L'infirmière Magazine n° 301 du 15/05/2012

 

PRÉVENTION

DOSSIER

Précarité, isolement, peurs, incompréhensions… Aller vers les personnes migrantes s’avère essentiel pour qu’elles accèdent aux soins. Cela passe par des actions de terrain et en réseau.

Les migrants ne se portent pas bien : une étude parue en janvier dans le bulletin de l’Institut national de veille sanitaire (INVS) constate la détérioration, depuis les années 2000, de l’état de santé de cette population (soit, selon l’Insee, 5,3 millions de personnes), soulignant ses difficultés croissantes d’accès aux droits et aux soins, et l’impératif d’agir, « notamment à travers la prévention et le développement d’actions de proximité ». Tuberculose, hépatite B et VIH sont des pathologies que l’on sait surreprésentées chez les migrants. « Sur les 6 700 découvertes de séropositivité à VIH et les 5 276 cas de tuberculose déclarés en 2009, environ la moitié concernait des migrants. Et, parmi les 1 715 patients pris en charge pour une hépatite B chronique, les trois quarts étaient migrants », observe l’INVS. Leurs fragilités cumulées les exposent tout particulièrement aux maladies infectieuses – un migrant sur cinq a d’ailleurs été contaminé en France par le VIH. Mais pas seulement. « VIH, VHB, mais aussi diabète, hypertension artérielle… 42 % des patients que nous voyons en consultation ont besoin d’un traitement de plus de six mois. 68 % des femmes enceintes n’ont pas accès aux soins prénataux, et 70 % des enfants de moins de 6 ans ne sont pas à jour de leurs vaccins ni suivis en PMI », constate ainsi Jean-François Corty, responsable des missions France de Médecins du monde (MDM), dont les 21 centres d’accueil, de soins et d’orientation reçoivent 92 % de migrants.

Sensibilisation

Un chiffre symbolique : « Un quart des patients reçus par MDM se font soigner trop tard. » Un retard dans le recours aux soins constaté par l’ensemble des équipes soignantes. Cette réalité n’est pas totalement absente des politiques de santé publique, comme l’illustrent les campagnes de sensibilisation au VIH à destination des migrants – l’INPES en a d’ailleurs lancé une en février dernier. Ou les campagnes de dépistage menées par les centres de lutte antituberculeuse dans les foyers de migrants, notamment lorsqu’un foyer épidémique est repéré. Mais, dans l’ensemble, les programmes d’éducation à la santé restent insuffisamment développés. Leur pertinence, couplée à celle du travail en réseau, n’est pourtant plus à démontrer, relèvent les équipes qui s’y sont engagées. Squats, rue… Auprès de ceux dont la précarité saute aux yeux, c’est même une évidence. Infirmier responsable de l’équipe mobile Rimbaud du centre hospitalier de Valenciennes, Benoît Auzeral en témoigne. Composée de sept infirmiers, d’une éducatrice spécialisée, d’une psychologue et d’une secrétaire, l’équipe, à pied d’œuvre cinq jours sur sept, tient des permanences santé dans les accueils de jour de la ville le matin, accompagne pour les démarches de santé l’après-midi, et, le soir, alterne permanences en hébergement d’urgence et maraudes.

Partenariats

« Les migrants ne constituent pas la majorité des personnes que nous rencontrons, précise l’infirmière. Leur accompagnement ne diffère pas fondamentalement de celui que nous pouvons mener auprès d’autres sans-abri, mais les ressorts de l’exclusion sociale peuvent changer – restrictions de l’accès aux droits, difficultés linguistiques jouent fortement. À cet égard, les partenariats que nous avons noués avec des associations, comme MDM, qui les connaissent bien et qui détachent d’ailleurs un de leurs travailleurs sociaux pour nos maraudes, et notre proximité avec la Pass de l’hôpital sont des outils précieux pour adapter notre travail auprès d’eux, qu’il soit administratif, curatif ou préventif. » Infirmière au centre de soins et d’écoute pour les migrants établi par Médecins sans frontières dans le Xe arrondissement de Paris, Marie fait le même constat. Tous les jeudis soirs, elle tient une permanence dans un centre d’hébergement d’urgence voisin géré par Emmaüs. Ici, c’est le fait qu’elle soit accompagnée d’Ahmad, interprète d’origine afghane, qui facilite les prises en charge soignantes, car les migrants vivant dans les rues du quartier, dont beaucoup de mineurs, sont nombreux à être originaires de cette région du monde. Savoir, aussi, que s’ils osent franchir les portes du centre de soins de MSF, ils retrouveront Marie – et Ahmad – est aussi un atout précieux.

