Le traumatisme du rachis - L'Infirmière Magazine n° 307 du 15/09/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 307 du 15/09/2012

 

DOSSIER

FICHE TECHNIQUE

Les traumatismes du rachis sont des lésions graves du système ostéo-médulo-ligamentaire, en raison des conséquences neurologiques vitales ou fonctionnelles qu’elles entraînent.

Anatomie/Physiologie

• La colonne vertébrale est ceinturée par une gaine ligamentaire et des muscles qui la solidifient du crâne au pelvis assurant son alignement et permettant sa mobilité. Elle permet de supporter le poids du corps et de le répartir vers l’intérieur du bassin. Cinq parties la constituent : 7 cervicales, 12 thoraciques, 5 lombaires, 5 sacrées et 4 coccygiennes. Son rôle est aussi de protéger, de par sa structure osseuse, la moelle épinière, qui se situe dans un orifice passant à l’intérieur, appelé canal médullaire. Cette moelle se termine au niveau de L2 et est prolongée par un paquet de racines nerveuses nommé queue de cheval. Entre chaque vertèbre sortent, de part et d’autre, les ramifications nerveuses (nerfs spinaux). L’ensemble va permettre trois fonctions majeures :

– relayer les informations motrices vers les muscles ;

– véhiculer les sensorielles vers le cerveau ;

– coordonner certains réflexes.

• Le niveau sensitif des nerfs est représenté par les dermatomes, qui sont les surfaces du corps dont les racines nerveuses sont responsables. Ils permettent d’établir une « cartographie » du corps et aident à évaluer le niveau d’une atteinte de la moelle.

Épidémiologie

• Les deux tiers des traumatismes du rachis concernent les hommes et, parmi eux, les plus touchés sont les jeunes de moins de 25 ans, qui représentent 50 % de ces traumatismes. En France, chaque année, on recense 10 000 nouveaux cas(1).

• À l’origine de ces traumatismes du rachis, on trouve : les accidents de la voie publique (AVP) ; les chutes (> 5 mètres) ; les accidents de sport (plongeons, notamment, et hippisme) et les actes de violence. Dans 20 % des cas, il s’agit d’un traumatisme cervical, mais ce pourcentage diminue de 15 % dans les accidents de la circulation quand les passagers sont ceinturés.

• Il est à noter que des complications neurologiques sont présentes d’emblée dans 14 à 30 % des cas(2) et que 12 % d’aggravations neurologiques secondaires sont constatées.

Mécanismes et conséquences des lésions

• Les traumatismes du rachis vont créer deux types de lésions :

– les lésions primaires immédiates, liées à la cinétique de l’accident, avec différents mécanismes. Ceux liés à un impact, qui sera associé à une compression persistante. Ce sont les fractures, les éclatements de vertèbre, ou encore les luxations. Il peut n’y avoir qu’une compression transitoire : lorsque les forces du mécanisme lésionnel cessent, la compression cesse aussi. En général, cela entraîne des hyperextensions. La colonne peut être distendue dans le plan axial, résultat de flexions-extensions ou de rotations qui vont provoquer, suite à une élongation, un cisaillement et un étirement de la moelle et de son réseau vasculaire. Enfin, des lacérations, voire des sections de la moelle résultant de traumatismes pénétrants, soit externes (plaie par balle), soit internes (fragments d’os), peuvent survenir.

– les lésions secondaires, qui, en quelques heures, peuvent apparaître, et vont utiliser la lésion primaire comme un nid à partir duquel vont pouvoir se développer hémorragie, ischémie, œdème…, qui toucheront la moelle et le tissu spinal et risqueront de créer un choc neurogénique ou des nécroses.

Ces deux types de lésions sont souvent définitives et irréversibles, le système nerveux central étant incapable de se régénérer.

• À noter : la faiblesse de la partie cervicale du rachis, en raison de sa grande flexibilité. À cet endroit, la moelle occupe jusqu’à 95 % de l’espace du canal rachidien (contre 65 % au niveau lombaire). À cela vont s’ajouter le poids de la tête, qui, associé à l’énergie cinétique, va amplifier la capacité des mouvements cervicaux, et le fait que cette zone (le cou) présente des muscles et des ligament fins, donc plus fragiles et ne pouvant pas absorber une grande énergie (par rapport à la partie thoracique, où les côtes renforcent la structure).

Évaluation et prise en charge en préhospitalier

• La prise en charge préhospitalière doit impérativement suivre une chronologie rigoureuse. Elle débute par le maintien d’une protection constante des intervenants et de la victime. Il faut ensuite effectuer une « lecture » de la scène qui permette d’apprécier la cinétique de l’accident et d’en déduire les mécanismes lésionnels. Si cette réflexion conclut à la moindre suspicion d’un risque pour le rachis, un maintien de la tête en position neutre doit immédiatement être mis en place. En effet, s’il semble facile de dépister une atteinte du rachis chez un sujet conscient (il pourra souvent exprimer ses plaintes, ses douleurs), le diagnostic devient plus difficile chez un sujet comateux. Par principe, il faut donc, en fonction de la cinétique de l’accident, toujours suspecter une lésion rachidienne, jusqu’à preuve du contraire.

