L'infirmière Magazine n° 301 du 15/05/2012

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

M. V., 82 ans, est hospitalisé dans le cadre de la prise en charge d’une bronchopathie spastique. Dans ses antécédents, le patient a subi une radiothérapie pour adénocarcinome de prostate et une cholécystectomie. Il souffre également d’une bronchopathie et d’une fibrillation auriculaire. Un tabagisme et une consommation d’alcool sont, en outre, rapportés.

Le traitement habituel comporte : Singulair, Symbicort, Xatral, Ceris, Triatec, Kardegic, Lasilix, Créon, Polykaraya, Doliprane. Dans les heures suivant son hospitalisation, son traitement est renforcé, avec l’ajout de nébulisations d’ipratropium et de terbutaline.

À J 5, après son entrée dans le service, le prescripteur senior constate la présence de Kayexalate sur l’ordonnance, accompagnée de la mention « en remplacement de Polykaraya ». Ce changement de prescription a été réalisé par l’interne du service 4 jours auparavant.

L’examen de la pancarte montre que le Kayexalate a été administré au patient durant toute cette période, à raison d’une cuillère mesure par jour.

Une kaliémie est réalisée en urgence, et rapporte une franche hypokaliémie à 2,9 mmol/l. L’examen clinique montre un passage en fibrillation auriculaire. Une décoagulation est mise en place, et maintenue jusqu’au retour en rythme sinusal. Aucune séquelle ne sera observée à la suite de cet accident. Le patient a été informé de cette erreur.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

À l’arrivée du patient dans l’unité de soins, le jeudi, la première prescription a été réalisée par l’interne en médecine du service à l’aide de l’ordonnance de ville du patient. Cette prescription, sans erreur manifeste, a été validée par un pharmacien de l’établissement dans la même journée. Un changement dans la prescription, conduisant au remplacement du Polykaraya (gomme karaya destinée au traitement des colopathies fonctionnelles, non disponible à l’hôpital) par du Kayexalate (résine échangeuse d’ions destinée à traiter l’hyperkaliémie) a été réalisé par erreur par l’interne, pensant que ces deux médicaments étaient équivalents. La prescription ainsi modifiée n’a pas fait l’objet d’une nouvelle analyse pharmaceutique, et l’erreur ne sera détectée par le médecin senior que le lundi matin, l’administration du médicament ayant été réalisée du vendredi au dimanche.

2. HYPOKALIÉMIE

L’hypokaliémie est usuellement définie par la mesure d’un potassium sanguin inférieur à 3,5 mmol/L. Il s’agit du trouble électrolytique le plus fréquent en pratique clinique.

Causes principales

Certains médicaments provoquent une redistribution du potassium dans l’organisme, conduisant à une hypokaliémie : bêta2-mimétiques, théophylline, insuline, vérapamil. Une autre cause possible est la diminution des apports en potassium, principalement en cas de fortes pertes potassiques rénales (diurétiques de l’anse et thiazidiques) ou digestives (diarrhées, vomissements…). Des troubles acido-basiques et certaines anomalies génétiques rares touchant le rein sont également des causes d’hypokaliémie. Plus rarement, un hyperaldostéronisme, une hypomagnesémie ou des brûlures étendues peuvent entraîner une hypokaliémie.

Signes cliniques

Le plus souvent asymptomatique, l’hypokaliémie peut s’accompagner de symptômes non spécifiques (faiblesse musculaire, myalgies). Quand la kaliémie est inférieure à 2,0 mmol/L, on peut observer une atteinte musculaire pouvant conduire à un arrêt respiratoire. Des manifestations cardiaques potentiellement mortelles peuvent apparaître (arythmies), en particulier en cas d’installation rapide.

Traitements

Le traitement repose sur la prise en charge de la cause de l’hypokaliémie. Si l’hypokaliémie est asymptomatique et le patient sans risque particulier, un régime riche en potassium peut suffire. S’il est insuffisant, une substitution médicamenteuse par voie orale est nécessaire (chlorure de potassium : DiffuK, Kaléorid). En cas d’hypokaliémie sévère, ou symptomatique, l’administration de potassium par voie intraveineuse est nécessaire. Cette administration est extrêmement dangereuse (première cause d’accidents médicamenteux mortels à l’hôpital), et ne doit être pratiquée qu’après vérification soigneuse de la quantité de potassium préparée, de la concentration de la solution, et de la vitesse d’administration.

