PERTE D’AUTONOMIE
DOSSIER
Effectifs soignants, financements, nombre de places… Au-delà des chiffres, c’est l’ensemble des prises en charge possibles et le regard porté sur les personnes âgées qu’il faut reconsidérer.
Le rapport « Politique de l’âge », sorti en 2009, évoquait une augmentation des moyens des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) ou encore la création de postes infirmiers de nuit dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Trois ans après, son auteure, Michèle Delaunay, mettra-t-elle ses propositions en application ? Car ce médecin est devenue ministre déléguée en charge des Personnes âgées et de l’Autonomie. À son cabinet, on confie que la réforme de la dépendance, promise par le candidat Hollande, n’est pas pour 2012. Cette réforme, le précédent gouvernement l’avait jugée moins prioritaire que celle des retraites, et y avait renoncé l’an dernier en invoquant le contexte économique. Certes, « la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012 prévoit une augmentation de 4,2 % de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie et médico-social », se félicite le sénateur (UMP) Philippe Marini. Mais le gouvernement Fillon n’a pas concrétisé la large concertation sur la dépendance menée en 2011. Si large qu’une simple actualisation de certains chiffres suffirait aujourd’hui à une prise de décision…
Parmi les nécessités faisant consensus, celle de nouvelles sources de financement, avec l’arrivée à l’âge de la dépendance, à partir de 2025, des générations du baby-boom, nées entre 1946 et 1974. En 2040, la prise en charge de la dépendance représentera presque 10 milliards d’euros de plus que les actuels 34 milliards, dont 24 payés par la puissance publique et le reste directement par les familles. Le nouveau gouvernement devrait privilégier la solidarité nationale (peut-être par une cotisation spécifique) par rapport à l’assurance privée, à laquelle cotisent plus de 5 millions de Français. Mais il ne devrait pas pour autant parler de « cinquième risque »
Autre difficulté : le manque de places en établissements, auquel se sont attaqués les plans vieillissement et solidarités (2004-2007), solidarité grand âge (PSGA, 2006-2012) ou encore Alzheimer (le dernier datant de 2008-2012). Fin 2011, selon la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), plus de 39 500 places (en Ehpad, accueil de jour, hébergement temporaire et Ssiad) étaient créées, sur les 90 500 prévues par le PSGA. « Sachant que les crédits ont été notifiés aux agences régionales de santé pour 91 % des places prévues, la différence s’explique par le temps nécessaire aux travaux », calcule la CNSA. Comme le PSGA n’a pas encore atteint son but, un groupe d’experts s’est « interrogé fortement [en 2011] sur l’opportunité de créer de nouvelles places », jugeant plus importante la rénovation de l’existant à des créations. Ce manque de places ne peut, en fait, être déconnecté de la pénurie de personnel. Comme l’explique le gériatre Guy Chatap
Pour améliorer l’organisation générale, il ne s’agit pas d’ajouter des couches, mais de coordonner les nombreuses institutions impliquées et de donner aux outils existants la maturité nécessaire. Une réflexion sur le montant des financements s’impose certainement, mais elle doit aussi porter sur leur répartition. Illustration de cette complexité : en Ehpad, les aides-soignants sont financés à 30 % sur le budget de la dépendance, à 70 % sur celui des soins. Il faut aussi poursuivre l’amélioration de la qualité des Ehpad, et non se préoccuper uniquement du supposé manque des places. Ce dernier point mérite d’ailleurs réflexion. « Une étude de la Fédération hospitalière de France de 2009 montrait que les places nouvelles étaient créées très majoritairement dans des départements disposant déjà d’un taux élevé d’équipement en Ehpad », note le sénateur Philippe Marini, qui a présidé une mission d’information sur la dépendance. Avant de créer de nouvelles places ou de lancer un nouveau plan, il convient d’effectuer une étude fine des besoins », avance-t-il.
