ALIMENTATION
SUR LE TERRAIN
ENQUÊTE
L’éducation nutritionnelle est au cœur des enjeux actuels de santé publique. L’infirmière et la diététicienne travaillent main dans la main pour préserver les intérêts d’une partie croissante de la population à risque ou déjà en danger.
À l’Éducation nationale, en entreprise, dans les établissements de santé ou les réseaux de soins, les infirmières jouent un rôle déterminant en matière d’éducation à la nutrition. Dans le champ de la promotion de la santé ou de l’éducation thérapeutique, elles interviennent souvent en complémentarité ou en relais des diététiciennes. La surveillance de l’hygiène et de l’équilibre alimentaire ainsi que l’éducation du patient font partie du rôle propre infirmier. Bien que les diététiciennes soient les seules professionnelles paramédicales habilitées à assurer des consultations de diététique, les infirmières sont cependant très impliquées. Pour répondre à ces besoins en pratiques avancées, les formations continues universitaires de nutrition-diététique sont d’ailleurs ouvertes aux professionnels infirmiers. Sur le terrain, le personnel dédié à ces missions varie. Dans les grands hôpitaux et les services spécialisés, infirmière et diététicienne collaborent étroitement, tandis que dans les établissements de santé de taille modeste, les infirmières sont souvent seules à dispenser des conseils nutritionnels.
En France, le Programme national nutrition santé (PNNS) a pour objectif principal l’amélioration de l’état de santé de la population en agissant sur l’un de ses déterminants majeurs, la nutrition. De la maternelle à l’université, les infirmières scolaires sont les pivots de la déclinaison des recommandations du PNSS sur le terrain. « La nutrition est l’un des thèmes de promotion de la santé les plus fréquemment travaillés par les infirmières de l’Éducation nationale », rappelle Brigitte Accart, infirmière dans un collège du Val-d’Oise et secrétaire générale du Snies (Syndicat national des infirmières éducatrices de santé). Au sein du collège dans lequel elle intervient, Brigitte Accart a initié cette année un certain nombre d’animations collectives autour de la nutrition : petit-déjeuner pour les classes de sixième accompagnés d’échanges sur l’équilibre alimentaire, connaissance des fruits exotiques lors de la Semaine du goût, mise en place d’un club nutrition pour les collégiens volontaires en partenariat avec la documentaliste… Référentes santé auprès des responsables d’établissement, ce sont les infirmières qui impulsent les actions de promotion de la santé portées, parfois, par la communauté éducative. Dans les priorités de santé publique définies chaque année par l’Éducation nationale, l’éducation nutritionnelle est toujours présente, à côté de la prévention des conduites addictives, de la formation aux premiers gestes de secours ou encore de l’éducation à la sexualité et à la contraception. « Nous travaillons souvent avec les professeurs, notamment ceux de sciences de la vie, puisque la nutrition fait partie de leur programme », ajoute Brigitte Accart. Édith Chapitreau, infirmière dans un lycée agricole en Vendée et présidente de l’Association des infirmières de santé publique, défend aussi cette mission essentielle d’éducation à la santé en faveur des élèves. « Dans les lycées, il nous faut souvent convaincre l’administration que nous ne sommes pas seulement là pour soigner les bobos », précise-t-elle.
Outre les actions collectives d’éducation nutritionnelle, les consultations infirmières sont l’occasion de dépister surpoids et obésité chez les enfants et les adolescents. D’après les enquêtes épidémiologiques, 18 % des enfants âgés de 3 à 17 ans sont en surpoids, dont 3,5 % sont classés comme obèses. La probabilité qu’un enfant obèse le reste une fois adulte est comprise entre 20 % et 50 % avant la puberté et entre 50 % et 70 % après la puberté. Le surpoids et l’obésité chez les enfants constituent, de fait, un véritable problème de santé publique. « Nous assurons des visites systématiques par tranches d’âge, principalement en élémentaire, mais aussi au collège. Ces consultations nous permettent de suivre l’évolution du statut pondéral de chaque enfant », explique Brigitte Accart. Lorsque l’IMC est trop élevé, les infirmières font un premier bilan nutritionnel (habitudes alimentaires, pratique sportive…) avec l’enfant et, éventuellement, ses parents. Ce bilan permet de donner quelques conseils d’hygiène de vie et d’équilibre alimentaire, et, si besoin, d’orienter l’enfant vers une diététicienne ou un médecin nutritionniste. Au collège et au lycée, il est, par ailleurs, demandé aux infirmières d’être attentives aux troubles du comportement alimentaire, notamment l’anorexie chez les adolescentes, afin d’orienter les élèves et leurs familles vers les spécialistes de ces pathologies. « Nous n’avons ni les moyens ni le temps d’assurer un suivi rapproché, les infirmières scolaires s’occupent d’environ 1 500 enfants en moyenne. Notre rôle est plutôt d’orienter et de convaincre l’enfant et ses parents de l’importance d’une prise en charge spécialisée », continue Brigitte Accart. Dans certains établissements, les infirmières peuvent même participer au choix des menus de la cantine avec l’intendance et l’équipe de cuisine. Elles ont alors un rôle crucial pour l’hygiène alimentaire au quotidien des enfants et des adolescents.
