANE INFIRMIÈRE
« En Guadeloupe, la prévalence du pied diabétique et des risques d’amputation qui s’ensuivent est toujours très forte. Comme le dit Alex Nabis, ici, quand les gens en parlent, ils disent “bobo baie”, ce qui signifie littéralement “la plaie qui ne se guérit pas”, comme résultat d’un mauvais sort.
D’où l’importance de notre “péditable” ! Un outil aux airs de jeu de société – un jeu de questions-réponses autour d’une grande roue, présentant l’histoire d’un personnage, Agénor. Un jeu où dessins, photos et usage du créole et du français permettent à chacun d’entrer d’une façon ou d’une autre dans l’apprentissage. »