L’objectif ? Donner la possibilité de choisir librement de vivre chez soi ou en établissement. L’aide à domicile est privilégiée en Europe depuis les années 1970. On est passé du « prêt-à-porter », avec des prestations et des services uniformes, au sur-mesure et à une échelle territoriale plus limitée, selon les chercheurs Claude Martin et Blanche Le Bihan
Autre source d’espoir : la prévention. Car la dépendance peut être retardée, voire évitée. Une activité physique, une alimentation équilibrée, une stimulation cérébrale, une activité professionnelle peuvent jouer contre des facteurs de risques, tel le diabète. Il est aussi possible de mieux lutter contre les accidents iatrogènes ou d’instituer une consultation médicale de prévention – une idée jamais appliquée. À l’initiative du tout nouveau Comité national de coordination de la politique de prévention de la perte d’autonomie, un schéma national est annoncé en 2013. Liée à la prévention, la recherche, enfin, doit être développée. Il faut changer le regard sur la dépendance – et la vieillesse. Atteindre un âge élevé n’est pas une maladie, mais le signe, positif, d’un vieillissement, généralement, en bonne santé. Cette « force de l’âge », vivante dans les associations, n’aurait pour seul défaut que de ne pas correspondre aux valeurs hégémoniques de notre société – la vitesse, la productivité… Pour mettre en exergue l’interdépendance des citoyens
Le relationnel, notamment par une plus grande connaissance des patients sur le long terme, prend ici une dimension plus forte que les aspects curatif et technique. La dépendance requiert une autre approche du soin. Selon Emmanuel Hirsch, « on n’a pas la faculté de transformer la situation de la personne en termes de soins, donc, d’autres facteurs sont à prendre en compte, comme l’attention ou la sollicitude. Mais, témoigner une telle présence à la personne est en contradiction avec les pratiques actuelles, où l’on quantifie de plus en plus. » Dans La révolution hospitalière (Bayard, 2002), il décrit un double sentiment de toute-responsabilité (« au regard de l’ampleur de la tâche ») et « d’une faiblesse » (liée « pour beaucoup au déficit dramatique en termes de structures, de dispositifs et de moyens »). « Il ne s’agit pas de tout faire à la place de la personne. Il faut l’écouter, la croire », plaide la cadre de santé Josette Vuidepot. Comme l’avance le sociologue Loïc Trabut, pour lutter contre la dépendance, un médecin peut imposer une norme plus lourde, par exemple un repas sans sel… privant le patient de liberté ! À l’inverse, anticiper la demande d’une personne réduit sa dépendance. Ce domaine constitue donc une opportunité pour les IDE. Josette Vuidepot croit à l’émergence future d’une « élite » infirmière. Dépeignant le vieillissement de la population, l’Organisation de coopération et de développement économiques le confirme : « L’expansion des soins à domicile (…) donne de nouvelles opportunités pour développer des rôles avancés infirmiers (…). Beaucoup de ces tâches (…) peuvent être exécutées par des infirmières », afin de libérer du temps médical pour des cas plus complexes. L’ordre national infirmier (Oni) met en exergue le rôle d’infirmière-coordonnatrice ou référente en Ehpad ou en ambulatoire, ou encore la place de l’infirmière en équipes pluridisciplinaires.
En conséquence, mieux former les professionnels est crucial. Josette Vuidepot espère la mise en place d’une spécialisation pour prendre soin des personnes âgées. Elle concernerait, notamment, la connaissance des maladies neurodégénératives, afin de reconnaître leurs symptômes, de les prévenir et de recourir au mode de communication adapté. « Les infirmières ne sont pas du tout formées à la question de la dépendance, déplore cette titulaire d’un DU en gérontologie. Par exemple, on met toutes les personnes démentes dans le même sac, alors qu’il existe une douzaine de pathologies. » La communication avec les personnes souffrant de démence est bien un point à améliorer. Le relationnel peut s’apprendre, selon Guy Chatap. Et cet enrichissement de la formation ne concerne pas que les établissements pour personnes âgées. En effet, des malades d’Alzheimer peuvent passer par les services de médecine ou de chirurgie. Certains soignants sont plus formés en neurogériatrie que des médecins généralistes, confie une infirmière. Parmi les outils d’apprentissage, le programme Mobiqual
1– C’est-à-dire d’une cinquième branche de la Sécurité sociale, avec la maladie, le travail, la famille, la retraite.
2– Quatre des six niveaux de la grille Aggir (autonomie, gérontologie, groupes iso-ressources) ouvrent droit à l’Apa.
3– Membre de notre comité de rédaction, comme Josette Vuidepot, également citée dans ce dossier.
4– L’Anire (anire.free.fr) est surtout implantée dans l’Ouest.
5– Voir leur article dans Santé publique. L’état des savoirs, Didier Fassin et Boris Hauray (dir.), La Découverte, 2010.
6– Voir la réflexion d’Annick Morel dans Le cahier de la dépendance, mai 2011 (bit.ly/NEWYZ7).
8– Voir notre actualité du 22 avril 2011 sur www.espaceinfirmier.com
> La survenue de la dépendance concentre l’ensemble des inégalités sociales face à la santé tout au long de la vie. « Après 60 ans, les ouvriers et les ouvrières vivent, en moyenne, plus d’années avec que sans incapacité et endureront aussi plus d’incapacités sévères que les cadres », constate l’Institut national d’études démographiques. Des études longues, entre autres, diminuent le risque de dépendance.
