APRÈS LA MALADIE
REPORTAGE
Juillet dernier à Chamonix : dix-sept enfants en rémission d’un cancer arrivent à la maison de l’association À chacun son Everest !. Pendant une semaine, ils vont partager activités sportives et quotidien avec une équipe médicale et d’encadrement, jusqu’au jour J, où ils graviront leur sommet… Pour mieux guérir.
Waouh ! C’est trop bien ! On a eu de la chance d’être malades finalement. » C’est le cri du cœur d’une ado découvrant sa chambre dans la maison de l’association À chacun son Everest !, à Chamonix. Ironie, désinvolture, inconscience, ou simple envie de redevenir un enfant comme les autres après avoir traversé l’épreuve du cancer ? Servane, Ilyan, Lauryn, Hammadi, Noémie, Yanis et les autres ont été malades : leucémies, neuroblastome, lymphome de Burkitt… Beaucoup ont subi une greffe de moelle osseuse, suite à une chimiothérapie à hautes doses, certains suivent encore des traitements, tous sont en rémission complète. L’hôpital a été leur maison pendant des mois, un an, puis ils sont sortis, et doivent se réadapter à la vie normale. Ce 7 juillet, ils sont dix-sept, âgés de 8 à 14 ans, à débarquer au pied du mont Blanc pour le premier stage estival de l’association. Ils ont été soignés en région parisienne et sont envoyés par l’un des établissements partenaires, les hôpitaux Debré, Trousseau et l’Institut Gustave-Roussy. Pour les accompagner, une infirmière, Isabelle Galantine, et un médecin, Aude Melin, bénévoles, ainsi qu’une équipe d’animateurs et de professionnels de la montagne. Enfin, Sylvie Labaye, infirmière permanente à la maison de Chamonix, et Christine Janin, fondatrice de l’association. Médecin et alpiniste, cette dernière fait un parallèle symbolique entre l’ascension de l’Everest (elle fut la première française à le gravir, ndlr) et la maladie : « J’utilise la montagne comme outil thérapeutique. La semaine que les enfants passent ici fait partie d’un cheminement. Leur corps est guéri, mais peut conserver des séquelles, et ils gardent souvent des blessures psychologiques, conséquences d’un traitement lourd, d’une longue période d’isolement… La maladie laisse aussi des angoisses, des peurs enfouies derrière une apparente insouciance. Au long du séjour, ils passent des étapes, certains lâchent des choses. C’est aussi ça leur Everest », explique Christine. Ainsi, malgré les apparences, ce stage n’est pas une simple colonie de vacances, loin s’en faut.
Samedi soir, au salon bleu. Dès leur arrivée, les enfants sont plongés dans l’univers d’À chacun son Everest !. Jeux pour apprendre à se connaître, puis premier contact avec la métaphore filée du sommet : cordée, challenge, dépassement de soi, courage, détermination… « Qui se reconnaît ? », demande Christine. Silence. Puis, petits « nous » timides et interrogatifs. « Oui, vous ! Affronter votre maladie a été aussi difficile que l’Everest pour moi. Ici, vous allez vous entraîner pour gravir votre sommet vendredi ». Mo-ti-vés ! sera le leitmotiv de la semaine. « Qui s’est senti différent à un moment ou à un autre ? » Presque toutes les menottes se lèvent. « À la sortie de l’hôpital, l’image est gravée en eux : je suis malade, fragile. Les autres portent sur ces enfants un regard attendri ou compatissant. Le but est de les faire sortir de cette posture. Ici, ils sont tous à la même enseigne », précise Isabelle, l’infirmière bénévole. D’ailleurs, il y a des règles de vie dans cette maison : déposer ses chaussures à l’entrée, ranger sa chambre, mettre la table, « parce que c’est important qu’ils retrouvent leur autonomie, insiste Christine, tout en participant à la vie du groupe ».
