L'infirmière Magazine n° 305 du 15/07/2012

 

ÉTAT DES LIEUX

DOSSIER

Les établissements de santé sont de plus en plus incités à réduire l’impact polluant de leurs activités sur l’environnement. Hélas, des obstacles structurels empêchent des progrès décisifs et rapides.

Le 27 octobre 2009, la Fédération hospitalière de France et la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne signaient, sous l’égide des ministères de l’Écologie et de la Santé, en partenariat avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), une convention d’engagement dans le Grenelle de l’environnement(1). Moins de deux ans après, elles étaient rejointes par la Fédération de l’hospitalisation privée et la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer. Soit près de 6 000 établissements appelés à se mobiliser pour réduire leurs impacts sur l’environnement et faire en sorte de préserver les capacités des générations futures à satisfaire leurs besoins, conformément à la définition du développement durable (DD) donnée par l’ex-ministre norvégienne Gro Brundtland(2).

Avec leurs centaines de milliers de professionnels, leurs millions de mètres carrés de locaux et leurs milliards d’euros d’achats annuels, les établissements de santé ont « une capacité d’entraînement considérable » sur les politiques publiques locales, les sous-traitants et l’ensemble de la société, énonce la convention : « Leur engagement résolu dans des démarches de promotion du développement durable représente un enjeu majeur pour l’atteinte des objectifs ambitieux du Grenelle de l’environnement »(3). Forts de cette conviction, les signataires se sont assigné des objectifs à atteindre à l’horizon 2011. Près de trois ans après la signature, et alors que la convention échoit en octobre prochain, qu’en est-il ?

Filières de tri

Premier constat : l’absence de recensement exhaustif des actions menées. Le baromètre annuel censé renseigner le respect des engagements de la convention étant à participation volontaire et facultative, on peut supposer que les répondants sont plus sensibilisés au DD que la moyenne des établissements. L’autre outil d’appréciation existant, l’Observatoire du comité pour le développement durable en santé (C2DS), souffre des mêmes biais. La vision que l’on peut avoir des réalisations des établissements de santé en matière de développement durable est donc parcellaire. « Il faudrait confier cette mission d’observation à un établissement public », plaide Raphaël Guastavi, chef de projet éco-responsabilité à l’Ademe. Et de suggérer, pour ce faire, l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux.

En attendant, reste à se contenter des résultats du baromètre annuel « Manager le développement durable en établissement de santé ». Hélas, le premier objectif – atteindre une moitié d’établissements participant au baromètre en 2011 – est loin d’être atteint puisque, en 2012, seuls 466 établissements(4), sur près de 6 000 questionnaires envoyés, ont répondu. De fait, rares sont les objectifs atteints. Parmi les points positifs, la réalisation d’un bilan ou d’un audit énergétique par 62 % des répondants, soit plus que l’objectif de 50 %, et la multiplication des filières de tri des déchets, puisque plus de sept établissements sur dix affirment avoir mis en place des filières Dasri, piles, papier/carton, consommables informatiques et huiles alimentaires.

Réduction des emballages

En revanche, seuls 56 % ont mis en place des indicateurs de suivi de leurs actions en faveur du DD ; respectivement 87 % et 72 % ont établi des indicateurs de suivi de leur consommation d’eau et d’énergie ; 83 % intègrent des critères de développement durable dans leurs procédures d’achat ; 30 % ont adopté une stratégie de réduction des emballages ; et 37 % utilisent des lessives sans phosphates en blanchisserie et restauration quand la convention fixait un objectif de 100 % pour tous ces critères…

Pour autant, les choses progressent. La comparaison entre les éditions 2011 et 2012 du baromètre l’atteste, même si les établissements n’ont pas forcément été les mêmes à répondre d’une année sur l’autre. On note, ainsi, une structuration progressive des politiques de DD au sein des établissements avec, de plus en plus souvent, la désignation d’une ou plusieurs personnes préposées à leur pilotage, et la mise en place d’indicateurs de suivi, indispensable préalable à l’établissement d’un diagnostic de départ et à l’organisation de plans d’action pour la réalisation d’objectifs. Les indicateurs le plus souvent cités concernent la gestion des déchets, de l’énergie et de l’eau, trois gros postes de dépenses des établissements. Autre point positif, 36 % des structures répondantes achètent des véhicules propres et économes, non loin de l’objectif affiché de 40 %, ce qui est d’autant plus encourageant qu’ils sont, en général, plus onéreux.