• Le bilan lésionnel recherchera des absences de sensibilité et ou de motricité de tout ou partie du corps, et également toute lésion pouvant faire suspecter un traumatisme cérébral interne (plaies, déformation de la boîte crânienne, perte de liquide nez, oreilles…).

• L’utilisation de matériel adapté sera nécessaire, voire indispensable, afin de minimiser les complications neurologiques. Le collier cervical devra être ajusté à la taille du patient ?; venant s’ajouter au maintien secouriste, il permettra une tenue du rachis plus sécurisée. Un plan dur et/ou un matelas à dépression sera nécessaire pour tous les déplacements de la victime, ainsi qu’une attelle cervico-thoracique s’il faut l’extraire d’un lieu exigu tel qu’une voiture.

• Selon le niveau d’atteinte de la moelle, plusieurs manifestations physiologiques peuvent apparaître. Un traumatisme au-dessous de D6 entraînera la destruction des centres sympathiques cardiaques, une vasoplégie sous-lésionnelle, une perte de l’adaptation volémique, une bradycardie, et pourra conduire à un arrêt cardio– respiratoire. Si la lésion est au-dessus de C4, une paralysie diaphragmatique suivra, créant une dépendance ventilatoire complète. Entre C4 et C7, il y aura une paralysie des muscles intercostaux et abdominaux entraînant une autonomie ventilatoire précaire. À noter qu’un priapisme signe une lésion médullaire complète. Pour évaluer la hauteur des vertèbres, deux repères sont à connaître, il s’agit de D10, au niveau de l’ombilic, et de D4, au niveau du mamelon.

• L’essentiel de la prise en charge secouriste, excepté la libération des voies aériennes avec administration d’O2 et la surveillance des paramètres vitaux, se résume à l’immobilisation et au relevage spécifique de la victime avec maintien de la rectitude de l’axe tête-cou-tronc. Ces deux derniers points constituent l’une des pierres angulaires de la prise en charge du traumatisé rachidien. En effet, 10 à 15 % des accidents neurologiques surviennent lors du ramassage d’un traumatisé du rachis.

• L’infirmier(e) préhospitalier(e) protocolé(e) intervient en complémentarité du travail secouriste. Ainsi, il/elle pourra détailler et analyser la situation de façon plus précise et adapter ses compétences techniques.

Le bilan prendra en compte les éléments suivants : le Glasgow, l’observation de la réactivité pupillaire, le contrôle glycémique, la notion de convulsion… Ces actions seront effectuées en fonction d’un protocole ou de ses champs de compétences : pose VVP (remplissage selon la FC et la Pa), surveillance des paramètres vitaux. En revanche, un bilan neurologique plus poussé n’aurait pas d’intérêt pour la prise en charge préhospitalière, il ne servirait qu’à retarder l’arrivée à l’hôpital, où les examens sont effectués avec des moyens plus adaptés.

• Chez l’enfant, 60 à 80 % des atteintes touchent le rachis cervical. Attention au réflexe « parental » : il ne faut pas relever l’enfant ni le prendre dans les bras, deux actions réflexes de la part des parents. Un enfant ou un nourrisson tombé d’une hauteur de deux fois sa taille sera considéré comme ayant chuté d’une grande hauteur. Il devra être conditionné avec les mêmes exigences que celles portées au conditionnement des adultes. La taille du matériel est, ainsi, adaptée à celle des enfants et des nourrissons (3).

Conclusion

Quand survient un traumatisme médullaire, le pronostic fonctionnel et vital de la victime est mis en jeu. La morbi-mortalité des traumatismes vertébro-médullaires est importante, d’autant qu’ils sont souvent associés à un polytraumatisme. Les évolutions de la science et les techniques de prise en charge et d’immobilisation des victimes en préhospitalier contribuent à augmenter les chances de survie des patients. Il reste certain que l’immobilisation du rachis est primordiale, et doit être réalisée le plus précocement possible. La prise en charge préhospitalière est donc capitale, et représente le meilleur axe d’évolution dans l’objectif de diminuer les lésions rachidiennes.

1– Agnakhani N., Vigué B., Tadié M., « Traumatismes de la moelle épinière ». Encycl. Méd. Chir (Elsevier, Paris). Neurologie, 17-685-A-10. 1999. 10 p.

2– Chirossel J.-P., Passagia J.-G., Colnet G. « Traumatismes vertébro-médullaires ». In Decq P, et Kéravel Y., Neurochirurgie. Universités francophones ed, Paris ; 1995, 370-93.

3– http://reanesth.chu-bordeaux.fr/onglets/ formatio1/retrouve/jarca/jarca_2011/articles/pedia/09Orliaguet.pdf)