L'infirmière Magazine n° 305 du 15/07/2012

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

Marthe B, 83 ans est amenée inconsciente aux urgences par le Samu. À la prise en charge par le service, la patiente est pâle, très somnolente. Sur le plan médical, on retrouve dans ses antécédents une hypertension artérielle, une ACFA (fibrillation auriculaire), une hypercholestérolémie traitée par pravastatine, une TVP (phlébite) et une embolie pulmonaire traitée par Préviscan (fluindione), des troubles ventilatoires obstructifs et de l’arthrose. La patiente a fait une tentative de suicide neuf mois auparavant.

Des éléments permettant d’envisager une intoxication par les benzodiazépines, le Samu lui a administré 0,5 mg d’Anexate (flumazénil) IV conduisant à un réveil progressif de la patiente. À l’examen, l’auscultation est difficile car la patiente est agitée. La biologie, en dehors d’une anémie, est normale. Le bilan toxicologique rapporte une concentration sanguine en alprazolam à 100 microgrammes/litre (valeurs thérapeutiques usuelles : entre 20 et 40 microgrammes/litre).

Le lendemain, la patiente est toujours somnolente, très confuse et la saturation en oxygène est de 94 ?%, signe d’une dépression respiratoire.

Son réveil est obtenu après administration de 0,8 mg de flumazénil. L’évolution est marquée par la nécessité de réadministrer une dose de flumazénil pour obtenir un réveil complet de la patiente. Elle est ensuite transférée dans une unité de gériatrie pour un bilan complet.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

L’historique de madame B. est marqué par un séjour en réanimation neuf mois auparavant suite à l’ingestion massive de zolpidem (Stilnox). Les signes neurologiques étaient davantage marqués, avec un coma agité, des mouvements involontaires et une hyperexcitabilité musculaire. La dépression respiratoire avait nécessité une intubation de plusieurs jours.

Ce jour, à l’interrogatoire par le gériatre, la patiente n’explique pas son geste. Elle souhaitait soulager des douleurs dorsales. Il s’agit d’une patiente anxieuse, disposant d’une quantité importante de médicaments à domicile, ce qui a facilité la prise massive de benzodiazépines.

Le Samu avait retrouvé une boîte vide de 30 comprimés d’alprazolam 0,25 mg (Xanax). La patiente les aurait avalés vers 8 heures du matin le jour de son arrivée aux urgences.

2. LES BENZODIAZÉPINES : RAPPELS

Les benzodiazépines et apparentés ont une action sur certains récepteurs centraux, qui se traduit par des propriétés anxiolytiques, hypnotiques, antiépileptiques et myorelaxantes. L’intensité de chacun de ces effets est variable selon le médicament considéré. Actuellement, 22 benzodiazépines sont commercialisées en France. Elles sont largement utilisées en ville comme à l’hôpital : on estime que, chaque année, une personne sur cinq consomme une benzodiazépine ou un apparenté. Une grande vigilance est nécessaire autour de cette classe car son utilisation expose à un risque de dépendance, de détournement chez les toxicomanes ou d’usage criminel à des fins de soumission chimique.

Indications

En fonction des propriétés de la benzodiazépine utilisée, les indications pourront être :

→ l’anxiété aiguë, dans le cadre d’un stress transitoire d’un trouble dépressif, d’un trouble de l’adaptation, ou d’un trouble psychotique (associé alors à un neuroleptique) ;

→ la crise d’angoisse, l’état d’agitation et d’agressivité du delirium tremens, certaines prémédications, le tétanos ;

→ l’insomnie d’endormissement, pour les benzodiazépines hypnotiques ;

→ l’épilepsie, les tremblements, les mouvements involontaires dus aux neuroleptiques ;

→ les contractures musculaires douloureuses en rhumatologie.

Pour la majorité des indications, la durée du traitement doit être la plus courte possible.

Présentations

Dans tous les cas, l’augmentation ou l’arrêt de posologie doit se faire progressivement.

Les principales benzodiazépines utilisées sont les suivantes :

→ à visée anxiolytique : alprazolam (Xanax), bromazepam (Lexomil), clorazepate dipotassique (Tranxène), lorazepam (Temesta), oxazepam (Seresta), prazepam (Lysanxia) ;

→ à visée hypnotique : deux molécules apparentées aux benzodiazépines : zolpidem (Stilnox), zopiclone (Imovane) ;

→ à visée myorelaxante : tetrazepam (Myolastan) ;

→ à visée anticonvulsivante : clonazepam (Rivotril), Clobazam (Urbanyl), diazepam (Valium).

