L'infirmière Magazine n° 305 du 15/07/2012

 

FIN DE VIE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Les personnes en fin de vie ont peu – voire pas – d’appétit. Des professionnels de la restauration et du soin de l’établissement de Vaugirard, à Paris, y ont prêté attention, et adapté l’offre culinaire. Notamment en créant un « room-service ».

Sorbet à la framboise, compote liégeoise, mini-tartelettes salées, verrines sucrées, briquette de jus de fruits… Intitulé « Une note de douceur », cet éventail de saveurs se décline sur un menu de format A3, coloré, illustré, plastifié. Nous ne sommes pas au restaurant, mais dans l’établissement gériatrique de Vaugirard-Gabriel-Pallez, dans le XVe arrondissement parisien(1). Vingt-quatre heures sur 24, 365 jours sur 365, cette gamme de seize produits frais et en petites quantités est laissée à la disposition de patients en soins palliatifs. Et certains y recourent. Au hit-parade, les mini-macarons devancent les glaces et les boissons (dont un soda mondialement connu). Ce « room-service » n’est pas la seule innovation proposée aux quatre lits identifiés de soins palliatifs de l’unité de soins de suite et de réadaptation (SSR) Commerce(2). Ces patients peuvent aussi manger à l’heure qu’ils souhaitent, dîner avec leur famille même après le service. Enfin, leurs plateaux bénéficient d’un effort de présentation et d’une quantité mieux adaptée. Ils sont en effet repérés sur la chaîne du service de restauration, où sont assemblés les repas. Les agents remplacent alors les pots de yaourt par des verrines, utilisent pour le plat principal une assiette de porcelaine avec liseré, épluchent les fruits, agrémentent les desserts d’un coulis de fraise…

Pas de potage !

L’idée, c’est d’être aux petits oignons avec ces patients, qui souffrent pour la plupart d’un cancer en phase terminale, ou ont de gros soucis cardiaques. Âgés, en moyenne, de 85 ans, beaucoup ont été opérés et s’en remettent difficilement. Ils séjournent environ trois semaines dans l’établissement. À l’origine de ces dispositifs, un constat : les personnes en fin de vie ont faim à des heures irrégulières, voire pas faim du tout. Elles ressentent davantage des envies impromptues que de l’appétit. Elles n’apprécient pas les grosses quantités et ne terminent pas forcément leurs assiettes. Un constat corroboré par une analyse, pendant vingt-trois jours, des restes laissés par cinq patients. Même pas 15 % des petits-déjeuners, pourtant les repas préférés à l’hôpital, ont été entièrement dégustés. Le potage est rejeté de façon « quasi systématique » ; le légume d’accompagnement est « moyennement consommé ». Comme, d’ailleurs, les plats avec de fortes odeurs, ou chauds. À l’inverse, laitages, fruits ou encore gâteaux réalisent « les plus hauts scores de consommation ». En plus de cette étude, un groupe de travail créé en 2010, composé d’une quinzaine de personnes : professionnels de la santé, représentants de la direction, de la restauration et de l’hôtellerie(3), s’est appuyé sur les témoignages de vingt-deux soignants, quatre patients et une famille. Objectif : déterminer la quantité de nourriture à distribuer ou encore les aliments favoris ou souhaités. Ce dégoût de manger ressenti par les personnes en fin de vie s’explique par leurs possibles ennuis de bouche, leurs douleurs, d’éventuels cancers digestifs, des nausées ou des hoquets… Pas question, dans ces conditions, de les forcer, ni même d’insister après un refus. Il faut plutôt inviter, stimuler, donner envie. En soins palliatifs, l’alimentation n’est plus un enjeu prioritaire, dans le sens où elle doit être un élément de confort. Elle ne contribuera pas, de toute façon, à la guérison du patient, dont la maladie est à un stade très avancé. Les notions d’apport nutritionnel et de dénutrition, en quelque sorte, disparaissent. C’est ce qu’explique Martine Noah, diététicienne diplômée en cuisine et pâtisserie, responsable de la restauration à l’établissement Vaugirard lors de l’élaboration de ce projet(4).

