L'infirmière Magazine n° 307 du 15/09/2012

 

FORMATION IADE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Recourir à des mannequins de haute fidélité, réagissant aux gestes effectués sur eux, c’est l’axe choisi par nombre de centres de simulation pour former les soignants. À l’université Paris-Descartes, des Iade s’exercent face à des situations critiques.

Un jour de juin 2012. Un homme vient d’arriver aux urgences. Inconscient. « Vous m’entendez, Monsieur ? Ouvrez la main ! Il est peut-être en arrêt cardiaque… », dit l’interne sur place. « On a besoin de renfort ! », crie-t-il. Le médecin réanimateur de garde est occupé au bloc. Il envoie l’infirmière anesthésiste. « Qu’est-ce qui se passe ?, demande-t-elle dès son arrivée. Vous avez une saturation ? » Sans attendre la réponse, elle enchaîne et interpelle l’étudiant infirmier présent lui aussi : « Mais pourquoi tu masses ? Attends ! » Finalement, l’Iade choque le patient. Son rythme cardiaque repart. L’homme est sorti d’affaire. Toute l’équipe est soulagée. Épuisée aussi… Peut-être tout autant que si la scène avait été réelle.

Nous sommes au 5e étage de la faculté de médecine de l’université Paris-Descartes, dans le laboratoire médical d’enseignement iLumens. Ici, pas de bloc, ni de vrais patients. Uniquement de (vraies) infirmières, des médecins, des étudiants en soins infirmiers et en médecine qui débutent une formation sur un simulateur médical dit de haute fidélité dans le cadre d’un programme établi avec plusieurs établissements de l’AP-HP(1). Le mannequin respire et peut présenter, au choix, une situation d’arrêt cardiaque, d’insuffisance respiratoire, d’état de choc, d’hypertension, ou encore des saignements. Pour ce premier matin, Emmanuel Sohy, Iade de formation, trente ans de Samu et de Smur derrière lui, responsable depuis le début 2012 de la formation des paramédicaux au sein d’iLumens, a commencé fort. On l’a vu, l’homme qui venait d’arriver aux urgences était en arrêt. Le responsable a mis la pression sur Stéphanie Chandler-Jeanville, infirmière anesthésiste à l’hôpital Avicenne : « Va falloir que tu t’imposes, ça ne va pas être facile ! Ca va être la vraie vie ! » Le déroulement de la scène était à la hauteur de la promesse. L’infirmière se dit « bluffée » par l’exercice. « Au début, c’est très stressant, car d’autres professionnels et les formateurs nous observent, alors qu’en temps normal, nous travaillons dans un environnement familier, souligne-t-elle. Ici, nous devons composer avec des co-équipiers que nous ne connaissons pas toujours et, surtout pour mon cas, qui ne sont pas en réanimation. Mais, très vite, j’ai réussi à oublier que c’était un mannequin ! Du coup, j’ai retrouvé mes gestes habituels. »

Le temps du debriefing

À peine dix minutes se sont écoulées. La prise en charge sur le simulateur respecte le temps de l’urgence. En revanche, le temps du débriefing arrive dans la foulée. À chaud, alors que c’est quasi impossible dans les conditions du réel. « Le debriefing est une étape essentielle dans les exercices de simulation », estime Alexandre Mignon, professeur d’anesthésie et de réanimation à l’AP-HP et directeur du laboratoire. Emmanuel Sohy, l’infirmier urgentiste, sollicite les participants au scénario en les questionnant : « À quel moment avez-vous compris qu’il était en arrêt ? » ; « Quand avez-vous senti que vous étiez limite ? »… Et enchaîne les conseils : « Rien ne sert de le placer en position latérale de sécurité alors qu’il est déjà en arrêt… » ; « Vous avez poussé de l’adré, mais, à aucun moment, cela n’a été annoncé : adré faite ! Dans le bruit et l’urgence, il faut donner de la voix, pour dire ce que l’on vient de faire et pour donner des directives claires ! » ; « Celui qui prend en charge le déroulement des opérations, c’est celui qui est le mieux dans sa tête » ; ou encore : « Au moment de l’appel téléphonique pour solliciter la réa, dans le cas présent, ou de la transmission des informations quand l’Iade est arrivée sur place, veillez à n’utiliser que les mots utiles pour que la personne contactée puisse évaluer le contexte et le degré de gravité… » Toute la journée, les équipes se succéder dans les deux blocs reconstitués dans cet hôpital virtuel et se confronter à diverses situations critiques. Composition de l’équipe, programmation du mannequin à travers un dispositif informatique qui paramètre et fait évoluer à distance les appareils classiques (endoscope, ECG, matériel d’oxygénation…) en fonction des gestes de la prise en charge, top départ puis échanges collectifs qui permettent de reprendre les points les plus importants de la prise en charge et les recommandations pour chaque cas… La méthode sert une pédagogie spécifique bâtie autour de ce constat : « Le facteur humain reste une source prédominante d’erreurs médicales, comme l’ont révélé un rapport américain et l’enquête française sur les événements indésirables liés aux soins Eneis”(2) », souligne Alexandre Mignon. Pour ce médecin, la formation sur simulateur permet « d’apprendre de et par nos erreurs ». « Faire des progrès dans notre activité, c’est changer d’erreur, a-t-on coutume de dire », rappelle-t-il. Quand les simulateurs dits de basse fidélité permettent de s’entraîner à effectuer certaines tâches, comme, par exemple, une ponction lombaire, selon le principe du « jamais pour la première fois sur le patient », le recours à un simulateur haute fidélité offre un plus large champ de formation. « Le passage sur simulateur permet d’appliquer ses connaissances théoriques sans risque, d’exercer sa réflexion, d’intégrer des connaissances physiopathologiques et cliniques et d’acquérir de la confiance en soi en dédramatisant des situations potentiellement angoissantes », précise Alexandre Mignon.