Le code du travail dispose que l’infirmière du travail participe à l’amélioration des conditions de vie et de travail dans l’entreprise, à la surveillance de l’hygiène des services de restauration, ainsi qu’à la prévention et à l’éducation sanitaire en rapport avec l’activité professionnelle. Les horaires décalés et le travail de nuit, lesquels concernent environ un quart de la population active, représentent de véritables risques professionnels. L’être humain est programmé pour travailler et manger le jour, dormir et jeûner la nuit. Des études ont montré que le travail en horaires atypiques entraîne des troubles du sommeil et digestifs mais aussi une prise de poids associée à une augmentation des risques cardio-vasculaires. « Les conseils concernant l’hygiène de vie, l’alimentation et les horaires “atypiques” font partie de la mission d’infirmier de santé au travail. Ces aspects sont abordés lors des entretiens infirmiers », confirme Véronique Bacle, cadre infirmière au sein du SSTRN de Lille, un service inter-entreprises de santé au travail. Responsable pédagogique de la licence santé et travail à l’université de Lille, elle ajoute que les conséquences sur la santé de ces risques organisationnels, la prévention et les conseils à donner aux salariés sont d’ailleurs traités au cours de la formation universitaire des infirmières de santé au travail. Émilie Durupt, infirmière au sein de l’usine Elring Klinger Meillor, en Haute-Vienne, assure depuis quelques années une éducation à l’hygiène alimentaire lors des entretiens infirmiers destinés aux personnels de nuit. « Je leur conseille de bien répartir leurs apports alimentaires, de prendre une collation de nuit. J’ai rédigé un petit résumé qui reprend les grands principes de l’équilibre alimentaire avec quelques exemples de menus adaptés aux horaires de nuit », explique-t-elle. En tant qu’infirmière de santé au travail, elle estime avoir aussi un rôle de promotion de la santé auprès des salariés de son usine. « Il m’arrive de conseiller à certains salariés en surpoids de prendre rendez-vous auprès d’une diététicienne », poursuit Émilie Durupt. Certaines grandes entreprises organisent des campagnes de santé publique généralement axées sur la prévention des risques cardio-vasculaires, des conduites addictives, sur l’hygiène alimentaire ou le sommeil. Elles sollicitent alors les infirmières de santé au travail pour leur mise en œuvre.
Dans leur rôle de promotion de la santé, les infirmières devraient uniquement rappeler les règles de base d’une alimentation équilibrée, avec des apports nutritionnels suffisants. En cas de pathologie nutritionnelle avérée nécessitant un régime particulier, elles sont censées orienter les personnes vers une diététicienne ou un médecin nutritionniste. S’agissant des pathologies chroniques comme le diabète, les pathologies cardiaques ou rénales, ce sont, notamment, les infirmières qui assurent des séances d’éducation thérapeutique au cours desquelles sont abordés les aspects nutritionnels en lien avec les traitements et la maladie. L’éducation thérapeutique en insulinothérapie fonctionnelle, c’est-à-dire l’adaptation des doses d’insuline en fonction des repas, est assurée par les infirmières des services spécialisés ou des réseaux de diabétologie. La plupart de ces structures font cependant appel à des diététiciennes pour l’éducation thérapeutique nutritionnelle. « Nous travaillons en complémentarité avec la diététicienne du réseau », précise Carole Bénia, infirmière d’éducation thérapeutique pour le réseau LoirEstDiab dans le Loiret. « Cependant, il est toujours utile de vérifier auprès des patients ce qu’ils ont compris des consultations diététiques et de leur rappeler les bases d’une alimentation équilibrée. »
