L'infirmière Magazine n° 307 du 15/09/2012

 

INTERVIEW : CLAUDY JARRY PRESIDENT DE LA FNADEPA

DOSSIER

Claudy Jarry préside la Fédération nationale des associations et directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa), qui revendique 900 adhérents et représente 60 000 personnes âgées. Il siège également au Comité national des retraités et des personnes âgées, où s’est rendue, avant l’été, la nouvelle ministre de l’Autonomie.

L’INFIRMIERE MAGAZINE : Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) se portent-ils bien ?

CLAUDY JARRY : En 2011, aucun euro n’a été attribué aux conventions tripartites entre les Ehpad, les conseils généraux et l’État, via les Agences régionales de santé [en charge, notamment, de la coordination du médical et du social, NDLR]. En 2012, 140 millions d’euros ont été votés, ce qui couvre 50 % à peine des conventions en attente de signature. De plus, depuis deux ans, pour le budget alloué au personnel, la hausse n’est que de 0,5 à 1 %, alors qu’elle devrait être de 2 ou 3 %. Des choses pourraient toutefois s’améliorer maintenant que le gouvernement et la majorité des départements sont à gauche. Les départements supportent environ 75 % de l’Apa [contre 57 % en 2002, NDLR]. Initialement, l’État devait en financer la moitié.

L’I. M. : Quelles sont les conséquences des tensions budgétaires ?

C. J. : Tous les ans, mécaniquement, le personnel est un peu moins nombreux. Des départs en retraite ne sont pas remplacés. La médicalisation est gelée, c’est-à-dire qu’aucune infirmière ni aide-soignante n’est embauchée. Nous ne comptons que 0,56 aide-soignante et infirmière par résidant. Le ratio idéal serait de 0,8 [le Plan solidarité grand âge de 2006 évoquait un ratio de 0,65 tous personnels confondus, voire d’1 pour les plus dépendants, NDLR]. La qualité des prestations peut en pâtir. Souvent, les personnels n’ont pas l’impression de travailler dans l’éthique qu’on leur a enseignée. Les soignants, une fois la toilette terminée, aimeraient avoir un peu de temps pour accompagner les patients dans leur globalité corps-esprit. Or, les toilettes s’enchaînent…

L’I. M. : La formation des personnels est-elle suffisante ?

C. J. : En raison d’un manque de temps et de moyens, la formation n’est pas ce qu’elle devrait être en termes de qualité. Les formations obligatoires en sécurité incendie ou encore en hygiène alimentaire embolisent nos budgets. Nous souhaitons une meilleure formation initiale et continue des soignants, notamment vis-à-vis de la maladie d’Alzheimer.

L’I. M. : Quelles sont vos autres revendications ?

C. J. : Entre autres, un allègement de la réglementation. Elle est pléthorique dans un domaine qui touche aux soins, à l’hébergement, à la nutrition… Mais les coûts liés à la sécurité sont sans commune mesure avec les risques encourus. L’hygiène alimentaire est à ce point stricte qu’elle fait presque perdre le goût des aliments. La sécurité l’emporte sur la qualité. Exemple : on nous impose un détecteur de fumée par chambre [une obligation étendue à tous les lieux d’habitation en 2015, NDLR]. Il y a beaucoup moins de morts dans des incendies en Ehpad que dans les accidents de la route ! Il existe, en fait, un lobbying d’opérateurs pour vendre du matériel. Toutes ces réglementations sont faites pour le bien des personnes âgées, certes, mais c’est à elles de les payer… En général, quand on les met à contribution, elles préfèrent se passer de la prestation. En revanche, contrairement au secteur privé, nous ne réclamons pas d’ouverture massive de lits.

L’I. M. : À qui confier la coordination des liens entre ville et établissements ? Aux infirmières libérales ?

C. J. : Nous prônons une approche territoriale. Soit la coordination est faite de façon extérieure aux opérateurs, par un organisme public éventuellement, par exemple au niveau départemental ; ou par un opérateur qui serait un mastodonte du territoire ; ou, enfin, par l’Ehpad. L’Ehpad peut être une base logistique et technique se développant hors les murs, une plate-forme de services et d’accueil. Les infirmières libérales, elles, ne sont en relation qu’avec les malades. Or, une personne dépendante peut avoir besoin d’accompagnement mais pas forcément de la présence d’une infirmière.

L’I. M. : Comment améliorer la prise en charge globale des personnes âgées ?

C. J. : Nous pouvons l’améliorer en partant de leurs attentes, puis en estimant le niveau de fonds à la hauteur de ces enjeux. Sinon, autant dire tout de suite aux Français qui souhaitent rester à domicile : « Ne rêvez pas, vous ne le pourrez pas. » Au moins, ils s’organiseront…