JEUNES IBODE
DOSSIER
Loin de se contredire, écologie et sécurité des soins sont compatibles, même en un lieu aussi sensible que le bloc opératoire. Consciente de cette bonne nouvelle, la jeune génération joue le rôle d’aiguillon.
L’éco-attitude a-t-elle droit de cité au bloc opératoire ? Lieu à part dans l’hôpital, fonctionnant selon le principe d’asepsie progressive, le bloc est animé de professionnels dont l’obsession quotidienne est bien davantage la maîtrise du risque infectieux que le développement durable. Pour autant, « les impacts globaux d’un établissement de santé » sur l’environnement « sont aussi valables au bloc », note le président du Comité pour le développement durable en santé (C2DS), Olivier Toma. D’où l’importance d’une prise de conscience sur la possibilité de conjuguer sécurité des soins et réduction de leur impact négatif sur l’environnement. Les soignants, et notamment les infirmières de bloc opératoire, disposent en la matière d’un levier : la sobriété dans l’utilisation des ressources. « On essaie de faire la chasse au gaspi », témoigne Joanne Lecoq, présidente de l’Association des infirmiers de bloc opératoire de Normandie et Ibode au bloc uro-digestif du CHU de Rouen. Et du gaspillage, il y en a ! Lors d’un stage au bloc gynéco– obstétrique dans un hôpital public français, l’infirmière brésilienne Ana Paula Pereira Do Amaral Maldonado s’étonnait, ainsi, d’assister au déconditionnement systématique de différents matériels à usage unique (UU), jetés à la poubelle sans être utilisés. Une étude menée dans le cadre de son travail d’intérêt professionnel (Tip) à l’école d’Ibode de Montpellier
Le manque de maîtrise du déroulement d’une opération peut, en tout cas, expliquer la mauvaise anticipation dans le déconditionnement des DMUU. S’il ne s’agit évidemment pas de dire que les IDE de bloc opératoire « travaillent mal ou donnent des DM à tort et à travers », les dix-huit mois de formation conduisant au diplôme d’Ibode montrent bien que c’est « un vrai métier à part », juge Joanne Lecoq. « Mieux on connaît une intervention, mieux c’est, poursuit-elle. Et la formation donne du recul pour travailler avec le chirurgien. » De là à lui tenir tête, il n’y a qu’un pas. À l’Institut monégasque de médecine et chirurgie sportive, les soignants sont ainsi « très vigilants par rapport à ce qu’ils servent sur la table », pour « l’utilisation de compresses », par exemple, affirme Fabienne Rateau, infirmière anesthésiste de formation, devenue directrice des soins. « On met ce dont on a besoin, au fur et à mesure. » Et si, d’aventure, « les chirurgiens insistent », ils « se font remonter les bretelles par les infirmières, qui sont davantage sensibilisées ». Encore que, sur ce point, les choses évoluent. « Les jeunes chirurgiens sont beaucoup plus impliqués que leurs aînés », note Joanne Lecoq. Mais, pour bien enfoncer le clou et mettre chacun face à ses responsabilités, pourquoi ne pas ajouter un item à la fameuse check-list du bloc opératoire mise en place par la Haute Autorité de santé en 2010 ? On pourrait, en effet, mentionner sur ce document le nombre de DMUU inutilisés à la fin d’une intervention, suggère Marie-Pierre Gilotin dans son mémoire de Tip. « Du fait de notre profession, nous possédons des valeurs centrées sur le patient, écrit-elle. Mais ne pourrait-on pas élargir notre vision et avoir une démarche citoyenne lors de notre activité professionnelle ? » C’est-à-dire « soigner en respectant notre environnement, grâce à une maîtrise de notre production de déchets ». À cet égard, un coup de pouce des fabricants serait bienvenu. Sur le conditionnement des eaux stériles, par exemple. « On utilise beaucoup de sérum physiologique », raconte Hélène Fournier, Ibode au bloc de chirurgie viscérale et urologie du CHU d’Angers. Il se présente « en flacon de soit 500 ml, soit 1 litre, mais, parfois, le volume de 500 ml coûte plus cher que le litre, donc on est tenté d’en utiliser une plus grande quantité ».
Pas très rationnel écologiquement parlant, d’autant « que les conditionnements n’étant pas compressibles, ils occupent un volume important dans les poubelles », note la soignante. Un dilemme entre gestion des coûts et respect de l’environnement que l’évolution du référentiel de formation des Ibode pourrait aider à dépasser. À l’heure actuelle, ce référentiel, qui date de 2001, fait l’impasse sur le développement durable. Il inclut, en revanche, dans le quatrième module d’enseignement théorique
La formation des Ibode intègre, en revanche, un très gros module d’hygiène, sur lequel les soignantes peuvent s’appuyer pour convaincre leurs collègues IDE d’attendre le bon moment pour déconditionner un dispositif médical stérile, dans l’intérêt du patient. En effet, selon les recommandations de la Société française d’hygiène hospitalière, « il existe une relation entre la contamination des instruments et leur durée d’exposition à l’air de la salle d’opération ». Il est donc « recommandé de respecter des séquences de déconditionnement des boîtes, conteneurs ou sets d’instruments, en rapport avec l’évolution de l’intervention et les différents temps opératoires »
1– « Mieux consommer et moins gaspiller : vers une consommation responsable », 53 p., 2008-2010, disponible sur le site www.aeeibo.com.
2– « L’Ibode, une ressource pour intégrer le développement durable au bloc opératoire », 106 p.
3– « L’Ibode dans la maîtrise de sa fonction ».
4– « La qualité de l’air au bloc opératoire ». Recommandations d’experts, SFHH, 2004, 82 p.
5– « Le développement durable et l’utilisation de l’eau au bloc opératoire par les Ibode », 41 p., Eibo du CHU de Rennes.
6– Observatoire du C2DS.
→ L’idée est venue d’une infirmière anesthésiste. Les bistouris électriques utilisés au bloc opératoire pour sectionner ou coaguler des tissus nécessitent l’apposition de plaques métalliques sous la peau du patient pour permettre la conductivité, explique Philippe Cozic, ingénieur biomédical au CHU de Rennes. Or, ces consommables contiennent des fils de cuivre, métal devenu précieux avec l’envolée des prix des métaux. Il y a environ un an, une Iade de chirurgie pédiatrique a donc pris l’initiative de récupérer les plaques usagées, qui partaient jusqu’alors à la poubelle. Elle les porte chez un ferrailleur, qui les brûle pour récupérer le cuivre, qu’il revend au poids. Une partie de l’argent ainsi collecté est remis à l’association Anim’Hostos de Rennes, qui l’investit dans l’acquisition de peluches et autre matériel pour ses animations au profit des enfants hospitalisés. « Depuis, on est allés un peu plus loin », raconte Philippe Cozic. « Quand ils y pensent », les techniciens de l’atelier biomédical de l’hôpital sud de Rennes récupèrent les câbles secteurs réformés, qui contiennent aussi du cuivre, et les remettent à l’infirmière anesthésiste inspirée.