Destiné aux patients diabétiques volontaires, le programme Sophia de l’assurance maladie propose un accompagnement téléphonique personnalisé par des infirmiers-conseillers en santé. Il s’agit de permettre aux patients de mieux connaître leurs maladies, ses complications, mais aussi d’adapter leur mode de vie. « Concrètement, l’infirmier-conseiller en santé encourage les adhérents à mettre en pratique les recommandations du médecin traitant, par exemple en termes d’alimentation, d’activité physique… », précise le site Sophia. En néphrologie, l’éducation nutritionnelle est également primordiale dans la prise en charge des patients insuffisants rénaux. À ce titre, l’AFDTN (Association française des infirmier(e)s de dialyse, transplantation et néphrologie), organise des formations dites « post-basiques » en nutrition pour ses infirmières adhérentes. Des diététiciennes assurent généralement les consultations nutritionnelles dans les services spécialisés. Pour autant, les infirmières voient beaucoup plus fréquemment les patients que les diététiciennes, encore peu nombreuses dans les établissements de santé. « Notre rôle est d’insister sur les messages de nos collègues diététiciennes, de leur rappeler les précautions à prendre. Nous intervenons plutôt en relais ou en complément des consultations de diététique », estime Arielle Desitter, infirmière chargée du suivi des patients en dialyse péritonéale au Centre hospitalier de Dunkerque. Dans les conseils d’hygiène de vie qu’elles sont amenées à donner aux patients stomisés, les infirmières stomathérapeutes abordent elles aussi la question de l’alimentation. Sur un site interactif d’échanges et d’informations sur la stomathérapie (stomanet.fr), ces professionnelles spécialisées ont mis en ligne quelques conseils alimentaires pour aider les personnes ayant subi une stomie digestive ou urinaire. Une utilisation judicieuse des nouveaux outils de communication pour informer et accompagner les patients vers l’autonomie.
À côté du réentraînement à l’effort, l’éducation nutritionnelle est l’un des objectifs prioritaires de la prévention secondaire après un accident ou une maladie cardio-vasculaires. Dans le service de réadaptation cardiaque de l’hôpital Corentin-Celton de l’AP-HP, deux infirmières d’éducation thérapeutique, Catherine Lemoguen et Irène Duquenne, animent des « ateliers sel » destinés aux patients hypertendus ou insuffisants cardiaques. « L’objectif de cet atelier est d’apprendre aux patients où se trouve le sel dans les aliments », explique Catherine Lemoguen. Les infirmières leur proposent des mises en situation pratique, par exemple lorsqu’ils font leurs courses au supermarché ou au magasin d’alimentation du coin, des exemples de menus pour limiter leur apport en sel… Des produits alimentaires factices sont utilisés pour faciliter le dialogue et l’interactivité. Compte tenu de l’importance d’une alimentation de type méditerranéen pour les personnes cardiaques, tous les patients accueillis en réadaptation cardiaque bénéficient d’au moins une consultation avec la diététicienne de l’établissement. Toutefois, les infirmières du service sont fréquemment sollicitées par les patients sur le plan diététique. « Nous sommes bien sûr capables de répondre à toutes leurs questions », ajoute Catherine Lemoguen. La consommation d’alcool est aussi abordée par les infirmières lors des ateliers d’éducation thérapeutique sur les anticoagulants.
Le nombre de diététiciennes et diététiciens en exercice est de l’ordre de 7 000. Environ 60 % d’entre eux travaillent dans des établissements de santé. « L’éducation nutritionnelle représente, certes, le cœur de notre métier. Mais je ne suis pas choquée que nos collègues infirmières participent à l’éducation nutritionnelle des patients, d’autant qu’il n’y pas, à l’heure actuelle, de diététiciennes dans tous les établissements de santé », reconnaît Isabelle Parmentier, cadre supérieure diététicienne au CHU de Lille et présidente de l’Association française des diététiciens nutritionnistes (AFDN). « Toutefois, un vrai diagnostic nutritionnel reste de la compétence des diététiciennes », tient-elle à ajouter. Si la profession existe depuis une cinquantaine d’années, les diététiciennes ne sont reconnues comme professionnelles de santé que depuis janvier 2007. Lorsqu’elles sont présentes dans les structures de soins, ces expertes exercent une fonction support ou ressources en nutrition pour leurs collègues paramédicaux. « La prise en charge nutritionnelle implique un vrai travail pluridisciplinaire avec l’ensemble de nos collègues paramédicaux », souligne Isabelle Parmentier. Les diététiciennes bénéficient d’une solide formation scientifique en diététique et en nutrition. La durée de leur formation (BTS de diététique ou DUT génie biologique-option diététique) est actuellement de deux ans. La profession travaille à une réingénierie de la formation pour entrer dans le cursus LMD.