La prise en charge de la dépendance souffre, elle aussi, d’inégalités. Selon les moyens individuels d’abord, par exemple pour contracter une assurance dépendance. Plusieurs rapports établissent que le reste à charge est plus élevé pour les classes moyennes, trop « pauvres » pour bénéficier des avantages fiscaux et trop « riches » pour décrocher certaines aides au logement. Ces personnes touchant entre 1 200 et 1 800 euros mensuels constituent la plus grande part des résidants d’Ehpad, dont les trois quarts sont des femmes (à la retraite mensuelle moyenne de 800 €). Les restes à charge en Ehpad sont plus élevés dans le secteur privé à but lucratif. À tel point que le Conseil économique, social et environnemental propose de « réserver un nombre de lits à l’aide sociale dans tout nouvel établissement privé lucratif et non lucratif ».
Au niveau géographique, les établissements ne sont pas équitablement répartis, de même que les IDE salariés de Ssiad et les Idel, plus nombreux dans le Sud. La prise en charge varie aussi selon qu’elle se déroule à l’hôpital ou en Ehpad, et selon les départements : ici, les droits à l’Apa sont ouverts dès réception de la demande, et là, seulement après un certain temps… « Une définition minimum des critères est fixée pour l’Apa, mais chaque département peut proposer plus, selon ses moyens », ajoute Loïc Trabut, sociologue, qui cite en exemple deux départements : l’un applique les seuils ; l’autre a créé un cinquième niveau de prise en charge financière pour les plus dépendants. D’aucuns, donc, défendent des règles nationales, notamment pour interdire aux départements de faire appel aux petits-enfants pour l’obligation alimentaire.
> Selon Emmanuel Hirsch, la « dépendance » est un concept « fourre-tout », car renvoyant au physique, au psychique, au social… L’expression « perte d’autonomie », est moins négative. La dépendance est définie par le besoin de la personne de recourir à un tiers pour les actes essentiels du quotidien (s’habiller, manger…). Elle est progressive, mais peut aussi apparaître de façon soudaine, après une chute ou un accident vasculaire cérébral. Les démences sont la principale cause de dépendance au grand âge. Celle-ci se distingue de la fragilité, marquée par des signes précurseurs, telles une perte de poids ou la peur de tomber. Dans ce cas, il ne s’agit pas de compenser mais d’accompagner. Pour les statistiques, l’Allocation personnalisée d’autonomie (Apa), attribuée à partir de 60 ans, est souvent la référence. Elle est touchée pendant quatre ans et à partir de 84 ans en moyenne. Fin 2011, 1,2 million de personnes la percevaient, dont 60 % à domicile. C’est avec une dépendance de plus en plus élevée que les personnes âgées entrent en établissement, majoritairement publics. En 2040, le nombre d’allocataires de l’Apa pourrait dépasser les 2 millions.
Handicap et dépendance sont deux secteurs distincts, le premier disposant de plus de moyens que le second. Une unification de ces deux champs politiques est déjà en œuvre dans des départements et a retenu l’attention au niveau national. Mais « la convergence annoncée dans la loi n’a pas eu lieu, pour des raisons économiques. Elle n’est plus d’actualité », analyse Claudy Jarry, de la Fnadepa. Nicolas Sarkozy, inaugurant la réflexion sur la dépendance en 2011, avait exprimé son refus « de diluer le handicap dans la dépendance ». Mais d’autres s’étonnent de l’existence d’une barrière de l’âge qui conduit à considérer une même personne comme handicapée avant 60 ans et dépendante ensuite. Dossier à suivre ?
> « Le scénario du libre choix », selon le Centre d’analyse stratégique, en 2006 : bit.ly/MVuMUh
> La « Politique de l’âge », par la députée Michèle Delaunay, aujourd’hui ministre, en 2009 : bit.ly/OBJZgM
> Sur le site du ministère, des liens vers les travaux du débat national sur la dépendance de 2011 : bit.ly/Qrevap
> Le rapport du sénateur Trillard sur la prévention de la dépendance : bit.ly/L3Yqcv
> Le rapport de la députée Valérie Rosso-Debord : bit.ly/bp69zy
> Le rapport d’information du Sénat, sous la présidence de Philippe Marini : bit.ly/N06R6c
> L’avis du Conseil économique, social et environnemental : bit.ly/MVsLrd
> Les pratiques infirmières avancées, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques : bit.ly/LMeQWV
> La position de l’Ordre sur la prise en charge infirmière de la dépendance : bit.ly/LEWKWM
> Un cours du Collège national des enseignants de gériatrie : bit.ly/MpQvmK