DOSSIER
QUESTIONS SUR
En tant que soignant, j’appréhende l’acte transfusionnel. Ce soin me paraît dangereux, pour le patient et pour moi. À quand le risque zéro dans ce domaine ?
La transfusion sanguine reste une thérapeutique incontournable dans certaines indications, et, comme toute thérapeutique, présente des risques résiduels et potentiels. Lorsque l’indication est bien posée, les bénéfices dépassent largement les risques. L’application des bonnes pratiques est un gage de sécurité pour le soignant et le patient.
Le dépistage génomique viral (DGV) recherche les trois virus majeurs (VIH, VHB, VHC) dans tous les dons du sang, sur des échantillons unitaires. Le nombre estimé des dons infectés par an est de 1 pour le VIH, 2 pour le VHB, 1 tous les deux à trois ans pour le VHC. Il s’agit là d’une estimation calculée, s’appuyant sur la durée en jours de la fenêtre silencieuse et sur le taux de l’incidence de l’infection. Dans les quatre dernières années, aucun cas de séroconversion récente VIH ou VHC n’a été recensé par le système d’hémovigilance en France. Une seule infection VHB a été diagnostiquée en 2008 suite à une transfusion en 2007.
Oui. De 2008 à 2011, environ 10 décès par an avec une imputabilité forte de la transfusion ont été recensés. Les principales causes en sont : l’œdème pulmonaire (TACO ou TRALI), l’allergie, et l’infection bactérienne (IBTT) du produit sanguin.
Les deux premiers diagnostics sont en partie liés au statut du receveur. TACO et TRALI sont des acronymes anglo-saxons pour différencier l’œdème pulmonaire lésionnel (TRALI) de l’œdème pulmonaire de surcharge (OAP) ou hydrostatique. Le TRALI survient volontiers dans des circonstances complexes, chez des malades en état critique où peuvent coexister d’autres causes d’OAP lésionnel (ALI). Quant au TACO, la responsabilité de la transfusion peut être difficile à affirmer. Certains y voient plus une complication d’une maladie cardiaque ou rénale préexistante à la transfusion. Le respect des bonnes pratiques transfusionnelles et l’application des recommandations de consensus professionnel devraient permettre de les réduire de façon significative.
L’infection bactérienne (IBTT) des produits sanguins, quoique rare, reste un problème préoccupant pour le réseau d’hémovigilance. Les produits sanguins sont contaminés par des germes issus de donneurs sains : il s’agit de bactéries de la flore cutanée, de l’environnement ou, plus rarement, des voies digestives. Le dépistage rapide de l’effet indésirable par la surveillance stricte du patient pendant et après la transfusion est essentiel pour le diagnostic et la mise en évidence du germe responsable. Le tableau clinique évocateur comprend un ou plusieurs signes, dont : température supérieure à 39 °C ou augmentation de température de plus de 2 °C, frissons, tachycardie supérieure à 120 pulsations par minute ou augmentation de la fréquence cardiaque de plus de 40 pulsations par minute, baisse de la tension artérielle supérieure à 30 mm Hg, parfois état de choc.
Dans tous les cas, seul le médecin en charge du patient est à même de porter le diagnostic de suspicion d’IBTT. Il s’agit alors de mener une enquête bactériologique pour retrouver le germe responsable qui doit impérativement être isolé à la fois dans les hémocultures du patient (deux séries d’hémocultures à une heure d’intervalle à partir d’un abord veineux différent de celui sur lequel a eu lieu la transfusion) et dans le(s) produit(s) sanguin(s) transfusé(s) (examen bactériologique et culture du PSL dans un laboratoire agréé). Le débranchement immédiat de la poche de produit sanguin selon la technique du double nœud permet de limiter la contamination rétrograde du PSL, responsable de faux positifs après culture du PSL. Il est très important, également, de prévenir immédiatement l’EFS référent de la suspicion d’IBTT pour mise en quarantaine d’éventuels produits sanguins issus du même don. Lorsque l’IBTT est avéré, une enquête ascendante chez le donneur, parfois des enquêtes d’hygiène par le Cclin sont nécessaires pour retrouver l’origine et les modalités de la contamination, dans un objectif de prévention.
Les réactions allergiques représentent toujours, en 2010, 22 % des déclarations d’EIR de gravité 1 à 3. Le diagnostic d’effet indésirable « allergique » est suspecté en cas de survenue d’un ou plusieurs des signes cliniques suivants, habituellement durant la transfusion, ou pendant les quatre heures qui suivent :
– signes cutanéo-muqueux : urticaire localisée ou généralisée, érythème généralisé, prurit, angio-œdème de la face, des muqueuses (œdème de Quincke) ;
– signes cardio-vasculaires : tachy ou bradycardie, trouble du rythme, hypotension, collapsus ou arrêt cardio-circulatoire ;
– signes respiratoires : toux, dyspnée, bronchospasme, cyanose, hypoxémie ;
– signes digestifs : nausées, vomissements, diarrhée, douleur abdominale ;
– autres signes cliniques : rhinite, conjonctivite, dysphagie, dysphonie, vertiges intenses, malaise, angoisse, sensation de mort imminente.