La pertinence des actions de proximité s’impose aussi auprès d’une population migrante particulièrement stigmatisée : les Roms. Le mois dernier, un rapport de l’Observatoire régional de santé d’Ile-de-France soulignait combien leur exclusion sociale et scolaire, leur faible accès aux soins et leurs conditions de logement insalubres avaient de graves conséquences sanitaires – « forte prévalence des maladies infectieuses, notamment de la tuberculose (…), santé mentale fragilisée par les humiliations et les expulsions à répétition ». « Faim, absence d’eau potable, de toilettes, de ramassage des déchets… Les Roms sont également très touchés par la rougeole, le saturnisme, ajoute Sylvie, sage-femme de la mission menée par MDM auprès des Roms en Seine-Saint-Denis. Dépistage, vaccination, éducation à la santé, notamment en matière d’hygiène, sont donc essentiels. Or, les expulsions répétées font obstacle à la prise en charge soignante – sans parler, d’ailleurs, du risque épidémique. »

Démarche de prévention

Mais la démarche s’impose aussi auprès des personnes dont la précarité est moins visible. Dans les foyers de migrants , en particulier. Animateur de prévention du réseau d’accès aux soins Ressource, qui intervient dans les Hauts-de-Seine, Ousmane Sao en témoigne. « Les foyers de migrants, c’est un peu un pays dans une ville – des lieux régis par l’organisation sociale de chaque ethnie présente. Ceux qui y résident peuvent bien passer leur journée dehors – ne serait-ce que pour travailler, ils demeurent souvent loin du soin. Notamment en termes de prévention. Or, il y a de quoi faire face aux problématiques d’hygiène liées à l’insalubrité de certains lieux, et, surtout, dans le domaine de l’éducation à la santé concernant le VIH, les hépatites et les addictions (alcool, tabac…), des pathologies qui, culturellement, sont taboues – en premier lieu le VIH. » Les représentations de la maladie imposent alors de passer par des biais non académiques souligne Ousmane : « J’introduis les séquences de discussion santé par un temps festif (souvent musical), sinon peu de résidents viendraient, ou oseraient venir échanger. Je ne parle pas de but en blanc de VIH – les questions émergent parfois lors d’un échange sur une pathologie plus “neutre”, diabète, asthme… Et je laisse des cartes de visite du réseau, après avoir pris soin de préciser – en passant ! – que nous accompagnons notamment des personnes atteintes du VIH. La confiance nouée, pas à pas – j’interviens une fois par mois dans chacun des foyers des villes où le réseau est présent – certains oseront appeler, passer… »

Foyers insalubres

La démarche est aussi à développer auprès des migrants âgés, d’autant, révèle l’INVS, que « la dégradation de l’état de santé des migrants augmente avec leur durée de résidence sur le sol français ». Parmi eux, les plus fragiles sont certainement ceux qui, âgés, résident, seuls, dans les foyers type Adoma. « Tunisiens, Algériens, Portugais…, ils ont souvent travaillé en partie au noir, et n’ont qu’une toute petite retraite, dont ils envoient une part à la famille restée au pays. Pathologies liées à des emplois pénibles, diabète, alcool, hypertension…, sans compter les risques liés à l’insalubrité de certains foyers : leur santé est délabrée. Mais ils sont rarement demandeurs de soins. L’hôpital, c’est souvent “la fin” pour eux. Et le reste, ils font avec », témoigne Sylvie Riou, infirmière du réseau de gérontologie Carmad (Yvelines), qui, sollicitée par une amie médiatrice santé dans différents foyers du département, y suit plusieurs patients. Depuis, le réseau Carmad a commencé, sur appel d’offres de l’ARS, à réaliser des bilans de santé dans 14 foyers de la région. « Les besoins sont énormes, souligne Sylvie. Et les soignants souvent réticents à y aller – j’ai d’ailleurs commencé à y intervenir parce que la plupart des infirmières libérales du secteur ne voulaient pas, ou plus le faire. C’est exigeant, certes, car, hormis les soins curatifs, la coordination de la prise en charge et l’éducation à la santé nécessitent doigté et patience. Mais, c’est mon métier, non ? »