Mieux faire face au stress

À la fin du deuxième scénario de la matinée, qui va mettre à nouveau en scène Stéphanie Chandler-Jeanville, mais sur le second mannequin du laboratoire, une femme en train d’accoucher et victime d’un état de choc, l’Iade d’Avicenne est encore plus convaincue des bienfaits de ce type d’exercice. « À l’école d’Iade, nous avons appris à intuber sur des mannequins basse fidélité, explique cette infirmière qui officie au bloc opératoire non spécialisé sur une pathologie. Au début, je ne croyais pas que j’y parviendrais. Le mannequin amène à dégrossir les gestes et à mieux faire face au stress, qui est toujours latent. Avec le simulateur haute fidélité, on va mobiliser toutes ses connaissances en plus d’exercer certains gestes. Car, devant certaines situations critiques, comme un choc anaphylactique dû à une allergie à un médicament non détectée à l’examen préalable, il faut être prêt. »

Claire Langlois, infirmière anesthésiste en gynécologie-obstétrique à la maternité Port-Royal à Paris (Cochin), fait partie des professionnels qui se sont déjà formés sur les simulateurs d’iLumens, au sein du département de réanimation-anesthésie de Cochin et sur le site de Paris-Descartes. « C’est essentiel, surtout en anesthésie, considère cette Iade exerçant depuis 2003. Ce n’est pas au bloc qu’on improvise. Il n’y a que la formation sur simulateur pour compléter et parfaire notre formation initiale. Certaines situations sont rarissimes. Je n’ai connu qu’un cas d’hyperthermie maligne en onze années d’activité, c’était une hyperthermie maligne. Un médicament existe, avec une posologie très précise. Alors, mieux vaut y avoir été entraîné pour, le jour J, se souvenir de la bonne attitude et du debriefing du groupe avec lequel on a fait la simulation. On sait où doivent être rangés le médicament en question et le kit nécessaire. On est capable de bien organiser les ressources humaines disponibles, dans la mesure où il faut être assez nombreux pour pouvoir injecter au patient une dizaine de flacons en dix minutes… Le fait d’avoir pu me former sur simulateur m’a permis de gagner en assurance. Mais, pour maintenir un bon niveau de connaissances et garder les bons réflexes, c’est essentiel de se former régulièrement, à mon avis tous les trois à six mois pour les Iade. »

Étant donné la grande variété des scénarios possibles, le dispositif de formation est ouvert à tous les profils de professionnels de santé. Pour les Iade, en revanche, des modules de formation spécifiques ont été imaginés autour de situations critiques. « Ces situations sont seulement survolées en école », souligne Emmanuel Sohy. Qui ajoute : « La prise en charge d’un choc anaphylactique, d’une hémorragie au cours d’une opération, d’un arrêt cardiaque d’une femme en train d’accoucher pendant une césarienne demande de savoir travailler en équipe, d’être capable de déceler le leadership au sein du groupe et de bien répartir les tâches en fonction des ressources disponibles. » Une « approche systémique indispensable », selon le professeur Sadek Beloucif, chef du service d’anesthésie et réanimation de l’hôpital Avicenne. « Quand je suis passager à bord d’un avion, je me fiche de savoir si le pilote est plus diplômé que le copilote, avance-t-il pour illustrer son propos. Je veux que l’avion fonctionne correctement… De la même manière, le patient va être endormi par une équipe et non par un médecin anesthésiste-réanimateur ou une Iade. Nous devons réussir à identifier les problèmes qui peuvent se poser dans le processus de prise en charge, afin que celui-ci soit plus intelligent que la somme des interventions individuelles. La formation sur simulateur peut nous y aider. »

