SURR LE TERRAIN
RENCONTRE AVEC
L’infirmière-comédienne a fait de sa passion pour le théâtre un outil au service de son activité de formatrice en éducation thérapeutique du patient. La commedia dell’arte, pour bousculer les certitudes et les freins des soignants.
Elle picore son plateau-repas, revêt son habit de scène et répète très vite le rôle de « M’dame Chantal »… Ouf, quelle énergie ! Françoise Annezo est infirmière, comédienne et formatrice en éducation thérapeutique du patient à l’Association française pour le développement de l’éducation thérapeutique (Afdet). Et, en ce début mai, elle s’apprête à jouer les quatre saynètes qu’elle présente depuis sept ans avec Véronique Durupt, sa complice, comédienne professionnelle. Le parterre est, comme d’habitude, composé de professionnels d’horizons divers : infirmières, diététiciennes, médecins, pharmaciens…, venus se sensibiliser pendant deux jours à l’éducation thérapeutique des patients (ETP) atteints de maladies chroniques.
M’dame Chantal est infirmière. Une soignante libérale, esseulée, « limite burn outée » (dira plus tard l’un des participants), déstabilisée par des patients qui n’en font qu’à leur tête, mais soucieuse de leur santé. Un rôle de composition pour Françoise Annezo. Pour celle qui a toujours été une passionnée de théâtre, les dialogues avec chacun des quatre patients joués par son binôme plongent les spectateurs dans la commedia dell’arte : une galerie de personnages truculents, des scènes burlesques, une gestuelle prononcée…, sans oublier les masques que portent M’dame Chantal et, tour à tour, Mme Polichinelle, M. Dujardin, M. Max et Mme Briguela. Les 25 participants à la formation rient de bon cœur lorsque Mme Polichinelle, toujours d’accord avec ce que dit M’dame Chantal, montre à cette dernière son semainier, une nouveauté censée l’aider à suivre son traitement. « Et le midi, vous n’avez rien ? Ah, c’est le pharmacien qui vous a dit de supprimer la prise du midi ! Mais qu’est-ce qu’il a à voir avec ça, hein… Il n’a que ça à faire ? », explose l’infirmière. Les saynètes hautes en couleur s’enchaînent. À la performance d’actrice s’ajoutent un sens de la formule qui fait mouche sur les stagiaires et l’ancrage dans un réel partagé par les professionnels de santé. Le but n’est pas, bien entendu, de divertir les personnes présentes, mais de les « remuer (…) là où (elles) ne s’y attendent pas », résume Françoise Annezo. On met en scène des situations dans lesquelles les professionnels se reconnaissent, l’infirmière symbolisant le corps médical et le corps paramédical. L’outil théâtral permet de les bousculer en leur donnant à voir ce qu’ils vivent et en réinterrogeant la place du patient dans un environnement de la santé très hygiéniste, très normatif, très technique. »
L’infirmière a puisé chaque petite histoire de sa propre expérience. L’exemple de Mme Briguela vient tout droit d’une rencontre qu’elle a faite lorsqu’elle était libérale dans la région de Rennes : « Je me souviens de cette dame qui avait un diabète avec 3 ou 4 g de sucre dans le sang, mais qui mangeait chaque jour ses petits gâteaux. Elle était heureuse comme ça ; nous, on la grondait tous les soirs. Avec mes consœurs, nous avions la sensation de toujours répéter la même chose. J’ai beaucoup appris sur les malades chroniques à travers cette histoire. Sur l’ambivalence que l’on retrouve souvent chez eux, entre la volonté de se soigner et le manque d’envie. Quand une personne est diabétique, par exemple, elle l’est le matin, le midi, le soir… Lorsqu’elle travaille, qu’elle reste avec ses collègues pour le déjeuner, elle sait qu’elle ne doit pas se relâcher. Un soignant peut comprendre que cette vie est très compliquée. Et s’efforcer de trouver ce qu’il est possible de mettre en place pour le bien-être du patient. »
L’empathie est sûrement ce qui caractérise le mieux Françoise Annezo. Une proximité et une attention à l’autre (le patient, le spectateur) développées dès ses premières années professionnelles.
