SUR LE TERRAIN
DOSSIER
Quelle présence les associations ont-elles dans les services ? Quelles collaborations peuvent-elles imaginer avec les soignants ? Sur le terrain, les expériences restent limitées. Pourtant, celles qui se lancent ressortes gagnantes.
Si le rôle des associations comme acteurs du monde de la santé me semble aujourd’hui reconnu par les professionnels de santé, c’est encore, surtout, une reconnaissance abstraite. En bref, si tout le monde applaudit leur mobilisation, moteur d’avancées thérapeutiques, quand il s’agit de se dire : “qu’est-ce qu’on peut faire ensemble ?”, c’est souvent silence radio. » Le constat, sans ambage, est posé par Hélène Darretain, infirmière référente douleur en hépato-gastroentérologie pédiatrique à Bicêtre jusqu’à récemment. « Les réticences des soignants sont encore fortes, note-t-elle. Il y a la peur d’être observé, jugé, obstacle à la seule présence de bénévoles dans le service. Le sentiment aussi, “qu’après tout, le soin ce n’est pas du domaine des associations de patients”. Et pourtant ! Elles en ont des choses à dire ! » Et de citer sa propre expérience : la mise en place d’un nouveau protocole douleur, qui n’a obtenu la pleine adhésion de certains collègues qu’au terme de la mobilisation des membres de l’association de parents présente dans le service, relais de son efficacité. « Il n’est pas question de confondre les rôles, souligne-t-elle, mais d’accepter que la parole des associations de malades et de proches soit, elle aussi, vecteur du soins. »
Chargé des droits des usagers à l’hôpital Saint-Antoine, Jean Wils enfonce le clou. Son verdict ? « À l’hôpital, les associations restent des tiers. Certes, il y a quelques partenariats symboliques dans certains établissements. Comme celui noué durant les années sida par l’association Aides et le service d’immunologie clinique de Broussais, qui a notamment donné naissance à la création, par les bénévoles de l’association et les professionnels du service, à une “consultation du soir”, lieu de soins et d’écoute ouvert pour faciliter l’accueil des patients. Bien sûr, il y a des progrès. Les associations sont mieux acceptées qu’il y a quelques années. Mais elles sont encore trop souvent la cinquième roue du carrosse. » À lui seul, le recensement des associations présentes dans les hôpitaux dit d’ailleurs beaucoup. Selon une enquête nationale menée voilà un an, dans plus de 66 % des hôpitaux, il y a, en effet, moins de dix associations présentes. Seuls 10 % des établissements (des CHU, surtout) en accueillent plus de trente. Et on ne compte que 180 maisons des usagers – tenues par des associations et, donc, représentant un potentiel dispositif ressource – pour 2 500 établissements.
Accueillir une association dans « son » service reste, il est vrai, exigeant pour les soignants. Il faut accepter d’en entendre la parole, l’expertise. Pas évident ! Qui plus est lorsque ces bénévoles se positionnent sur un mode revendicatif, vite perçu comme agressif par les soignants. Cela exige aussi du temps, ne serait-ce que pour apprendre à se connaître. Or, le temps est une denrée rare à l’hôpital. « Il faut aussi éviter certains écueils, et, notamment, de concevoir la collaboration avec une association comme le moyen de réaliser un projet que l’équipe aurait voulu mener seule mais sans en avoir les moyens », ajoute Joël Rapon, cadre supérieur chargé de formation pour le groupe hospitalier Paris-Est. « Collaborer, c’est penser les choses ensemble, en amont », poursuit-il, évoquant son expérience de cadre en chirurgie viscérale à Trousseau : la réflexion menée par l’équipe du service et les bénévoles de l’association « Main dans la main » concernant l’écoute et l’animation proposées aux enfants hospitalisés. « Intégration de leur action au projet de service, mini-staff en commun lors de leurs jours de présence, cahier de liaison… Autant d’outils qui ont donné du sens à leur présence pour tout le monde. »
L’action des associations dans les services de soins est effectivement, sur le terrain, avant tout affaire d’écoute, de présence. « Mais elle est d’autant plus riche qu’elle est pensée avec les professionnels du service, car elle peut être une arme de soins », estime Philippe Gorwood, psychiatre addictologue à Sainte-Anne. Lui-même a noué contact avec les associations Vie libre et Alcooliques anonymes (AA), qui tient, depuis, une permanence hebdomadaire dans le service, espace de dialogue et démarche de soins potentiels. « Tous les patients n’y adhèrent pas… Mais, même s’ils ne sont que deux sur dix à accrocher, où est le problème ? Ce qui compte, c’est le mieux-être de chacun. »
De son côté, Manuela Bonmarchand, médecin en médecine interne à la Pitié-Salpêtrière, confirme, évoquant l’importance des permanences, dans son service, des médiatrices santé de l’association « Ikambere », qui accompagne les femmes migrantes infectées par le VIH. « Leur rôle en matière d’observance est crucial. L’équipe infirmière du service a beau être aujourd’hui formée en éducation thérapeutique, l’action des médiatrices demeure essentiel pour désamorcer les incompréhensions nées des différences de représentations culturelles. Même les “repas du pays”, les repas africains qu’elles apportent aux patients refusant les plats de l’hôpital, sont vecteurs de soins. » Accepter d’entendre l’expertise associative permet même, parfois, de mettre en place un partenariat plus dense encore. Ceux-ci sont encore rares, mais ils existent. Ainsi du partenariat noué par le service d’hépato-gastroentérologie de Haut-Lévêque au CHU de Bordeaux avec l’association Aides dans l’accompagnement des patients souffrant d’une hépatite. « Il a débuté voilà cinq ans via l’ouverture d’une permanence assurée par Aides. Très vite, ses responsables nous ont proposé de créer un groupe de paroles. Le projet a été réfléchi de concert, et le groupe est né. Psychologue, infirmières et médecin du service sont présents, mais il est animé par les membres d’Aides. La collaboration s’est amplifiée ; et nous avons notamment monté, ensemble, un programme d’éducation thérapeutique pour le VHC », raconte Juliette Foucher, un des médecins du service.
« Une association, c’est un peu comme un couteau suisse, commente Laurence Carton, vice-présidente de l’Association française de lutte antirhumatismale. Alors, pour engager un partenariat association-service de soins, il faut être inventifs, de part et d’autre. » L’équipe de l’USLD de Corentin-Celton
* Lire également l’article rédigé par cette équipe soignante : « Espace snoezelen, un temps d’exception », paru dans L’Infirmière Magazine n° 297, pp. 22-23.
→ www.annuaire-aas.com L’annuaire des associations de santé.
→ « Les associations, moteur de changements à l’hôpital : une question de légitimité », Véronique Ghadi, In Droit d’être soigné, droits des soignants, Eres, 2003.
→ Se mobiliser pour la santé. Des associations de patients témoignent, Madeleine Akrich, Cécile Méadel, Vololona Rabeharisoa, Presses de l’École des Mines, 2009.
→ www.leciss.org Le site du Ciss
→ « Associations et représentation des usagers », In l’ADSP n° 68, 2009.
→ Associations de patients et groupe d’entraide : quelle place dans les politiques de santé ?, D. Doumont, J. Berrewaerts, UCL-RESO, 2004.