Révolution culturelle

À côté de l’avancée technologique que concentre ce laboratoire, les exercices sur simulateur pourraient bien entraîner une révolution culturelle… C’est, ce que laisse entendre Antoine Tesnière, anesthésiste-réanimateur à l’hôpital Cochin et directeur scientifique d’iLumens : « Nous sommes dans une culture peu encline à reconnaître ses fautes et ses limites. La formation sur simulateur remet beaucoup en cause cet état de fait, car elle aide à prendre conscience des situations de soins à risque ». Le seul bémol soulevé concerne le temps que les professionnels peuvent consacrer à ces modules. « Les compagnies aériennes ont l’obligation d’avoir un effectif de 110 % pour qu’il soit possible de toujours maintenir une partie du personnel en formation, souligne Antoine Tesnière. À l’hôpital, nous sommes déjà à 80 % de l’effectif, donc, régulièrement, des formations sautent pour que l’activité du service reste assurée. » Pourtant, « la pratique de la simulation en santé est devenue une méthode pédagogique incontournable », considèrent le Pr Jean-Claude Granry et le Dr Marie-Christine Moll, auteurs d’un état des lieux dressé en janvier 2012 sur les pratiques de simulation dans la domaine de la santé à la demande de la Haute Autorité de la santé.

1– Depuis début 2012, les personnels de Cochin, de l’Hôtel-Dieu, de Saint-Vincent-de-Paul et de Broca peuvent se former deux fois par mois sur les simulateurs d’iLumens.

2– Rapport « To Err Is Human : Building Safer Health System », nov. 1999 (en anglais) : www.nap.edu/openbook.php?record_id=9728. Enquête Eneis sur : www.drees.sante.gouv.fr.

PÉDAGOGIE

« Jeux » pour les soignants et le public

→ À côté des mannequins-patients, ces simulateurs dits de haute fidélité (dont la femme en train d’accoucher), la plate-forme d’enseignement de Paris-Descartes développe des scénarios de simulation en temps réel en 3D, regroupés sous le nom de MEDUSIMS, pour Medical Educative Simulations. Ces « jeux » pédagogiques permettent aux soignants de se confronter à des situations d’infarctus, de choc allergique lié à une anesthésie, de choc hémorragique… Les actions entreprises par la personne en formation sont enregistrées à partir de n’importe quel ordinateur relié à Internet et sont comparées à celles d’une prise en charge idéale. Le grand public n’est pas oublié, avec, déjà, le programme en accès libre sur www.stayingalive.fr pour se former à la prise en charge d’un arrêt cardiaque. Dans le prochain « jeu » de ce type, Born to be alive, le visiteur sera immergé dans une salle d’accouchement.

TÉMOIGNAGE

« J’avais sûrement des prédispositions… »

OLIVIER PICARD, POMPIER DEPUIS SEIZE ANS, IADE AU CHU DE NÎMES

Déjà, le mémoire de fin d’études d’Iade rédigé en 2008 par Olivier Picard, infirmier au CHU de Nîmes, portait sur l’intérêt de la simulation pour les infirmières. Quatre ans après, ce professionnel est encore plus motivé par cette pratique de formation. « J’étais pompier depuis seize ans quand je suis devenu Iade, explique-t-il. Quand on est pompier, on participe à des manœuvres pour s’exercer à affronter telle ou telle situation. Alors, on peut dire que j’avais des prédispositions culturelles pour m’intéresser à ce type de pédagogie et à la simulation médicale. En plus, dès ma première année comme Iade au bloc pluridisciplinaire du CHU, j’ai été confronté à des situations d’urgence. Très vite, j’ai demandé à suivre une formation de trois jours auprès d’une société fournisseur de matériel, autour de situations critiques en anesthésie. Ensuite, nous avons créé un groupe de travail à Nîmes. Iade, médecins-anesthésistes et internes ont pu participer à cinq sessions de formation par an depuis, mais sur des mannequins basse fidélité. Nous ouvrons un centre de simulation cet automne. Après mon diplôme inter-universitaire, qui commence en novembre à Dijon, j’espère devenir formateur et coordinateur du centre nîmois. »

* Un des centres de formation avec, notamment, Paris-Descartes, le Kremlin-Bicêtre, Angers, Nancy, Brest et de nombreuses autres villes universitaires.