Dimanche matin, après le petit-déjeuner, effervescence au sous-sol. « On va chercher nos habits ! », lance Mathis, 9 ans, toujours à 200 à l’heure. Les loupiots vont être équipés de la tête aux pieds : polaire, coupe-vent, bonnet, chaussures… « Qui n’a pas de sac à dos ? », demande Matthieu Rolland, le guide de montagne. À côté, Toto, 8 ans, s’impatiente. Il attend Serge, animateur bénévole, qui fouille les armoires pleines à craquer de vêtements de toutes les tailles pour lui dégoter des chaussettes épaisses. Pendant ce temps, Aude et Isabelle étudient les dossiers médicaux. Comme pour chaque stage, c’est un duo de bénévoles qui assure le suivi des enfants. Médecins et infirmières de toute la France peuvent décider de prendre une semaine de leur temps libre pour participer à l’aventure. Pour Isabelle, ce choix s’inscrit dans le droit fil de son expérience professionnelle. Elle a travaillé à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif pendant quatre ans : « J’étais de l’autre côté de la barrière, on envoyait des enfants ici. À l’époque, je ne pensais pas à faire du bénévolat. C’est le hasard qui m’a fait recroiser l’association et, cette fois, il m’est apparu évident de venir. C’est une façon de boucler la boucle. » Et le hasard ne s’est pas arrêté en si bon chemin, car, en consultant la liste des enfants du stage, elle a reconnu le nom d’une jeune fille qu’elle avait soignée. « J’ai passé des heures à la bercer, je me souvenais de son visage… » Le binôme médical, qui ne se connaissait pas, est sur la même longueur d’onde. En début d’après-midi, avant le départ pour la première randonnée, elles briefent l’équipe d’encadrement sur les pathologies de chaque enfant, leurs séquelles, la fatigabilité… Et c’est parti !
Sur la terrasse, les adultes « crèment » les enfants, protection 100, sinon rien ! On fait la moue. Puis, les trois monospaces de l’association conduisent la petite troupe au lieu de la balade. « Stop ! Attendez ! » La cordée marche depuis une dizaine de minutes quand Aurore, 14 ans, se sent mal. Ses jambes lâchent. Pâle, elle se laisse tomber sur le sol. Aude et Isabelle l’entourent, lui posent une polaire sur le torse. « J’avais la tête qui tournait », confiera-t-elle ensuite. Aude rassure : « Ce n’est pas grave, l’effort a rappelé à son corps des douleurs anciennes. » Celles de la chimio. Quelques minutes et un biscuit après, ça va mieux. « Je n’avais pas fait de sport depuis ma sortie de l’hôpital », précise Aurore, tout sourire, prête à repartir. La randonnée s’achève sans autre incident, ponctuée de pauses pour s’hydrater ou prendre un goûter bien mérité. « On va marcher comme ça tout le temps ? », rale Servane, 12 ans. « Demain, c’est le jour des animaux ! », répond Sylvie, l’infirmière salariée de l’association. Ouf !
Lundi matin, direction le parc animalier Merlet. Quatre groupes, un challenge : ramener LA photo insolite. Les amitiés commencent à se tisser entre les ados, les garçons, les petites… « On va les gagner, assure Victoire, 8 ans, brandissant son carnet de dessin. On pourra présenter ça aussi ! » Volubile, souriante, première de sa classe, la petite fille confie néanmoins : « Quand je suis retournée à l’école après ma maladie, les autres enfants se moquaient de moi parce que j’avais pas de cheveux. J’avais expliqué pourtant, mais ils comprenaient pas, je pense. » Ici, tous ont ce vécu en commun. Ils se comprennent au-delà des mots. « Le phénomène de groupe est important. Ils se motivent les uns les autres », souligne Sylvie, l’infirmière. Et l’après-midi, les voilà partis pour une cani-rando avec des huskys !
C’est une règle à la maison d’À chacun son Everest !. « Le plaisir est une chose importante, que, parfois, ils ne savourent plus. Ça peut être simple : une fleur, un sourire, mais c’est quatre minimum par jour ! », précise Christine. « Moi j’en ai plein !, s’écrie Océane, 11 ans, énumérant : « Le paysage, la cani-rando, les copines, la gentillesse des animateurs, nos salles de bain à nous, les affaires prêtées… » Anouk, 9 ans, écoute en silence, elle ne sait pas trop ce que sont ses plaisirs à elle. La petite fille a subi une opération suite à un ostéosarcome du fémur droit. Elle a une jambe plus courte que l’autre et boîte, posant seulement la pointe du pied sur le sol. Un handicap qu’elle maîtrise comme une grande. Mais, sa maladie, elle n’en parle pas à ses copines. « C’est pas rigolo », chuchote-t-elle. Sur sa chaise de bois trop haute, elle balance ses jambes dans le vide. « Tu sais, on a tous été malades ici, tu peux nous parler… », lui dit gentiment Océane, qui a passé trois mois à l’hôpital, traitée pour une aplasie médullaire idiopathique, et a subi une greffe de moelle osseuse. « C’est mon petit frère qui m’a sauvée… Mais c’est rien par rapport à Aurore, estime-t-elle. Son traitement a duré un an et demi ! Imagine… » Ceux qui ne l’ont pas vécu ont du mal à se figurer ce monde hospitalier hostile, ces soins lourds aux effets secondaires douloureux, insoutenables. Anouk acquiesce, puis change de sujet. « La première randonnée a été difficile, mais pas la cani-rando. J’ai adoré ! », confie-t-elle dans un sourire radieux.