Pratiques exigibles prioritaires

Des résultats prometteurs, qui ne sont sans doute pas étrangers à l’introduction de huit critères relatifs au développement durable dans la version 2010 du manuel de certification de la Haute Autorité de santé. Toutefois, ces critères ne sont ni classés dans les « pratiques exigibles prioritaires », ni dotés d’indicateurs susceptibles d’en mesurer le respect. Un choix que François Bérard, chef du service certification des établissements de santé à la HAS, justifie par le souhait de laisser aux établissements le temps de s’acculturer à ces problématiques récentes. « On a voulu jouer la certification comme un outil-levier, pas comme une sanction…, au moins dans un premier temps », explique-t-il. Ces critères ont un rôle « pédagogique » d’incitation et leur manipulation par les experts-visiteurs de la HAS visent avant tout à « éviter de démobiliser les acteurs », reconnaît François Bérard. D’autres textes, plus contraignants, s’appliquent aux établissements de santé en matière de réduction des impacts sur l’environnement. Ainsi, une quarantaine des 257 articles de la loi dite Grenelle 2 concernent la santé, rappelle Olivier Toma, président du C2DS. Mais « les obligations sont loin d’être respectées », déplore-t-il, notamment celle qui exige la réalisation d’un bilan des émissions de gaz à effet de serre dans tout établissement public de plus de 250 salariés, et privé de plus de 500 avant le 1er janvier 2013. Un retard qui s’explique, selon lui, par le manque de moyens. Qu’il s’agisse de ces bilans ou des travaux de mise aux normes énergétiques, les établissements ne disposent pas des financements appropriés. C’est pourquoi Olivier Toma défend le principe de la prise en compte de ces coûts dans la tarification des produits et actes médicaux. Ce que l’ex-député Élie Aboud a formalisé en 2010 dans une proposition de loi resté lettre morte : la création d’un Indice santé hospitalier (ISH) intégrant systématiquement dans les tarifs hospitaliers les hausses de charges relatives aux matières premières, au travail, à l’énergie… devait « résoudre, à long terme, les problèmes de financement des établissements de santé », décrypte Olivier Toma.

Bétadine aux égouts

Mais le progrès passera surtout par un travail accru avec les fournisseurs, qui doivent davantage réfléchir aux contenants et composés qu’ils vendent. Et Olivier Toma de citer l’exemple de la Bétadine : « Faire une douche chirurgicale, qui nécessite 30 ml de Bétadine, avec un flacon qui en contient 100, revient à jeter 70 ml de Bétadine aux égouts, alors qu’il suffirait d’adapter le flacon en 30 ml. » Une lueur d’espoir quand même : « Nous sommes en discussion avec un labo, ça va peut-être changer », ajoute le président du C2DS. À cet égard, les centrales d’achats, auxquelles de plus en plus d’établissements font appel, ont un rôle essentiel à jouer : quand elles exigeront des fabricants des informations telles que la quantité d’emballage par produit vendu ou la liste des composés organiques volatils, nocifs pour la santé(5), et sélectionneront leurs fournisseurs sur ces critères, la concurrence entre fabricants se déplacera alors sur un terrain vertueux pour l’environnement. Et, par le jeu des économies d’échelle, le prix de cette vertu, aujourd’hui élevé pour les établissements, baissera d’autant plus que ces exigences se généraliseront.

1– Processus de concertation lancé en 2007 entre toutes les parties concernées par les problématiques environnementales.

2– Elle a dirigé la rédaction du rapport onusien « Notre avenir à tous », qui proposait, en 1987, une définition du développement durable et des moyens pour y parvenir,.

3– Parmi lesquels la réduction d’au moins 38 % de la consommation d’énergie du parc des bâtiments existants.

4– 418 dossiers complets retournés à temps ont été analysés, dont 48 % relevant du secteur public, 26 % du secteur privé et 26 % du privé non lucratif.

5– Composés de carbone et d’hydrogène, les Cov sont cancérigènes. Depuis le 1er janvier 2012, ces gaz à effet de serre doivent faire l’objet d’un étiquetage.

EFFLUENTS LIQUIDES

Trop peu de diagnostics

→ Si de notables progrès ont été faits en matière de déchets, un point noir demeure : les effluents liquides. D’après le baromètre 2012, seuls 27 % des établissements en font un diagnostic et, selon l’observatoire du C2DS(1), moins de 20 % des établissements disposent d’un système de double évacuation permettant de les filtrer. Or, des études(2) montrent la présence de résidus médicamenteux, dont des perturbateurs endocriniens dangereux pour la faune aquatique, dans les eaux de surface et souterraines testées.

Parmi les substances les plus répandues : l’anticonvulsivant Carbamazépine, les lopromides – produits de contraste pour la radiologie –, les hormones et les antibiotiques. Les sites les plus pollués sont les effluents hospitaliers, potentiellement mutagènes en raison de la forte présence de produits anticancéreux. L’exposition permanente de l’environnement à ces résidus est suspectée de favoriser le développement de souches bactériennes résistantes susceptibles d’infecter les animaux et les hommes.

Le traitement des déchets sur les sites de pollution importante (usines, hôpitaux) fait partie des axes de réflexion.

C. A.

1– Résultats de 2010 portant sur 238 établissements publics et privés.

2– Voir « Perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution », rapport du sénateur Gilbert Barbier, juillet 2011 (Bibliographie p. 17).