L'infirmière Magazine n° 305 du 15/07/2012

 

ROUEN

DOSSIER

Plus de 9 000 agents, près de 2 500 lits et places : malgré son envergure, le CHU de Rouen s’est lancé dans la course au développement durable, sous la houlette d’un pilote dédié.

Depuis janvier 2011, le CHU de Rouen fait partie des établissements de santé dotés d’une personne dédiée à plein temps au pilotage des politiques de développement durable (DD). Ancienne claviste PAO, passée à la direction de la communication de l’établissement avant d’être nommée déléguée chargée du DD, rattachée aux services économiques et logistiques, France-Isabelle Montaigu a de nombreux projets, et le fait savoir. En 2011, le CHU a ainsi reçu un Award du Baromètre du développement durable en établissement de santé dans la catégorie Communication et ressources humaines. La déléguée dispose d’une page dans le journal interne, du site intranet et, tous les trois mois, de la Lettre de Louison, du nom de la petite femelle hérisson mascotte du DD au CHU, qui orne les supports de communication. Le jury du Baromètre a aussi été sensible à l’organisation d’un « village de la mobilité  » au CHU, en 2010, auquel toutes les autorités organisatrices des transports étaient conviées (métrobus, vélo…), le tout ponctué de conférences de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. « Cela a bien marché », se souvient France-Isabelle Montaigu. L’année précédente, sa prédécesseure Marie-Laure Autard, référente DD en plus de ses missions d’adjointe au directeur des services techniques, avait lancé un plan de déplacement des employés, réalisé avec l’aide d’un cabinet d’études. Le but ? Étudier les pistes susceptibles d’inciter les agents à opter pour des modes de transport alternatifs à la voiture individuelle. Grâce à une convention passée avec la Communauté de l’agglomération Rouen Elbeuf Austreberthe, une ristourne de 15 % sur le prix des abonnements aux transports en commun a pu être financée. « Avec la participation de l’employeur à hauteur de 50 %, ça fait une vraie réduction de 65 % », note France-Isabelle Montaigu. Le CHU dispose, en outre, d’abris-vélos sécurisés et s’apprête à en réinstaller, précise-t-elle. Enfin, les agents sont encouragés à covoiturer. La déléguée au DD, qui covoiture elle-même « depuis cinq ans », a réalisé un petit sondage en se postant deux jours de suite à l’entrée du parking du CHU. Bilan : « 13 % de covoitureurs », estime-t-elle.

Daom ou Dasri ?

Autre initiative d’envergure organisée l’an dernier : un « village des déchets  » d’une semaine dans l’anneau central de l’hôpital. Il s’agissait, cette fois, « de montrer la diversité des déchets générés par l’hôpital, qui enregistre 18 000 passages par jour sur le site principal de Charles Nicolle, et leurs impacts tant financiers qu’environnementaux », explique France-Isabelle Montaigu. Les agents hospitaliers affectés à la gestion des déchets ainsi que des représentants des prestataires extérieurs en charge de la collecte expliquaient à l’assistance le fonctionnement des filières, l’importance du tri, la valorisation des déchets sous forme d’électricité ou de chaleur par le Syndicat mixte d’élimination des déchets de l’arrondissement de Rouen (Smedar) ou encore les procédures d’incinération différentes pour les déchets d’activité de soins à risque infectieux (Dasri) ou assimilables à des ordures ménagères (Daom). Surtout, le village devait familiariser la communauté hospitalière avec le nouveau protocole Dasri, refondu fin 2010 en collaboration avec la fédération d’hygiène du CHU, le Clin, la médecine du travail, la direction des soins et les services économiques et logistiques. Un protocole ambitieux puisque l’« on a retiré énormément de déchets de la filière Dasri, si bien qu’il ne reste presque plus rien », indique France-Isabelle Montaigu. « Tant qu’il n’y a pas de risque avéré d’infection, ça part en ordures ménagères », résume-t-elle. Un changement d’habitudes pour les agents, qui nécessitait un accompagnement. La déléguée au DD a donc fait concevoir une réglette de tri : tenant dans la poche, l’outil a été « distribué aux 10 000 agents hospitaliers, avec le magazine interne ». Pas moins de 122 déchets, allant de l’aiguille de Huber au ballon Meopa en passant par la bandelette glycémie, le gel d’échographie, le rein artificiel, ou encore la serviette périodique, y sont cités avec, en face, l’indication de leur poubelle ou protocole de tri respectif. Un jeu interactif a également été mis à disposition des agents sur l’intranet du CHU. Plusieurs environnements hospitaliers sont proposés : le joueur doit saisir une multitude de déchets et les assigner à la bonne poubelle pour gagner des points. Ainsi, au bloc opératoire, le bocal d’aspiration ou le redon vont à l’écobox à Dasri, mais la compresse souillée de sang à la poubelle noire des ordures ménagères. Cofinancée par la Mutuelle nationale des hospitaliers et l’Ademe, l’opération a fait des émules. Engagé dans une réflexion pour harmoniser les protocoles Dasri des hôpitaux de l’AP-HP, le conseil régional d’Ile-de-France a invité France-Isabelle Montaigu à présenter le système rouennais.

