L'infirmière Magazine n° 299 du 15/05/2012

 

FORMATION CONTINUE

POINT SUR

La consommation d’héroïne induit dépendance et marginalisation. Un accès aux traitements de substitution opiacée (TSO) – buprénorphine, méthadone – peut améliorer la (ré) insertion des héroïnomanes dans le cadre du développement d’une politique de réduction des risques liés à l’usage des drogues.

Les traitements de substitution aux opiacés (TSO) constituent un acte thérapeutique global dont le pivot est l’« alliance » thérapeutique réalisée entre le patient et son médecin référent. Les médicaments de substitution opiacée (MSO) (buprénorphine et méthadone) sont, dans ce contexte, des outils parmi d’autres des TSO destinés à des usagers d’héroïne, à considérer comme des patients, non comme des délinquants (voir Plan quinquennal « Addictions » 2007-2011).

Un outil de régulation de la dépendance

Le traitement de substitution opiacée (TSO) (dit de « maintenance ») constitue un outil global de régulation de la dépendance. Il permet, en effet, de proposer au toxicomane, au-delà de l’opioïde se substituant à la drogue (divers types de « substitutions » : drogue/médicament, effet renforçant ou non, légal ou non, coûteux/gratuit ou remboursé, frelaté/pur, voie injectable ou non, dealers/réseau de professionnels de santé…), un suivi éducatif, psychologique et social.

→ Les objectifs du TSO sont identiques à ceux de la buprénorphine ou de la méthadone : il limite la morbidité (réduction des complications infectieuses, amélioration des grossesses, meilleur accès aux soins) et la mortalité (par intoxication aiguë) liées à la toxicomanie. La prescription d’autres psychotropes peut être nécessaire pour traiter des troubles du sommeil, des troubles de l’humeur et des troubles anxieux.

Le TSO n’est pas suffisant par lui-même, et les meilleurs résultats sont obtenus en associant substitution pharmacologique, psychothérapie, thérapie familiale et travail d’insertion.

Ce traitement est poursuivi aussi longtemps que nécessaire – voire indéfiniment. Pour autant, un sevrage progressif peut finir par être réalisé, sur demande du patient, lorsqu’un arrêt durable (> 1 an) de la consommation d’opiacés illicite a pu être obtenu et qu’une évolution psychologique suffisante s’est opérée.

→ La substitution opiacée a eu un impact extrêmement positif à divers niveaux : réduction du nombre de décès par intoxication morphinique aiguë (505 décès en 1994, 23 en 2005) ; réduction du nombre d’infractions à la législation sur les stupéfiants… Surtout, les usagers de drogues injectables, qui représentaient 27 % des nouveaux cas de contamination par le VIH en 1992, n’en représentent plus que 3 % dix ans plus tard.

Substitution par buprénorphine

→ La buprénorphine haut dosage (BHD) s’administre par voie sublinguale, en une prise journalière, à la posologie initiale de 0,8 à 4 mg/j, en commençant au moins 24 heures après la dernière administration d’héroïne. Atteinte progressivement, la dose d’entretien est comprise entre 8 et 16 mg/j. Les doses efficaces se situent entre 16 et 24 mg/j (voire plus). Il importe de vérifier que l’usage du médicament est correct (comprimé mis à fondre sous la langue huit à dix minutes, sans le sucer ni avaler la salive, malgré son amertume) avant de conclure à l’insuffisance de la posologie, que caractérisent des signes de sous-dosage souvent discrets (manque de dynamisme, état anxio-dépressif, irritabilité, troubles du sommeil, signes de manque). Il est possible de passer de la BHD à la méthadone si besoin, en diminuant la dose et en ménageant un intervalle libre d’environ 16 heures.

→ La buprénorphine est moins toxique que la méthadone (moindre risque de dépression respiratoire, moindre sensation d’euphorie, lorsqu’elle est administrée isolément, par voie sublingale, aux doses préconisées), mais elle doit être utilisée avec précaution chez le sujet insuffisant respiratoire, hépatique ou rénal. Son administration peut induire constipation, maux de tête, troubles du sommeil, nausées et vomissements, sueurs.

→ L’association BHD/naloxone (Suboxone 8/2 mg) s’utilise comme la buprénorphine. La naloxone, un antagoniste opiacé, prévient l’usage détourné de la BHD : elle n’est pas absorbée par voie orale, mais, en cas d’injection, elle provoque un syndrome de sevrage aigu (douleurs abdominales, douleurs musculaires, diarrhées, anxiété, sueurs) dissuasif.