3. HYPERKALIÉMIE

L’hyperkaliémie est usuellement définie par la mesure d’un potassium sanguin supérieure à 5 mmol/L.

Causes principales

Les causes principales sont l’insuffisance rénale ou les atteintes rénales liées à une autre pathologie (lupus érythémateux, uropathie obstructive…), la lyse cellulaire (hémolyse, traumatisme…), un effet indésirable d’un médicament (voir Encadré p. XX), un apport excessif en potassium et l’insuffisance surrénalienne.

Signes cliniques

Les signes cliniques apparaissent souvent de manière tardive. On peut observer des modifications de l’électrocardiogramme (ECG), pouvant conduire à la fibrillation ventriculaire dans les cas graves. Les autres signes cliniques sont peu spécifiques : paresthésies, faiblesse musculaire, goût métallique, syndrome « grippal ».

Traitement

Selon la gravité, le traitement pourra être considéré comme une urgence. Il pourra comprendre les mesures suivantes :

→ arrêt des médicaments hyperkaliémiants éventuellement prescrits ;

→ injection de gluconate de calcium (10 %), antagonisant les perturbations de l’ECG ;

→ administration d’insuline pour favoriser le passage du potassium vers le compartiment intracellulaire (avec une perfusion de glucose pour éviter une hypoglycémie) ;

→ administration d’un bêta2 stimulant (salbutamol, par exemple) par nébulisation ;

→ en cas d’acidose : une correction par du bicarbonate de sodium peut être faite, mais l’efficacité du traitement est contestée ;

→ l’utilisation de résine échangeuse d’ions (type Kayexalate) est d’une efficacité limitée en situation aiguë.

En cas d’hyperkaliémie grave chez un patient insuffisant rénal sévère, une hémodialyse pourra être réalisée.

4. EN PRATIQUE

→ Le potassium injectable est l’un des médicaments les plus fréquemment responsables d’accidents entraînant le décès. À administrer uniquement en cas d’hypokaliémie majeure, sous surveillance par ECG, sans dépasser une concentration maximale de 40 mmol/L (soit 3 g/L de chlorure de potassium), et un débit de perfusion maximal de 20 mmol/heure.

→ En cas d’hyperkaliémie, une erreur de mesure doit toujours être envisagée : un garrot trop serré ou une hémolyse extracorporelle (« tube hémolysé »), peuvent fausser la mesure.

ATTENTION !

→ La fréquence des causes médicamenteuses des dyskaliémies nécessite d’avoir le « réflexe iatrogénie » quand un patient présente une hypo ou hyperkaliémie.

→ Les principaux médicaments hyperkaliémiants sont le potassium ; les diurétiques hyperkaliémiants ; les inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; les sartans (antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II) ; les AINS et les héparines.

→ Les principaux médicaments hypokaliémiants sont : les diurétiques de l’anse et les diurétiques thiazidiques ; les laxatifs ; les corticoïdes ; certaines pénicillines (à hautes doses en IV) ; l’amphotéricine B ; les sympathicomimétiques (vasoconstricteurs et bronchodilatateurs) et les insulines (de façon transitoire).

→ Certains aliments sont très riches en potassium : jus d’orange, pamplemousse, banane, fruits secs, légumes et chocolat.

RÔLE DES MÉDICAMENTS

Mécanismes mis en jeu dans la iatrogénie

Certains médicaments peuvent provoquer une hyperkaliémie ou une hypokaliémie. Les mécanismes mis en jeu sont principalement rénaux :

→ Diurétiques et canaux ioniques : l’action sur le rein peut conduire à augmenter (thiazidiques et diurétiques de l’anse) ou diminuer (diurétiques hyperkaliémiants) l’élimination urinaire du potassium.

→ Corticoïdes : ils favorisent l’élimination urinaire du potassium. Au long cours, cela provoque une diminution de la kaliémie.

→ Autres médicaments limitant l’excrétion tubulaire du potassium : bloqueurs du système rénine – angiotensine – aldostérone (IEC, ARA II), AINS.

Les autres mécanismes impliqués peuvent concerner :

→ Un apport direct de potassium : les médicaments contenant du potassium, s’ils sont administrés à mauvais escient, peuvent provoquer une hyperkaliémie.

→ Une lyse des cellules musculaires (rhabdomyolyse) peut être observée avec certains médicaments (statines, en particulier) conduisant à une augmentation de la kaliémie.

→ Les pertes digestives de potassium, augmentées en cas d’abus de laxatifs drastiques (séné, bourdaine, bisacodyl…).