DÉMENCE ET DOULEUR
ACTUALITÉ
DU CÔTÉ DES… COLLOQUES
La démence n’anesthésie pas la douleur. Celle-ci, particulièrement prévalente chez les personnes âgées, doit être évaluée et prise en charge.
Les patients ont tendance à penser qu’il est normal d’avoir mal, et les soignants, eux, estiment que la douleur s’amoindrit avec l’âge », a relevé Gabriel Abitbol, gériatre à l’hôpital Broca (AP-HP), lors du 3e colloque Douleurs et démence organisé par le Centre de liaison, d’étude et de formation à Paris, le 8 juin. La réalité demeure que plus l’âge augmente, plus la prévalence de la douleur est forte. « En Ehpad, 30 à 80 % des patients seraient douloureux », selon le gériatre. La prévalence de la douleur neuropathique est, ainsi, dix fois plus importante que dans la population générale, même si les personnes âgées souffrent moins de céphalées ou de migraines. Par ailleurs, Didier Tribout, médecin à l’Ehpad de Châtenay-Malabry (92), estime que « 70 à 80 % de nos patients souffrent de démence. Ces deux constats rendent primordiale l’évaluation de la douleur. » « D’autant que le patient dément ne se plaint pas forcément », insiste Gabriel Abitbol. Il existe de nombreuses échelles d’évaluation de la douleur, et le praticien recommande l’auto-évaluation à chaque fois que la santé du patient le permet. Mais, dans les états de démence, il convient d’abord de repérer toute modification du comportement qui pourrait être causée par une douleur. « Le changement de comportement est une urgence gériatrique, note Mauve Basset, infirmière à l’hôpital Broca. Un patient dément qui refuse subitement de se lever, de marcher, de s’alimenter, qui se replie sur lui-même, qui devient agressif, dont le sommeil est soudain troublé, nécessite une évaluation. »
L’échelle Algoplus vise plus précisément la douleur aiguë et s’intéresse aux expressions du visage, au regard, aux attitudes corporelles, au comportement général et aux plaintes émises par le patient. L’observation d’un seul comportement correspondant à un des items implique sa cotation. Une échelle plutôt rapide à utiliser. Doloplus 2 comprend, elle, dix items, avec cotation à quatre niveaux exclusifs et progressifs. L’ECPA (Évaluation comportementale de la douleur chez la personne âgée) compte huit items, avec cinq modalités de réponse. Toutes nécessitent la formation du personnel qui doit les utiliser. Elles exigent également du temps : « La prise en charge de la douleur est un soin relationnel qui demande de l’écoute, de l’observation », affirme Corinne Favre, infirmière à l’Ehpad Croix-Rouge de Lyon.
Or, les problèmes de formation du personnel, de sous-effectif, voire d’organisation des soins, constituent des freins. « L’Ehpad est le seul endroit (ndlr : en l’absence d’une infirmière) où il est interdit de donner des médicaments la nuit, regrette Didier Tribout. Au domicile, les aidants ont la possibilité de le faire ; en établissement gériatrique, les IDE le font. Chez nous, il n’y a pas d’infirmière de nuit. » Une carence dans la prise en charge, pour laquelle le praticien a proposé deux solutions : autoriser et former les aides-soignantes à l’administration des médicaments, ou créer des postes d’infirmière de nuit.
Plusieurs professionnels ont néanmoins souligné les progrès réalisés ces dernières années, qu’il s’agisse, pour Geneviève Laroque, présidente de la Fédération nationale de gérontologie, de la reconnaissance de la douleur chez la personne âgée, ou, pour Gabriel Abitbol, de l’inscription de la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs comme prioritaires, « au moins dans les textes ». « Soulager la détresse ou la douleur sont des actes valorisants pour les soignants, et quelles que soient les difficultés rencontrées dans les services, nos équipes sont capables d’innovation, de créativité et de professionnalisme », a encore souligné Alice Casagrande, directrice adjointe de la santé et de l’autonomie pour la Croix-Rouge française.