ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE
DOSSIER
Pour nombre de professionnels de santé, la chose est entendue : l’éducation thérapeutique, c’est leur affaire. Pourtant, les pouvoirs publics mettent de plus en plus en avant le rôle des associations de patients. Mais alors, qui fait quoi ? Le débat est toujours d’actualité.
L’éducation thérapeutique a le vent en poupe. « Mais, mettez dans une pièce dix professionnels de santé et membres d’associations de patients, demandez-leur de définir ce qu’elle recouvre, et quel est le rôle de chacun… Et vous verrez. Il n’y aura pas dix réponses identiques !, ironise Patrick Lamour, médecin et directeur de l’Irpes Pays de Loire. D’autant, ajoute-t-il, que la loi en la matière – la loi HPST – n’a pas vraiment clarifié les choses. » En soi, l’inscription de l’éducation thérapeutique dans la loi est certes perçue comme un progrès. Engagés dans cette voie depuis des années, chacun avec leurs armes, et sans que cela soit toujours bien formalisé, professionnels de santé et associations ne peuvent qu’applaudir à la mise en avant de la démarche. Sauf que sur le « qui fait quoi », les choses se compliquent. Un point de la loi, notamment, fait débat : celui disposant que les programmes d’éducation thérapeutique du patient peuvent être « coordonnés par un médecin, par un autre professionnel de santé ou par un représentant dûment mandaté d’une association de patients agréée. » Des programmes coordonnés par une association de patients ? Cela laisse pantois plus d’un professionnel de santé. Les remarques fusent : « L’éducation thérapeutique, c’est quand même un dispositif soignant. » « Accueillir des membres d’une association dans un programme d’ETP, pourquoi pas. Mais qu’une association en conduise un elle-même ? » « Quid de la formation des personnes chargées de sa mise en œuvre ? » « Quid du secret professionnel ? » Les moues sont plus que dubitatives… Les associations argumentent. La participation à un programme d’ETP coordonné par une association de patients se fait sur prescription médicale. L’équipe chargée de sa mise en œuvre est tenue à la confidentialité. Elle doit, qui plus est, comporter au moins deux professionnels de santé. Et au moins une personne de l’équipe doit avoir suivi une formation à l’ETP (40 heures). « Le cahier des charges est exigeant, notamment en termes de formulation des projets », commente Jeanne-Marie Pascal, chargée de mission à l’ARS Ile-de-France.
Elle n’est d’ailleurs pas sans poser question aux associations elles-mêmes. « Certes, être désignées comme légitimes à coordonner un programme d’ETP, c’est un pas important. C’est une forme de reconnaissance de ce qui se fait depuis des années dans nos structures en matière d’“empowerment”, de support par les pairs… Mais les interrogations sont là. Notamment sur l’opportunité de se lancer dans un projet qui exige d’intégrer deux professionnels de santé. Est-ce que cela nous correspond ? Cela ne risque-t-il pas de déstabiliser les personnes que nous accueillons ? », explique Jean-Pierre Fournier, administrateur d’Action Traitements, rassemblant des personnes séropositives et leurs proches. Autre difficulté de taille : si les programmes hospitaliers d’ETP doivent bénéficier de financements Migac, « aucune enveloppe n’est pour le moment dédiée aux programmes des associations », comme le reconnaît Jeanne-Marie Pascal. Action Traitement a, cela dit, tranché, et s’est lancé. Son programme d’ETP a été autorisé en avril dernier par l’ARS Ile-de-France. Mais la démarche est encore rare. Dans la région, seuls 24 programmes d’ETP coordonnés par des associations de patients sont autorisés, sur un total de 641. Quelques dizaines de patientstout au plus le sont au plan national.
Les réticences des professionnels de santé à accorder un rôle aux associations de patients en matière d’éducation thérapeutique sont, cela dit, en train de s’amoindrir. En témoigne le nombre croissant de programmes d’ETP hospitaliers incluant la participation de « patients-experts » formés par les associations. Le fait que cette participation soit, comme le recommande la HAS depuis 2007, un critère de l’autorisation des programmes n’y est, certes, pas pour rien. Il n’empêche. La coopération est en marche. Elle n’est d’ailleurs pas totalement nouvelle. De façon improvisée, elle se faisait ici et là… Cependant, à quelques exceptions près, notamment dans le VIH-sida, elle était annexe. Mais les choses évoluent, estime Patrica Guillon, infirmière coordinatrice au CRTH de Caen et présidente de Fidel’hem, association des infirmières en hémophilie, évoquant son partenariat avec l’Association française des hémophiles (AFH). « Nous réfléchissons ensemble depuis 2008 à la façon dont doit s’organiser l’ETP, au rôle du patient-expert. Les discussions sont parfois complexes. L’irruption du patient-expert peut être vécue par les infirmières comme une remise en cause de leur capacité à accompagner un patient. Il n’est pas non plus évident pour un patient-expert de trouver sa place dans une équipe de professionnels. Mais la richesse des retours d’expérience désamorce bien des choses. Au CRTH, un patient-expert de l’AFH anime désormais un groupe de paroles, auquel médecin ou infirmière participent. Son écoute, sa capacité à désamorcer des peurs, à reformuler des choses sont uniques. Sa présence est un plus pour tout le monde, une arme de l’ETP. »
Les patients, et les associations les fédérant sont donc des experts en éducation thérapeutique… Pour elles, c’est une évidence. « Une nécessité même, note Gérard Raymond, président de l’AFD. D’autant qu’elles ont un atout phare : elles peuvent agir là où sont les patients, c’est-à-dire en ville, où l’offre de programmes d’ETP est quasi inexistante. » Les chiffres des ARS le disent : 75 % des programmes d’ETP autorisés sont portés par des établissements de santé. Seuls 20 % le sont par un service HAD ou un centre de maladie rare ; 9 % par un centre de soins de suite et de réadaptation ; 8 % par les réseaux de santé ; 4 % par les maisons de santé ou les centres de santé, et 4 % par d’autres (associations, mutuelles…). Or, la majorité des quinze millions de patients souffrant, en France, de pathologies chroniques (dans 30 % des cas de diabète), sont, au quotidien, suivis en ambulatoire et non à l’hôpital. « Quand on sait que la moitié des patients souffrant de diabète ou de maladies cardio-vasculaires ne prennent pas régulièrement leur traitement, on comprend que le chantier est énorme ! Et que ceux qui sont en première ligne, ce sont les associations, souligne Gérard Raymond. Les soignants oublient d’ailleurs souvent que les pouvoirs publics reconnaissent notre rôle en la matière. La loi HPST dispose, en effet, que l’éducation thérapeutique se décline non seulement en “programmes d’ETP”, mais aussi en “actions d’accompagnement, ayant pour objet d’apporter une assistance et un soutien aux malades, ou à leur entourage, dans la prise en charge de la maladie.” Or, qui conduit ces actions ? Les associations ! » Les professionnels de santé objecteront que leur action n’est pas de même nature que les démarches mises en avant par les associations. Certes, celles-ci sont très variables. Elles dépendent en premier lieu des moyens dont dispose chacune. Elles vont de la réunion d’information ponctuelle à l’autosupport par les pairs, jusqu’à viser véritablement à l’autonomie du patient. « Nos patients-experts ont d’abord un rôle d’accompagnement auprès de nos adhérents en interne », précise le président de l’AFD. Reste un hic de taille : si la loi HPST reconnaît ces actions, le décret d’application les concernant n’est toujours pas paru. C’est une reconnaissance sur le papier. Pour partie parce que définir un cadre serait compliqué. Mais aussi parce qu’un décret impose, en soi, de débloquer des moyens financiers !