Substitution par méthadone

La méthadone est pharmacologiquement voisine de l’héroïne. Le traitement est institué à une dose de 10 à 40 mg dans un délai de 24 heures environ après la dernière prise d’héroïne ; la posologie d’entretien est atteinte par paliers successifs de 1 à 3 jours jusqu’à une dose comprise entre 60 et 100 mg/jour – parfois bien supérieure.

→ L’administration entraîne les effets indésirables classiques des morphiniques : constipation, hypersudation, insomnie, diminution de la libido, troubles de l’alimentation. Certains effets (rétention urinaire, œdème des membres inférieurs, arthralgie, bradycardie, hypotension, nausées et vomissements) cèdent dans les premiers mois du traitement. La méthadone donne lieu à de nombreuses interactions médicamenteuses. Une grande prudence s’impose donc lors de l’instauration du traitement, qui requiert un suivi régulier. Des analyses urinaires sont pratiquées une à deux fois par semaine pendant les trois premiers mois, puis deux fois par mois. La recherche porte sur la méthadone, les opioïdes, l’alcool, la cocaïne, les amphétamines, le cannabis et le LSD, selon les besoins.

→ L’arrêt du traitement est pratiqué en réduisant les doses par paliers hebdomadaires de 5 à 10 mg, avec, souvent, nécessité de les réaugmenter si le patient est angoissé ou s’il rechute. L’abus de méthadone expose à une intoxication aiguë plus grave que celle décrite avec l’héroïne ou avec la buprénorphine. Elle survient pour une dose orale de 50 mg chez un sujet non accoutumé. De plus, administrée à une posologie excédant 120 mg/j ou chez les patients présentant des facteurs de risque spécifiques (antécédents congénitaux ou acquis, antécédents familiaux de mort subite, pathologie cardiaque évoluée, association à certains antiarythmiques, antipsychotiques…), la méthadone peut induire un allongement de l’intervalle QT et des torsades de pointe. C’est un stupéfiant dont la prescription et la dispensation sont particulièrement encadrées, qu’il s’agisse du sirop (prescription initiale faite par un addictologue ou un médecin hospitalier, renouvellement possible par un médecin de ville) ou des gélules (prescription initiale semestrielle par un addictologue en relais de la forme sirop chez des patients équilibrés). Même s’ils restent rares, les détournements sont possibles.

DÉTOURNEMENT DE LA BHD

Un problème de santé publique

→ La population des patients sous BHD est d’environ 850 000 personnes (pour 23 000 sous méthadone) dont 95-97 % y recourent dans un contexte médical. Toutefois, les détournements s’intensifient et elle donne lieu à un véritable trafic. L’injection IV des comprimés broyés concerne jusqu’à 30 % des usagers – et environ 17 % d’entre eux « snifferaient » les comprimés écrasés. Outre un risque de contamination microbienne, elle accentue le risque de dépression respiratoire, particulièrement en cas d’association à l’alcool ou aux benzodiazépines, et expose à des atteintes hépatiques. Les excipients injectés sont à l’origine de complications locales sévères (abcès nécrotiques, phlegmons, thromboses veineuses).

→ L’Afssaps renouvelle régulièrement ses recommandations pour limiter le risque de détournement : suivi médical régulier des patients ; adaptation posologique pour prévenir toute manifestation de manque d’héroïne ; dispensation fractionnée du médicament par un pharmacien référent ; information sur les dangers de l’usage détourné de ce produit ; soutien psychologique des patients ; insertion dans un réseau.

→ La BHD est, depuis peu, soumise à la législation sur les stupéfiants (arrêté du 9 mars 2012) ; sa prescription est possible par tout médecin.

Grossesse et TSO

L’héroïnomanie pendant la grossesse est à l’origine de prématurité, voire de mort in utero. La prescription d’un TSO est possible chez la future maman. Un syndrome de sevrage se manifeste par des atteintes neurologiques (instabilité, hyperexcitabilité, cris, troubles du sommeil), des troubles respiratoires et des troubles digestifs (diarrhée avec déshydratation, troubles de la succion). La faible passage des TSO dans le lait ne contre-indique pas l’allaitement.