L'infirmière Magazine n° 301 du 15/05/2012

 

JAPON

ACTUALITÉ

Après l’urgence, au lendemain de la catastrophe nucléaire de Fukushima, le rôle essentiel des soignants est de rassurer les habitants, qui vivent dans la crainte des radiations.

Le 11 mars 2011, après un séisme de force 9 et un raz-de-marée qui ont dévasté près de 400 kilomètres de côtes et de nombreuses villes, le Japon doit faire face à la plus grave catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl. La centrale de Fukushima-Daiichi, endommagée, libère de fortes doses d’iodine et de caesium radioactifs, conduisant les autorités à évacuer 60 000 personnes. « Le gouvernement japonais a déterminé une zone d’évacuation de 20 kilomètres de rayon autour de la centrale », explique le Dr Tetsuhito Fukushima, professeur de médecine préventive à l’université de Fukushima, lors du congrès de la Commission internationale de la santé au travail, qui s’est tenu à Cancun (Mexique) du 17 au 23 mars derniers.

Traitements d’urgence

Au lendemain de la catastrophe, « la préfecture de Fukushima a fait appel aux spécialistes en risques des radiations des universités de Nagasaki et de Hiroshima et a organisé des conférences », poursuit le spécialiste. Objectif : informer les professionnels de santé des zones d’évacuation, ainsi que les hôpitaux et les services de santé publique des municipalités touchées.

Dans la ville de Fukushima, les soignants, aux côtés des techniciens de radiologie clinique et des experts en biologie des radiations de l’hôpital universitaire de Nagasaki, ont traité dès le 14 mars les contaminations urgentes. « Des médecins et des infirmières de tout le pays – Isumo, Kyoto, Shiga… – ont été envoyés dans les zones critiques, comme Minami Soma(1) », précise le Dr Fukushima, tandis que les professionnels de santé publique des villes proches de la centrale se chargeaient des habitants de leur secteur. Aidées des spécialistes des universités de Fukushima et de Nagasaki, les infirmières ont donné des consultations pour les personnes âgées et alitées, encore à leur domicile ou déjà évacuées. Un éventuel traitement à l’iode pouvait être donné juste après le drame, pour éviter le développement de cancers de la thyroïde. « Mais il était difficile de dire, d’un point de vue scientifique, si donner de l’iode était, à ce stade, efficace et souhaitable, s’interroge le médecin. Car les effets secondaires ne sont pas négligeables. Certains médecins ou municipalités en ont donné, d’autre non. »

Dans les secteurs dont l’évacuation n’avait pas été ordonnée, de nombreux habitants ayant perdu des proches, parfois sans emploi, sans toit, réfugiés dans des camps ou des logements provisoires, obligés de rationner leur nourriture et craignant pour leur santé, ont fait le choix de partir.

Troubles anxieux

Ceux qui restent vivent dans l’angoisse, redoutant le développement de cancers et de malformations chez les nouveau-nés. « Une part importante de la population présente de forts troubles anxieux ou dépressifs. De nombreuxes personnes se sont mises à boire beaucoup d’alcool, ce qui provoque des atteintes hépatiques », expose le Dr Fukushima. Le rôle des infirmières est alors de favoriser une meilleure compréhension des informations sur la radioactivité, qui génèrent de vives inquiétudes. Après la catastrophe, près de 70 000 personnes vivant dans les zones non évacuées ont été exposées à des doses de 10 millisieverts(2) par an, dépassant de dix fois la limite préventive maximale fixée au Japon avant le séisme, relevée à 20 mSv depuis. Mais les doses individuelles mesurées, de 0,08 à 1,64 µSv par heure, sont bien inférieures à la dose ambiante (0,86 à 12,34 µSv), car tout dépend des conditions d’exposition. Il importe donc d’évaluer la dose d’irradiation de chacun pour tenter de rassurer les habitants de la préfecture de Fukushima et leur permettre de reprendre leur vie, petit à petit, là où elle s’était arrêtée, le 11 mars 2011.

1– Une ville située à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Fukushima.

2– Unité évaluant la quantité de radiation absorbée par les tissus humains. 1 millisievert (mSv) = 1 000 microsiviert (µSv). À partir de 1 000 mSv cumulés par an, soit 1 million de µSv, le développement d’un cancer mortel est probable chez 5 % de la population touchée. Le risque est identifié dès 100 mSv par an.