Les produits sanguins les plus souvent en cause sont les concentrés de plaquettes par aphérèse et les plasmas thérapeutiques. Le diagnostic biologique de l’allergie est difficile. Les réactions « allergiques » graves nécessitent des dosages d’histamine dans les 30 min suivant l’apparition des signes cliniques, de tryptase (de 30 min à 2 heures suivant l’apparition des signes cliniques, puis à 24 heures). Le dosage des IgA ainsi que la recherche d’anticorps anti-IgA sont conseillés dans certains cas graves. La prévention est difficile : la prémédication par anti-histaminiques n’est pas toujours efficace, la transfusion de PSL déplasmatisés en cas d’allergie aux plaquettes ou aux CGR peut être indiquée.
Oui. L’erreur ABO reste un risque résiduel inéluctable en matière de transfusion (une dizaine de cas par an), car toujours lié à l’erreur humaine. Les dysfonctionnements multifactoriels sont principalement dus au nombre important d’intervenants de la chaîne transfusionnelle, à la complexification des tâches, notamment en services de soins. Dans tous les cas, le contrôle ultime prétransfusionnel est défaillant : non réalisé, mal réalisé, mal interprété… De la mauvaise identification du receveur lors des prélèvements sanguins pour groupage à l’erreur de patient au moment de la pose de transfusion, en passant par des dysfonctionnements de transmission de données informatiques, chaque maillon de la chaîne transfusionnelle représente un risque potentiel de dysfonctionnements. La traduction clinique des erreurs ABO est polymorphe allant de l’absence de signes cliniques, en passant par le syndrome fièvre/frissons, l’inefficacité transfusionnelle, jusqu’au choc hémolytique pouvant aboutir au décès. C’est pourquoi, pour tout effet indésirable lié à une transfusion, l’erreur ABO doit être envisagée. Lorsqu’elle est confirmée, et même en cas d’absence de signes cliniques, une analyse cause-racines multidisciplinaire doit être réalisée (voir encadré).
Étant donné le faible risque résiduel de la transmission par transfusion des virus majeurs, les sérologies virales post-transfusionnelles ne sont plus obligatoires depuis la parution de la circulaire DGS/DHOS du 11 janvier 2006. La recherche d’anticorps anti–érythrocytaires (communément dénommés « anticorps irréguliers »), RAI post-transfusionnelle entre 1 et 3 mois suivant l’épisode transfusionnel reste obligatoire. L’apparition d’anticorps irréguliers a été estimée à 5,6 pour 10 000 produits sanguins transfusés sur la période 2000-2008. Ces chiffres sont susceptibles d’augmenter dans les années futures en raison de l’âge de plus en plus élevé des patients transfusés qui ne bénéficient pas de recommandations de transfusion en CGR phénotypés. Dans chaque établissement, le respect des protocoles de dépistage d’anticorps irréguliers avant et après transfusion, validé en CSTH, permettra d’éviter les accidents d’allo-immunisation. À retenir : « Anticorps un jour, anticorps toujours ! »
De nombreux autres risques sont liés à la transfusion, certains intrinsèques au produit sanguin, comme d’éventuels agents infectieux émergents et non détectables par les techniques de qualification biologique des dons, d’autres extrinsèques, souvent évitables, liés à une mauvaise utilisation des produits sanguins. Dans tous les cas, les accidents les plus graves sont généralement d’expression clinique immédiate : d’où l’intérêt de la surveillance clinique étroite des patients transfusés pendant les quinze premières minutes, et du signalement au réseau d’hémovigilance dans un but d’analyse et de prévention.
→ Un support a été élaboré par l’Afssaps pour réaliser cette analyse, à distance de l’événement indésirable (dans les huit semaines). Il s’agit d’étudier le contexte et les conditions de survenue de l’erreur d’attribution du produit sanguin, de rechercher l’existence de défaillances actives, résultant souvent d’erreurs involontaires des professionnels de santé ou de l’équipe et de défaillances latentes ayant rendu possible la défaillance active. On recherche des facteurs liés :
– à l’individu (état de santé du patient, relation soignant-soigné, qualifications et compétences des professionnels de santé…) ;
– à l’équipe (communication, supervision…) ;
– aux tâches demandées à l’équipe ;
– à l’environnement, aux conditions de travail (locaux, charge de travail…) ;
– à l’organisation (définition des responsabilités, gestion du personnel…) ;
– aux décisions managériales ou institutionnelles (contraintes financières, culture qualité/risque, plans de formation…).
→ La collecte de ces données se réalise autour d’un entretien collectif conduit par un enquêteur désigné au sein de l’établissement et qui va réunir l’ensemble des acteurs du circuit transfusionnel. L’analyse de ces données permettra de prendre des mesures correctives et préventives, tant au niveau institutionnel qu’organisationnel ou individuel, en toute confidentialité et sans porter de jugement.
Un retour d’expérience permettra de partager les enseignements avec tous les professionnels susceptibles d’être confrontés à une situation similaire.