Un guide explicatif

Un projet qui s’est heurté à plusieurs difficultés. D’abord en logistique : pas évident de déroger aux horaires ordinaires, en particulier ceux des repas (12 h 30 pour le déjeuner, 18 h 30 pour le dîner). Quand les chariots de repas parviennent dans le service, les soignants ou les agents hôteliers doivent en retirer les plateaux adaptés aux patients en soins palliatifs et les conserver à part. De plus, pour personnaliser les présentations, les 20 agents de la restauration ont suivi une formation à la décoration d’une journée, financée par le groupe de nutrition EC6, où ils ont appris, par exemple, à couper une tomate en rose ou à canneler un citron. En cuisine, aucune fiche technique ne leur est imposée, afin que leur imagination soit « titillée », en fonction des produits disponibles. En revanche, les soignants de l’unité, eux, recourent à un guide explicatif pour le room– service. Une fois par semaine, au minimum, un agent de la restauration réapprovisionne les produits et vérifie leur date limite de consommation. Autre adaptation : certains produits (tel le sorbet framboise) sont proposés en texture modifiée, pour faciliter, notamment, leur absorption par les patients privés de dents. Une difficulté s’ajoute : l’absence de moyens humains ou budgétaires supplémentaires alloués à ce projet. Un quart d’heure de travail en plus est nécessaire pour préparer quatre plateaux ; au-delà de dix patients, cela deviendrait sans doute plus compliqué à organiser, selon les spécialistes du dossier. Le coût du room-service – estimé à 20 euros, en moyenne, par semaine – ne déséquilibre pas le budget, et il n’y pas de perte, les produits non consommés étant récupérés au self. Les réfrigérateur et congélateur, eux, ont été financés avec des dons de familles.

Dernier écueil : dans cet hôpital de 320 lits, où se côtoient essentiellement patients en SSR et en soins de longue durée, certains résidants pourraient se montrer jaloux du traitement réservé aux personnes en soins palliatifs. Il faut alors leur expliquer qu’ils ne se trouvent pas dans la même situation… La deuxième phase de l’expérimentation vise, d’ailleurs, à ne plus réserver ces services aux quatre lits identifiés de soins palliatifs, mais à les étendre à toute personne hospitalisée dans une autre unité et considérée comme en fin de vie par un médecin. Soit un maximum de dix patients chaque jour. La carte du room-service devrait, également, être actualisée. Le tartare à la mangue, par exemple, ne rencontre pas le succès escompté, ni les laitages. Sans doute ne sortent-ils pas assez de l’ordinaire. Cette initiative venue de la restauration, elle, justement, sort de l’ordinaire. L’idée a été développée, notamment, au centre hospitalier du Mans et à l’hôpital Saint-Joseph de Marseille. Dans le premier, des patients en fin de vie ou dans des situations particulières peuvent bénéficier d’un menu « sucré-salé » à la présentation soignée, et, pour certains, utiliser dans leur chambre un chariot avec frigo et micro-ondes(5). Dans le second, de tels patients peuvent demander un « menu plaisir » amélioré et accéder aux gourmandises de la cafétéria de l’établissement.

1 – Établissement de l’AP-HP.

2 – Cette unité de l’établissement Vaugirard compte une trentaine de lits.

3 – Volontaires et sur leur temps de travail .

4 – Actuellement responsable de la restauration à l’hôpital Corentin-Celton (92).

5 – Voir bit.ly/IQtOsV

EXERCICE INFIRMIER

Améliorer les soins de vie

→ Mis en place en mars 2011, le « room-service » est entré dans les mœurs. C’est l’avis d’Émilie Giot, 28 ans, désormais la seule infirmière référente du projet de restauration. « Ça ne change rien pour les infirmières, sauf une amélioration des soins de vie du patient, témoigne-t-elle. Ce travail différent ne nous prend pas de temps. Les malades peuvent consommer selon leur envie. Auparavant, nous n’avions qu’un café ou une biscotte à leur offrir. Nous ne sommes plus obligées de leur “imposer” un aliment faute d’avoir autre chose à leur proposer. Là, il existe une réelle offre alimentaire, même au milieu de la nuit. » Diplômée d’État en novembre 2006, Émilie Giot est entrée à Vaugirard le mois suivant. Elle a déjà vu l’unité se transformer, avec l’identification de lits pour les soins palliatifs, en 2008, et, plus récemment, la présence de bénévoles de l’association les petits frères des Pauvres aux côtés des malades en fin de vie. Une présence silencieuse ou accompagnée de paroles.

SAVOIR PLUS

→ Mélanie Legras, responsable de la restaxuration, établissement Vaugirard-Gabriel-Pallez : melanie.legras@vgr.aphp.fr

→ Sandrine Amigon, du groupe EC6, qui se présente comme « l’expert en restauration, nutrition hospitalière et gériatrique » : s.amigon@ec6.fr

→ Un livre : Cuisiner le plaisir. Guide pour un service hôtelier adapté aux patients en fin de vie dans les établissements de santé, presses de l’EHESP, 2008.