Être « capables »
Mardi, jour de l’escalade. Le matin, sur le rocher, on apprend à faire des nœuds, à assurer les copains, à se mettre en position de rappel, puis, c’est l’ascension. Pas évidente pour tout le monde. « J’avais un peu peur, mais là ça va ! », confie Servane. Le vide, la mort, se lâcher. L’orage menace, direction la salle d’escalade de la maison, qui permet de pratiquer cette activité phare du stage même par mauvais temps. Encore néophyte le matin, Fabien, 11 ans, confiait, angoissé : « J’ai le vertige. » Il a finalement été l’un des plus téméraires. « Regarde, je suis monté jusque-là ! », lance-t-il, tout fier, du haut d’un mur de niveau élevé. À travers l’épreuve surmontée, les enfants réalisent qu’ils sont « capables ». « On a tendance à assister ces enfants. Même lorsqu’ils rentrent à la maison, les parents les cocoonent, terrifiés à l’idée de la rechute. Ici, on leur montre qu’ils sont normaux, et capables de faire des choses qu’ils n’auraient pas imaginées. Avec ce vécu en plus, qui leur donne une certaine maturité ? », assure Isabelle. Et le soir, dans les chambres, comme n’importe quels autres enfants, les petits cajolent leur nounours, les grandes se pomponnent…
Mercredi matin. Petite randonnée de milieu de semaine. Galvanisé par sa performance à l’escalade, Fabien est enthousiaste : « J’aurais bien aimé faire l’Everest avec Christine, dommage que j’étais pas né ! » La veille, séance ciné au salon, avec le film Désir d’Everest. Les enfants ont regardé, captivés, Christine évoluer vers les cimes…
Jeudi. Pendant qu’un groupe fait de l’accro-branche dans le jardin aménagé en parc aventure, les autres écrivent à leur médecin. « Cet atelier leur permet de mettre des mots sur ce qu’ils ressentent, d’écrire des choses qu’ils ne diraient pas spontanément, de prendre conscience de ce qu’ils ont vécu pour mieux le dépasser », précise Christine. Les lettres colorées et décorées minutieusement parlent d’elles-mêmes : « Merci Docteur, grâce à vous je suis vivant »?; « Je vous remercie d’avoir trouvé un donneur et de m’avoir accompagnée dans ma greffe et dans mon hospitalisation »?; « Grâce à vous, je suis À chacun son Everest ! Et bien joyeux ici »?; « Je suis très contente d’avoir été si courageuse à Chamonix »…
Des rôles inversés
Le jour J arrive enfin. Les dix-sept aventuriers sont sur le qui-vive. Le temps est maussade, Matthieu a décidé de changer de site pour l’ascension, qui sera donc plus facile que prévu. Dans le téléphérique, Isabelle est nerveuse. D’instinct, Arnaud, 11 ans, la rassure, fier d’être son ange gardien. Les rôles s’inversent. « J’ai vraiment une appréhension dans ces engins, affirme l’infirmière. Quand j’ai vu qu’il appréciait de me soutenir, j’ai laissé faire. » Prenant son rôle au sérieux, Arnaud relativise : « Ne t’inquiète pas, profite du paysage. »
Mardi, jour de l’escalade. Le matin, sur le rocher, on apprend à faire des nœuds, à assurer les copains, à se mettre en position de rappel, puis, c’est l’ascension. Pas évidente pour tout le monde. « J’avais un peu peur, mais là ça va ! », confie Servane. Le vide, la mort, se lâcher. L’orage menace, direction la salle d’escalade de la maison, qui permet de pratiquer cette activité phare du stage même par mauvais temps. Encore néophyte le matin, Fabien, 11 ans, confiait, angoissé : « J’ai le vertige. » Il a finalement été l’un des plus téméraires. « Regarde, je suis monté jusque-là ! », lance-t-il, tout fier, du haut d’un mur de niveau élevé. À travers l’épreuve surmontée, les enfants réalisent qu’ils sont « capables ». « On a tendance à assister ces enfants. Même lorsqu’ils rentrent à la maison, les parents les cocoonent, terrifiés à l’idée de la rechute. Ici, on leur montre qu’ils sont normaux, et capables de faire des choses qu’ils n’auraient pas imaginées. Avec ce vécu en plus, qui leur donne une certaine maturité », assure Isabelle. Et le soir, dans les chambres, comme n’importe quels autres enfants, les petits cajolent leur nounours, les grandes se pomponnent…