Depuis début 2012, la délivrance de Rivotril en ville nécessite une prescription initiale annuelle émanant d’un neurologue ou d’un pédiatre. Rivotril n’est indiqué que dans l’épilepsie de l’adulte ou de l’enfant.

Effets indésirables

Les accidents graves sont rares, mais les troubles mineurs sont retrouvés chez près de 10 % des patients. Ces troubles consistent principalement en :

→ somnolence (prudence en cas de conduite de véhicule), difficultés de concentration, sensation d’ébriété ou irritabilité, agressivité et excitation (réaction dite « paradoxale », observée plus fréquemment chez les patients âgés) ;

→ amnésie et altération des fonctions psycho– motrices ;

→ risque de chute accru chez la personne âgée.

En cas d’utilisation prolongée et/ou à forte dose : tolérance et risque de dépendance physique et psychique pouvant provoquer un syndrome de sevrage à l’arrêt (anxiété, insomnie, irritabilité, céphalées, myalgies, confusion, hallucinations et convulsions). Il ne faut donc jamais arrêter un traitement brutalement.

Principales interactions

Peu d’interactions problématiques sont signalées avec ces traitements. Une majoration des effets sédatifs avec l’alcool et les autres médicaments sédatifs peut être observée : dérivés morphiniques, autres psychotropes, antihistaminiques H1 sédatifs…

Surdosage

En cas d’intoxication majeure isolée en benzodiazépines, l’antidote à administrer est le flumazénil (Anexate solution injectable), qui va bloquer l’accès des benzodiazépines à leurs récepteurs centraux. Attention, chez les patients traités au long cours, l’utilisation de l’antidote peut provoquer un syndrome de sevrage important (surtout chez les épileptiques).

Contre-indications

Les contre-indications à l’utilisation des benzodiazépines sont rares : allergie connue aux benzodiazépines, insuffisance respiratoire et hépatique, apnée du sommeil.

3. EN PRATIQUE

→ Les benzodiazépines sont largement utilisées en France : le nombre de boîtes remboursées par l’assurance maladie dépassait les 48 millions en 2009. Près de 50 % de ces prescriptions de benzodiazépines concernent des sujets âgés.

→ Ces médicaments sont à risque iatrogène non négligeable : chutes, confusions, sédation excessive, dépendance, vertiges…

→ D’autre part, une grande fréquence d’utilisation inappropriée de ces médicaments a été rapportée, conduisant la Haute Autorité de santé à lancer, en 2007, un programme d’amélioration de la prescription des psychotropes chez le sujet âgé, comportant notamment un volet sur la prescription au long cours des anxiolytiques et hypnotiques.

→ L’arrêt de ces médicaments pose des difficultés au clinicien lorsque les traitements sont instaurés sur une longue durée : refus des patients et syndrome de sevrage en raison de la dépendance induite par ces substances.

→ Enfin, les surdosages volontaires en benzodiazépines sont très nombreux, et un usage détourné de certains de ces médicaments est également parfois observé.

PSYCHOTROPES

Intoxications volontaires

Les médicaments sont les substances les plus fréquemment impliquées dans les intoxications volontaires, notamment les psychotropes. Les benzodiazépines représenteraient, ainsi, près de 50 % des intoxications médicamenteuses volontaires.

Les surdosages en benzodiazépines induisent généralement une dépression légère à modérée du système nerveux central. Les comas profonds nécessitant une ventilation assistée sont rares, et doivent faire rechercher la co-ingestion d’autres substances toxiques. La sévérité de la dépression du SNC est influencée par la dose ingérée, l’âge du patient et son état clinique avant l’ingestion, ainsi que par la co-ingestion d’autres dépresseurs du SNC. Dans les cas de surdosage grave, les benzodiazépines peuvent parfois induire une toxicité cardio-vasculaire et pulmonaire, pouvant conduire, de manière rare, au décès. Le nombre de décès par surdosage en benzodiazépines a été estimé à 5,7 cas par million de prescriptions (> 150 cas/million pour les antidépresseurs).

ATTENTION !

→ L’infirmière devra :

– être vigilante, aussi bien sur le risque iatrogène lors d’une utilisation adaptée que sur le potentiel délétère de ces médicaments en cas de mésusage, et rester sensibilisée au risque de dépendance induit par ces traitements.

– veiller à ce que les patients ne stockent pas de médicaments en dehors de leur traitement en cours (en établissement ou à la maison). Elle échangera sur ce sujet avec entourage, famille, auxiliaires de vie, médecin traitant, pour recouper les informations sur les traitements prescrits, avec l’équipe soignante…

– être attentive à la traçabilité des informations via les transmissions ciblées.