L'infirmière Magazine n° 307 du 15/09/2012

 

DOSSIER

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

Madame C. est âgée de 76 ans. Elle est en surpoids (IMC = 33), n’a pas d’allergie connue, ne fume pas et ne boit pas. Elle est autonome et vit seule en appartement. Elle a de nombreux antécédents médicaux et chirurgicaux : polyarthrite rhumatoïde, hypertension artérielle, artérite des membres inférieurs, diabète de type 2 (équilibré), thrombose de la carotide droite (opérée), anémie ferriprive sans étiologie, hernie hiatale + ulcère, syndrome dépressif avec hallucinations. Elle est hospitalisée dans le service de chirurgie pour y subir une pose de prothèse totale de genou.

Son traitement d’entrée est le suivant, libellé comme suit :

En post-intervention, trois médicaments sont ajoutés :

– Haldol 1 mg : 0-0-1

– Motilium : 1-1-1

– Xarelto : 10 mg : 0-0-1.

L’intervention et les suites opératoires se déroulent normalement. Après une semaine d’hospitalisation, madame C. est transférée dans le service de soins de suite et de réadaptation, avant de rentrer à domicile avec les médicaments suivants : (2e prescription, ci-contre). Aucun effet toxique ou indésirable ne semble à déplorer chez cette patiente lourdement traitée et avec des antécédents médicaux importants. On peut toutefois noter la prise concomitante de 4 antihypertenseurs (dont 2 inhibiteurs calciques ayant exactement le même mécanisme d’action), de 4 antalgiques, et de 4 médicaments à visée neuropsychiatrique.

Un entretien effectué par une interne en pharmacie formée a montré que si cette patiente prenait tous ses médicaments, elle souffrait de cette prise massive. Elle était observante, connaissait la forme et la couleur des comprimés qu’elle prenait, et passait du temps à préparer son pilulier avec un plan de prise édité par sa pharmacie.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

Plus que les interactions ou l’apparition de phénomènes toxiques, c’est le nombre de médicaments qui est ici le risque iatrogène majeur. À son entrée à l’hôpital, Madame C. prenait en effet 19 médicaments par jour, soit 37 comprimés, sans compter les gouttes buvables et les morphiniques pris à la demande. Malgré cette longue liste, il n’y avait heureusement aucune contre-indication physiologique, et l’ordonnance ne contenait pas de médicaments à marge thérapeutique étroite.

Un praticien de l’équipe mobile de gériatrie a pris contact avec Madame C. afin d’optimiser le traitement. L’association des antalgiques de palier II et de palier III a été stoppée en raison de leur toxicité ; un seul des deux inhibiteurs calciques a été conservé, certaines posologies ont fait l’objet d’une réévaluation, et plusieurs traitements symptomatiques ont été supprimés. La prescription de sortie comportait 14 médicaments différents, soit 20 unités de prise quotidiennes (plus les gouttes buvables).

2. LA POLYMÉDICATION : RAPPELS

Le terme de polymédication est évoqué lorsqu’il est administré un grand nombre de médicaments à un même patient. Le seuil au-delà duquel les risques semblent plus importants que les bénéfices attendus est de 5. Or, en 1999, le nombre moyen de médicaments pris quotidiennement chez les personnes de plus de 65 ans atteignait déjà 4,5 à domicile et 5,2 en institution (étude PAQUID).

Causes

Cette pratique est souvent légitime car il faut traiter l’ensemble des pathologies, et le recours à plusieurs médicaments est nécessaire. Toutefois, les risques sont multipliés dans les mêmes proportions (interactions médicamenteuses, diminution de l’observance, redondance avec l’automédication…). Ses causes sont multiples : l’avancée en âge des Français, le nombre de comorbidités, et le nombre de médecins consultés. Ainsi, on estime que la probabilité de trouver des psychotropes dans une ordonnance est inférieure à 20 % avec un seul prescripteur, et de plus de 30 % lorsqu’il y en a cinq ou plus.

La polymédication peut trouver son origine dans l’insuffisance de coordination entre différents spécialistes, dans la méconnaissance des patients, mais également dans les prescriptions en cascade : si un médicament entraîne un effet secondaire pouvant être interprété comme le symptôme d’une autre maladie, un second médicament pourra être prescrit, qui sera lui-même à l’origine d’un autre événement indésirable, qui justifiera encore la prescription d’un troisième médicament… Les prescriptions les plus longues comportent souvent des médicaments d’efficacité limitée ou en dehors des indications validées (excès de traitement) ; mais aussi des médicaments dont les risques dépassent le bénéfice attendu (prescription inappropriée). À l’inverse, certains médicaments utiles, et qui ont prouvé leur efficacité, ne sont, parfois, pas prescrits (insuffisance de traitement).

Solutions

Pour limiter la polymédication, différentes stratégies ont été mises en place. Des listes de médicaments inappropriés chez la personne âgée ont été publiées, des actions de sensibilisation auprès des prescripteurs ont été organisées, et des textes réglementaires ont fixé des objectifs ambitieux de réduction du nombre de lignes prescrites. Malheureusement, les résultats restent mitigés.

Coût

Enfin, les coûts liés à la polymédication sont importants : ils comprennent les dépenses liées à l’achat (dans notre exemple, le traitement d’entrée représentait plus de 300 euros par mois, le traitement de sortie environ 160 euros), mais également les frais indirects liés à la prise en charge des effets secondaires provoqués par ces médicaments ou aux hospitalisations pour iatrogénie médicamenteuse (environ 3,5 % des patients hospitalisés le sont pour événement iatrogène, la moitié de ces séjours étant évitables).

3. EN PRATIQUE

La fréquence des ordonnances comportant une dizaine de références ou plus ne doit pas faire oublier que les associations de médicaments peuvent entraîner effets indésirables ou toxicités. Lors de l’admission, l’infirmier a un rôle prépondérant pour interroger le patient et recueillir ses observations sur son traitement ou sur les symptômes présentés. Sa vigilance est nécessaire pour permettre une bonne traçabilité des informations dans le dossier du patient, et il doit toujours conserver un regard critique. Enfin, la réévaluation des prescriptions est une étape essentielle. Effectuée par des gens formés, elle permet de diminuer le nombre de médicaments, de cibler les pathologies à traiter et de limiter les effets indésirables. ;

LES ERREURS LES PLUS COMMUNES :

→ renouvellement d’une prescription sans réévaluation ;

→ manque de prise en compte des interactions médicamenteuses ;

→ excès de traitement : absence d’indication ou efficacité limitée ;

→ insuffisance de traitement : pas de prescription d’un médicament qui a prouvé son efficacité ;

→ prescription inappropriée : le risque d’un médicament dépasse l’effet attendu.

À SAVOIR :

→ la consommation médicamenteuse des personnes de plus de 65 ans augmente avec l’âge ;

→ la consommation médicamenteuse est plus forte en institution qu’à domicile ;

→ en plus des risques spécifiques et de l’augmentation du coût économique, les risques de la polymédication sont la iatrogénie et l’inobservance.