Mercredi matin. Petite randonnée de milieu de semaine. Galvanisé par sa performance à l’escalade, Fabien est enthousiaste : « J’aurais bien aimé faire l’Everest avec Christine, dommage que j’étais pas né ! » La veille, séance ciné au salon, avec le film Désir d’Everest. Les enfants ont regardé, captivés, Christine évoluer vers les cimes…
Jeudi. Pendant qu’un groupe fait de l’accro-branche dans le jardin aménagé en parc aventure, les autres écrivent à leur médecin. « Cet atelier leur permet de mettre des mots sur ce qu’ils ressentent, d’écrire des choses qu’ils ne diraient pas spontanément, de prendre conscience de ce qu’ils ont vécu pour mieux le dépasser », précise Christine. Les lettres colorées et décorées minutieusement parlent d’elles-mêmes : « Merci Docteur, grâce à vous je suis vivant » ; « Je vous remercie d’avoir trouvé un donneur et de m’avoir accompagnée dans ma greffe et dans mon hospitalisation » ; « Grâce à vous, je suis À chacun son Everest ! Et bien joyeux ici » ; « Je suis très contente d’avoir été si courageuse à Chamonix »…
Le jour J arrive enfin. Les dix-sept aventuriers sont sur le qui-vive. Le temps est maussade, Matthieu a décidé de changer de site pour l’ascension, qui sera donc plus facile que prévu. Dans le téléphérique, Isabelle est nerveuse. D’instinct, Arnaud, 11 ans, la rassure, fier d’être son ange gardien. Les rôles s’inversent. « J’ai vraiment une appréhension dans ces engins, affirme l’infirmière. Quand j’ai vu qu’il appréciait de me soutenir, j’ai laissé faire. » Prenant son rôle au sérieux, Arnaud relativise : « Ne t’inquiète pas, profite du paysage. »
Séparés en deux groupes, les enfants marchent vaillamment. « Quand est-ce qu’on arrive ? », demande Lauryn, 9 ans. Bientôt. Un passage escarpé où il faut passer un par un… et le sommet. Les derniers courent pour rejoindre leurs copains, qui brandissent déjà le drapeau d’À chacun son Everest !. C’est fait. « J’ai même pas été fatiguée !, s’enthousiasme Aurore. Je me sens plus forte, mais ça veut pas dire que j’aurai plus peur. » Pour la jeune fille, cette semaine a été bénéfique, mais « le plus important, ce sont les gens géniaux que j’ai rencontrés ». Plus timide, Yanis, 11 ans, chuchote : « Ici, on a tous été malades, c’est pas comme une colonie. C’est vraiment bien. » Ce vendredi soir, ils sont sur leur 31 pour la remise officielle des diplômes et la boum tant attendue ! « Je reçois des lettres d’adultes qui sont venus il y a des années et se souviennent. Certains passent me voir, restent quelques jours. Cette maison devient un repère. C’est un symbole important », affirme Christine. Ceux-là aussi reviendront peut-être sur les traces de leur Everest. Pour l’instant, ils retrouvent leurs parents sur le quai de la gare, avec la certitude que oui, ils ont été malades, mais ils ont fait des choses extraordinaires à Chamonix. « Je vais montrer mon diplôme et tout raconter ! », lance Mathis, fier et exalté dans le train. Quelques jours plus tôt, après l’escalade, il avait salué les animateurs : « Au revoir et merci pour ce que vous avez fait pour nous ! »
CHARLES KAOUA PÈRE DE JEANNE
« Ma fille Jeanne a participé à un stage en avril 2011. Elle est rentrée ravie, a gardé contact avec une copine. Le séjour lui a donné envie d’aller vers les autres. Mais, surtout, elle a été marquée par la parallèle entre le sommet et la maladie. Depuis, elle chemine. Elle fait de l’escalade… Pendant l’été 2011, nous sommes allés à Chamonix avec toute la famille, et avons passé une journée à la maison d’À chacun son Everest ! Le concept de ces stages est incroyable, l’encadrement, super. Suite à cette visite, j’ai proposé de venir aux départs, afin de rencontrer les parents, et de répondre à leurs questions ou appréhensions autour d’un café. Je ne dévoile cependant pas tout, pour laisser aux enfants le plaisir de raconter. »
Créée en 1994, l’association a accueilli 3 291 enfants sur 246 stages. Pour participer à un stage en tant que bénévole, envoyez un email via le site www.achacun soneverest.com