L'infirmière Magazine n° 304 du 01/07/2012

 

SECTEUR PRIVÉ

ACTUALITÉ

Rentabilité en berne, déficits, conflits sociaux… Le secteur privé va-t-il mal ? Bilan, côté fédération et côté syndicats.

Mon sentiment ? Un mélange d’inquiétude et de lassitude. Et une pointe d’espoir. » Commentant le rapport sectoriel publié le 5 juin par la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France (FHP), qu’il préside, Jean-Loup Durousset ne mâche pas ses mots. Selon lui, le secteur, qui re­présente un tiers de l’activité hospitalière française, est en difficulté. Le chiffre d’affaires des 1 128 cliniques et hôpitaux privés s’élève à 12,9 milliards (hors honoraires médicaux) en 2010, en hausse de 3 % par rapport à 2009. « Mais, souligne-t-il, ce bon résultat est nuancé par une baisse de la rentabilité. En 2010, elle s’élevait à 1,9 % du chiffre d’affaires, contre 2,3 % en 2009. » La situation de certains établissements est préoccupante : 28 % étaient en déficit fin 2010, contre 23 % en 2009 ; un chiffre qui atteint 35 % pour les cliniques spécialisées en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), ce qui « conduit à s’interroger sur la pérennité de près d’un tiers des cliniques françaises à plus d’un an », note le rapport.

Innovation

Jean-Loup Durousset dénonce la quasi-absence de revalorisation des tarifs hospitaliers depuis quatre ans, alors que les charges continuent à augmenter (+ 3 % en 2010). « En dépit d’une progression contenue des charges salariales, les charges d’exploitation ont progressé plus vite que le chiffre d’affaires », explique-t-il, pointant les charges immobilières, de carburant, d’énergie… « Cela fait cinq ans que je m’évertue à expliquer au ministère qu’il faut donner aux établissements les moyens de retrouver du dynamisme. » Jugeant que « les exigences normatives vont bien au-delà du souci de sécurité des patients », Jean-Loup Durousset parle innovation. « En chirurgie ambulatoire, par exemple, a-t-on toujours besoin d’une infirmière pour cinq malades ? Pour une coloscopie, cela ne me paraît pas évident », plaide-t-il. Il se dit pourtant optimiste, même si les déclarations de la nouvelle ministre de la Santé, entendant « redonner ses lettres de noblesse au service public hospitalier », ont fait grincer quelques dents à la FHP.

Conditions de travail

Côté syndicats, l’inquiétude du président de la FHP laisse de marbre. « D’ailleurs, le rapport ne nous a ­toujours pas été officiellement présenté », remarquent Anne Taquet, secrétaire générale de l’UFSP CGT(1) et Pierrette Perez, secrétaire générale adjointe de l’UNSFO(2). « Je veux bien entendre les difficultés de certains établissements, précise Anne Taquet, mais le fait que les cliniques rapportent moins aux directions et aux actionnaires m’importe peu. Ce qui me préoccupe, ce sont les conditions de travail. » Le secteur emploie plus de 150 000 salariés, dont quelque 52 000 infirmières. Une préoccupation à mettre en regard avec les mouvements sociaux agitant plusieurs établissements. Grève début juin à la clinique Ambroise-Paré (groupe Vitalia), à Nancy, les membres du personnel protestant contre le non-versement d’une participation au titre de 2011. Ferme­ture de la clinique de Vinci, à Paris (voir sous-papier ci-dessous). Ou conflit à la clinique psychiatrique des Trois-Lucs, à Marseille (groupe Orpea-Clinea). Dans ce dernier cas, la mobilisation du personnel l’a emporté. « Après 25 jours de conflit et 100 % du personnel soignant gréviste, Orpea a dû ouvrir des négociations, et nous avons obtenu gain de cause, à savoir le maintien de l’organisation en binôme aide-soignante/infirmière, et la présence de cinq infirmières la nuit », commente Jocelyne Duval, déléguée syndicale CGT. Anne Taquet, qui a participé aux négociations, souligne combien, « dans le secteur, la négociation est souvent compliquée, et la marge de manœuvre réduite, parfois quasi nulle, au niveau des établissements ». Les sujets de discussion avec la fédération ne manquent pourtant pas, selon Pierrette Perez, notamment, « la valeur du point, qui augmente de 1,75 % au 1er juillet, ce qui est insuffisant ; la revalorisation des 26 coefficients qui étaient en dessous du Smic. En attendant la révision de l’ensemble des grilles de classification, prévue d’ici à la fin 2012. Alors, la rentabilité… »

1– UFSP CGT : Union fédérale de la santé privée CGT.

2– UNSFO : Union nationale des syndicats Force ouvrière de la santé privée.

PARIS

LA CLINIQUE DE VINCI A FERMÉ

Mobilisation du personnel, appui des élus d’arrondissement, projet de reprise soutenu par l’ARS et le personnel… Rien n’y a fait. Le 14 juin, le couperet est tombé : la fermeture, au 27 juin, du centre médico-chirurgical de Vinci, dans le XIe arrondissement de Paris, a été prononcée. « Un véritable gâchis, qui aurait pu être évité », estime Hamadi Guella, infirmier et délégué du personnel FO, qui rappelle que la clinique employait 167 salariés et 80 médecins, et qu’elle était la dernière maternité du XIe (1 800 naissances/an).

Placée en liquidation judiciaire le 1er mars, la clinique, créée en 1970 et gérée depuis 2007 par le groupe Access médical santé (AMS), affichait un déficit cumulé d’environ 6 millions d’euros. « Une mauvaise santé financière, avec accumulation des impayés de loyer, due à des erreurs de gestion, à des investissements insuffisamment réfléchis », regrette Nacer Maza, délégué syndical FO.

Intransigeance

Un projet de reprise existait, porté par le groupe Docte Gestio, qui garantissait la poursuite de l’activité et de l’essentiel de l’emploi. « Le projet a buté sur l’intransigeance de la SCI propriétaire des murs, explique Julien Pontier, directeur de cabinet de Patrick Bloche (PS), maire du XIe. Cette SCI a réclamé des garanties exorbitantes. Puis, elle a tout simplement annoncé qu’elle refusait de négocier avec Docte Gestio. » Le sentiment d’impuissance domine. Mêlé d’inquiétude : après la fermeture de la maternité de Saint-Antoine, celle de la clinique de Vinci est très préoccupante pour la prise en charge des grossesses dans l’Est parisien, souligne Julien Pontier.

E.D.