Axes stratégiques

Au CHU haut-normand, le nouveau protocole Dasri s’est accompagné d’une réorganisation des réceptacles à déchets. « Avant, raconte la déléguée générale, il n’y avait que des écobox à Dasri, chers et volumineux. Désormais, la plupart des services ont un support double, avec écobox pour les Dasri les plus dangereux et sac souple pour les autres. » De même, les poubelles noires « avec couvercle et pédale » ont été remplacées par un système qui incite davantage à trier en Daom. Résultat, le volume de Dasri a baissé de 25 % depuis janvier 2011, une sacrée économie pour l’établissement quand on sait que leur élimination coûte cinq fois plus cher que celle des Daom. Inscrit dans les axes stratégiques de l’établissement, le DD se décline dans de nombreux autres domaines. Ainsi, l’offre de formation s’est-elle étoffée, avec l’éco-conduite pour les professionnels de la route (ambulances, blanchisserie…). Les acheteurs du CHU sont formés aux achats éco-responsables, et une formation d’une journée sur la vie d’un déchet d’activité de soin a été montée à destination des soignants. Le CHU a, en revanche, des progrès à faire en matière de repas à base de produits biologiques. Avec 11 000 repas par jour à assurer, il se heurte à l’insuffisance de la production bio des agriculteurs alentour. La réflexion est engagée sur les circuits courts. Le CHU, qui réalise actuellement un bilan carbone, compte sur les résultats de cet audit poussé sur les émissions de gaz à effet de serre générées par l’ensemble de ses activités pour justifier, dans le respect du code des marchés publics, le choix de tel ou tel fournisseur par rapport à un autre, plus éloigné. L’engagement du CHU dans le développement durable s’étend aux espaces verts. « On ne prend plus l’eau du réseau pour arroser, on la récupère en sous-sol », détaille France-Isabelle Montaigu. Les jardiniers ont été formés à ne plus utiliser d’engrais ni de pesticides. Enfin, la crèche, inaugurée en 2009, a été construite dans le cadre d’une politique de Haute Qualité environnementale, même si elle ne jouit pas du label, trop coûteux, elle utilise des dispositifs éco-responsables, comme des panneaux solaires pour l’eau chaude sanitaire, et une ventilation double flux évitant les déperditions de chaleur.

À terme, France-Isabelle Montaigu aimerait faire du DD, non pas un axe stratégique à part dans le projet d’établissement, mais l’intégrer de manière transversale à tous les projets : médical, de soins infirmiers… La contractualisation des pôles pourrait être, à cet égard, un levier intéressant. L’intégration, par avenant, d’objectifs de DD aux contrats de pôle serait techniquement possible, explique-t-elle, notamment en matière d’achats. Les leviers fonctionnent donc efficacement, et la motivation ne faiblit pas côté pilote !