De 1982 à 1985, elle fait le choix de consacrer la grande majorité de son temps à une activité de comédienne professionnelle. Les vacances et les week-ends, elle est infirmière libérale remplaçante. Elle arrête ensuite le théâtre pour s’occuper de ses enfants. Dix années de remplacement (« je ne voulais pas m’installer ») s’écoulent, d’abord à temps partiel, puis quasiment à temps plein. Le théâtre n’est jamais très loin et refait son apparition après six ans de pause. Son activité d’infirmière libérale ressemble alors à « une promenade dans les campagnes d’Ille-et-Vilaine, raconte-elle joliment. En été, les patients me nourrissaient. À leur contact, j’ai appris beaucoup de choses sur le jardinage. Je n’avais pas vraiment la sensation de travailler. » En 1995, c’est le grand saut. Deux amis lui proposent de s’installer en libéral avec eux sur Mordelles-Le Rheu, la proche agglomération de Rennes. Le théâtre continue d’occuper son temps libre. Et puis, en 2000, survient un événement qui va marquer son évolution professionnelle et sa vie personnelle. « J’ai eu la “chance” d’être malade », annonce-elle, consciente que sa formulation va faire réagir. Avant de poursuivre : « Cette année et demie d’arrêt m’a fait comprendre beaucoup de choses sur le vécu d’une personne malade. Je suis passée de l’autre côté du miroir. » Cette parenthèse forcée est un temps de mise à plat. Première certitude : elle ne se voit pas poursuivre en libéral. « Trop peur de ne pas tenir le coup physiquement », précise-t-elle. Un ami diabétologue lui propose de postuler comme coordinatrice du réseau de diabétologie qui vient de se monter dans le département. Dix ans de mise en route et de coordination du réseau de diabétologie d’Ille-et-Vilaine s’en suivront. Françoise Annezo initie, entre autres, le Diabétobus, une démarche originale qui permet aux professionnels de santé de parcourir le secteur pour sensibiliser la population au diabète, à l’obésité et aux maladies cardio-vasculaires. Les ingrédients de son engagement à venir pour développer l’éducation thérapeutique sont déjà là : des actions pluridisciplinaires, des formations organisées auprès de centaines de professionnels de santé libéraux et hospitaliers pour qu’ils puissent inviter leurs patients à entrer dans le réseau, une grande proximité avec les patients suivis en ambulatoire…
La rencontre entre éducation thérapeutique et outil théâtral va avoir lieu en 2005. Involontairement. L’infirmière a l’idée d’organiser un rassemblement des coordinatrices de réseau. « Ces professionnelles multicasquettes qui gèrent le chauffe-eau qui casse, le dossier à déposer à la Cnil et les relations avec la direction de l’ARS en même temps ! », ironise-t-elle. Pour l’occasion, elle imagine un spectacle avec l’idée, déjà, d’interpeller et de questionner l’assistance. « Le médecin de mon réseau nous a commandé, à ma complice Véronique Durupt et à moi-même, la création d’un outil d’analyse des pratiques qui pourrait être utilisé au cours des formations à l’ETP. C’est là que l’aventure a vraiment commencé. » Les saynètes sont écrites et jouées. En 2009, l’outil sert de support à la formation de sensibilisation à l’ETP. « Il ne suffit pas d’atteindre les patients, il faut encore que les soignants soient dans la même approche », commente Françoise Annezo. Pour bousculer les professionnels dans leurs certitudes, l’outil théâtral n’a pas son pareil. La formatrice en ETP cherche à toucher, chez eux, « autre chose que le cognitif ». Avec sa compétence et sa conviction que cette « médecine de la lenteur » est la bonne voie, elle y parvient assurément.
1 – Une formation proposée par le Collège des hautes études en médecine de Bretagne.
1981 Obtient le DE d’infirmière.
1982 à 1985 Comédienne professionnelle et infirmière libérale remplaçante.
1985 à 1995 Exerce comme libérale. Monte une nouvelle troupe de théâtre amateur.
1995 à 2000 S’installe en cabinet libéral.
2002 Recrutée comme coordinatrice du réseau de diabétologie d’Ille-et-Vilaine.
2006 DU d’ETP à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
2011 Devient formatrice à l’Afdet.