INTERVIEW : PHILIPPE HARTEMANN, PROFESSEUR DE SANTÉ PUBLIQUE À LA FACULTÉ DE MÉDECINE ET RESPONSABLE DU SERVICE D’HYGIÈNE AU CHU DE NANCY, PILOTE DE LA COMMISSION ENVIRONNEMENT, DÉVELOPPEMENT DURABLE ET HYGIÈNE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’HYGIÈNE HOSPITALIÈRE
DOSSIER
La commission pilotée par Philippe Hartemann est composée aux deux tiers d’infirmières membres de la SF2H. Elle vise à proposer des pistes de travail concrètes, sous forme de protocoles, pour mettre en place des mesures qui ne nuisent pas à la lutte contre les infections associées aux soins.
L’INFIRMIERE MAGAZINE : Pourquoi la SF2H a-t-elle créé une commission dédiée au DD ?
PHILIPPE HARTMANN : L’hygiène hospitalière, c’est la discipline médicale qui s’occupe des relations entre l’homme et son environnement, donc un hygiéniste ne peut que s’intéresser à l’environnement. Par ailleurs, l’exigence de maîtrise des ressources environnementales va avoir des impacts très importants sur l’exercice hospitalier de lutte contre l’infection car, depuis trente ans, l’immense majorité des mesures prises ne sont pas durables.
L’I. M. : Par exemple ?
P. H. : De plus en plus de matériel à usage unique, de produits désinfectants… On s’est élevé contre des décisions ministérielles prises au nom du principe de précaution et pour lesquelles il faudra revenir en arrière. Mais cela ne doit pas se faire au détriment du résultat en termes d’infections associées aux soins.
L’I. M. : Pourquoi l’usage unique (UU) s’est-il imposé ?
P. H. : On a réussi à fabriquer des matériaux en plastique d’une solidité, d’une efficacité à peu près identiques, voire meilleures, à celles du réutilisable métallique. Dès lors, l’UU pouvait avoir un intérêt économique car on échappait à toutes les étapes de nettoyage, désinfection, stérilisation, coûteuses en temps et en moyens. De plus, c’est apparu comme la solution miracle pour les problèmes infectieux puisque l’on avait facilement du matériel stérile.
L’I. M. : Quelles en sont les limites ?
P. H. : Le prix incite certains à réutiliser le matériel : ça fait mal au cœur de mettre à la poubelle un dispositif de 300 € alors qu’on l’a à peine utilisé. On peut d’autant moins éliminer cette tentation que dans certains pays comme l’Allemagne, la loi l’autorise.
L’I. M. : Devrait-on faire la même chose en France ?
P. H. : Cela mérite réflexion. Le Parlement européen a saisi la commission à ce sujet. Dans le cadre du comité SCENIHR, nous avons rendu un rapport en 2010
L’I. M. : Que dit votre rapport ?
P. H. : Qu’il y a des atouts et des inconvénients à la réutilisation des dispositifs médicaux vendus à usage unique, qu’on pourrait l’envisager pour certains DM et pas pour d’autres. Aux États-Unis, il existe ainsi des listes positives, mais en France, la direction de la Santé ne veut pas d’un tel système, jugé trop complexe à gérer.
L’I. M. : Quels risques y a-t-il à réutiliser un DMUU ?
P. H. : Sur l’aspect infectieux, on peut toujours laisser des protéines, des bactéries ou des virus : plus l’appareil est compliqué, plus il est difficile à nettoyer, désinfecter, stériliser. Mais il y a aussi un problème de chimie et de potentielle toxicité : ces plastiques se dégradent au contact de certains produits ou de la chaleur, il y a des interactions. C’est, par exemple, ce qui nous a conduits à préconiser l’interdiction de DM contenant du Bisphénol A pour les enfants (biberons, tétines). Enfin, il existe un risque physique : le retraitement peut altérer les propriétés mécaniques du dispositif.
L’I. M. : Certains usages paraissent exagérés, comme les ciseaux de cordon ombilical à UU…
P. H. : Ce peut être une bonne piste de réflexion. La commission a mis en place un groupe de travail spécifique à l’UU pour essayer de faire des listes. Mais, dans tous les cas, il faut vraiment peser le pour et le contre.
L’I. M. : Dans quels autres domaines le principe de précaution s’est-il imposé ?
P. H. : Dans l’utilisation larga manu de désinfectants. Je ne dis pas qu’il ne faut pas en utiliser, mais certains micro-organismes sont désormais résistants aux désinfectants. Il va donc falloir manipuler ça de façon raisonnable et durable si l’on ne veut pas arriver à des niveaux de résistance qui nous poseraient problème comme pour les antibiotiques.
L’I. M. : Pourquoi la plupart des Dasri sont-ils incinérés ?
P. H. : On a construit beaucoup d’incinérateurs qu’il faut rentabiliser. C’est dommage, car la banalisation permet de réutiliser les Dasri comme source d’énergie ou de matières premières (plastique, métal…). C’est une mine pour l’avenir, mais, hélas, plus que marginal pour l’heure.
L’I. M. : Comment lutter contre la pollution par les résidus médicamenteux ?
P. H. : La Suède a adopté un système de prescription vertueuse : chaque médicament étant doté d’un critère de toxicité environnementale, le médecin, dans l’équivalent de notre Vidal, choisit, à molécules égales, celle qui pollue le moins. Ça marche du feu de dieu !
1 – « The Safety of Reprocessed Medical Devices Marketed for Single-Use », Scientific Committee on Emerging and Newly Identified Health Risks (SCENIHR).